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Rubrique Livre de Gestion Santé

"Le complexe médico-industriel"

de Jean-Claude Salomon

 

Gestion Santé vous présente des livres marquant dans le domaine santé. Sont particulièrement pris en compte pour la sélection des ouvrages, la qualité scientifique, la précision de l'analyse socio-politique du monde de la santé, les analyses de ses dysfonctionnements, la présentation d'approches alternatives.

Comme 3e livre de la rubrique nous avons choisi :

Jean-Claude Salomon, "Le complexe médico-industriel", ATTAC, Mille et une nuits, 2003.

 

 

Texte de la 4e de couverture :

Depuis une trentaine d'années, dans tous les pays développés, les systèmes de santé ont subi de profondes transformations dues à l'emprise croissante des lobbies et des intérêts privés sur les politiques publiques. Par analogie avec le "complexe militaro-industriel" dénoncé par Eisenhower en 1961, on peut désormais parler d'un "complexe médico-industriel". C'est lui qui dicte les pratiques médicales en transformant maladie et santé en marché pour consommateurs de soins et de médicaments.

Ce véritable hold-up financier, que cet ouvrage analyse dans le détail, remet en cause des acquis de civilisation. Contre la rapacité des multinationales de la pharmacie, une autre logique, celle du bien commun, est possible. Ses contours en sont ici esquissés.

L'auteur

Cette petite collection d'ouvrage pédagogique d'ATTAC ne comporte pas de notice biographique sur l'auteur. Jean-Claude Salomon est conseil scientifique d'ATTAC sur les sujets santé. Il s'occupe plus particulièrement des sujets traitant de la politique du médicament. De formation il s'agit d'un médecin chercheur en cancérologie directeur de recherches au CNRS.

Il développe actuellement une réflexion et une recherche qu'il regroupe sous la notion de complexe médico-industriel (CMI). Ce concept ambitieux recouvre pour l'essentiel les interférences sur la définition des politiques de santé publique, des multinationales de l'industrie pharmaceutique. Cette influence passe par l'instrumentalisation à ses intérêts de nombreux secteurs de la société.

Au fil des pages, Gestion Santé a aimé

On saluera d'abord la modestie de l'auteur puisque son nom est remplacé par le logo d'ATTAC sur la couverture et n'apparaît qu'en pages intérieures. Je le regrette d'ailleurs, car il s'agit en réalité d'un point de vue personnel de l'auteur, qui jusqu'à présent nous semble peu relayé et soutenu par ATTAC. Par ailleurs il s'agit d'un ouvrage vendu probablement à prix coûtant, au prix, vraiment accessible, de 2,50 € ! Pour ce prix modique on dispose d'une synthèse très lisible et de qualité d'une centaine de pages sur de nombreux aspects de la prise de contrôle de l'industrie pharmaceutique sur le monde de la santé.

Dans l'introduction l'auteur propose une définition de l'objet qu'il va étudier :

"Le terme "complexe" a une double signification :

- c'est un ensemble difficile à décrire, mettant en jeu des entreprises, des Etats, des institutions publiques et privées, des personnes, des capitaux, des lois, des règlements, des traités ;

- cet ensemble constitue un système au sein duquel les interactions sont innombrables, rendant parfois impossible l'identification des causes et des effets des phénomènes qui s'y déroulent. (p. 7)"

L'auteur propose ensuite une "Description analytique du complexe médico-industriel" qui se découpe en six points de vue.

Dans "un point de vue éthique et moral" l'auteur insiste plus particulièrment sur la façon dont les chercheurs et experts médicaux collaborant avec les industriels pour l'étude des médicaments sont en pratique très largement sous la coupe des industriels sans que les décideurs politiques et les contre-pouvoirs supposés du monde de la santé s'en inquiètent jamais alors que les conséquences catastrophiques de cette situation sur la qualité de l'évaluation des médicaments est largement démontrée.

Dans "un point de vue juridique" l'auteur montre comment la logique des brevets ne profite en pratique qu'aux multinationales et quasiment jamais aux chercheurs et aux organismes publics et qu'elle est très nuisible également pour les sociétés pharmaceutiques qui ne sont pas des multinationales. Est aussi évoqué le déséquilibre énorme de l'information au profit des industriels lors de la délivrance des AMM (autorisation de mise sur le marché) et le fait que le secteur privé s'accapare la totalité des résultats des études malgré la participation de chercheurs publics et des patients, et que seuls sont publiés les résultats avantageux.

Dans "un point de vue idéologique" l'auteur montre que le CMI dont les intérêts sont économico-financiers et sont souvent contraires à l'intérêt public en terme de santé a besoin de masquer cet état de fait par un discours idéologique, c.a.d. :

"un discours conforme aux normes du temps présent (...). Il ne s'agit pas de décrire la réalité mais d'en donner une représentation acceptable. Il y faut l'autorité et la notoriété de nombreux médecins et scientifiques de renom, une construction ayant une forte cohérence interne et le contrôle du champ de diffusion des idées (...) (p. 30)". Outre cet aspect normatif artificiel et contraint du discours, l'idéologie établit aussi des liens avec l'utopie et les lendemains qui chantent :

"Demain le progrès médical permettra de vaincre une à une toutes les grandes maladies. Pourquoi et comment résister à un tel avenir ? Il faudrait être fou pour refuser des perspectives si engageantes. (p. 31)"

L'idéologie du CMI reste malgré tout très fragile compte tenu de son décalage avec la réalité. Mais pour l'instant, la communication publi-promotionnelle des laboratoires est reprise pratiquement telle quelle par les médias. La réalité est pourtant un ralentissement voire une franche stagnation de l'innovation qui prend des proportions inquiétantes et pourrait remettre bientôt en question la profitabilité du secteur. Le discours idéologique tente de le masquer via les tentatives de contrôle des règles d'évaluation et d'information tant des médecins que des patients.

Les revues médicales scientifiques anglo-saxones, même les plus prestigieuses, ont perdu, pour nombre d'entre elles, une grande partie de leur indépendance. L'industrie souhaite renforcer son emprise par la publicité pour l'instant limitée aux produits d'autoprescription mais interdite pour les produits sur ordonnances. Les pays (USA et Nouvelle-Zélande) qui ont autorisé la publicité constatent une flambée des prescriptions du fait de la pression des patients sur les médecins qui en résulte. Une évolution générale dans ce sens serait catastrophique pour la santé publique.

Dans "un point de vue économique" l'auteur montre la flambée des dépenses du médicament dans les dépenses de santé. Les frais de marketing dans le lancement des médicaments poursuivent une hausse sans fin. Les firmes se concentrent, on taille et restructure brutalement les centres de recherche. Tout ceci pour des résultats plus que médiocre en terme de de découvertes médicales. Par ailleurs la montée des génériques se poursuit malgré les tentatives d'entrave, et les études comparatives trop rares montrent souvent la supériorité des médicaments les plus anciens sur les pseudo nouveautés.

Dans "un point de vue politique et social" l'auteur montre la démission de l'Etat et des pouvoirs publics et la confusion des intérêts publics et privés et l'absence de véritable contre-pouvoir au CMI.

Dans "un point de vue médical et scientifique" l'auteur montre que celui-ci ne peut plus s'exprimer de façon indépendante.

Dans le chapitre suivant l'auteur s'interroge sur Que faire ?

Il montre l'aspect parasitaire et dangereux du CMI. Celui-ci est pourtant sans doute moins cohérent et plus fragile qu'il n'y paraît.Par ailleurs du fait de l'effondrement de l'innovation et de la montée en puissance très rapide des génériques nous approchons probablement d'une fin de cycle économique encore masquée par les tentatives de concentration du secteur. Internet permet de fédérer un contre-pouvoir autour d'îlots d'expertises scientifiques et citoyennes indépendantes des pouvoirs constitués, souvent infiltrés par le CMI. Par ailleurs il est urgent de rétablir l'indépendance de la recherche publique parasitée par le CMI au détriment de la politique de santé et de l'efficacité de la recherche.

Dans le chapitre suivant l'auteur propose des Recommandations très succinctes comme la constitution de réseaux indépendants, la diffusion des génériques au meilleur prix, de nouvelles normes pour les essais thérapeutiques.

Dans l'annexe 1 l'auteur raconte L'histoire édifiante du prix d'un médicament et évoque l'opacité du la fixation du prix d'un médicament mis sur le marché de l'hôpital à un prix incroyablement bas, probablement pour induire des habitudes de prescription, et vendu à un prix très élevé au consommateur final en pharmacie.

Dans l'annexe 2 l'auteur propose un Projet d'une Charte complémentaire de la Charte d'Helsinski. Dans le cadre actuel, les résultats des essais thérapeutiques restent la propriété des sociétés qui les ont mené et qui peuvent ou non les publier. L'auteur propose que les essais deviennent un patrimoine commun de l'humanité accessibles à tous les chercheurs, ce qui constitueraient la contrepartie minimum de la participation des malades aux essais.

Dans l'annexe 3 l'auteur évoque Le lobbying : pratique normale ou pratique subversive. Tout en en reconnaissant du bout des lèvres sa légalité, l'auteur propose de l'encadrer et de le surveiller par un organisme de contrôle.

Les réserves de Gestion Santé

Pour nous, l'auteur reste enfermé dans une représentation très étroite du modèle médical. En effet, mis à part la critique du manque d'innovation dans le domaine des médicaments et le fait que l'industrie pharmaceutique pousse en avant de pseudo innovations, on ne trouve quasiment aucune critique du modèle médical dominant actuel. Or celui-ci est consubstantiel à la montée en puissance du CMI.

Ainsi des problèmes comme la nutrition, l'hygiène et le bien être, la protection contre les pollutions, composantes essentielles de la santé ne sont pas évoquées. On s'accorde pourtant à les considérer comme des facteurs décisifs et de loin les plus importants pour l'allongement de l'espérance de vie et elles jouent un rôle dans la prévention et même le traitement des maladies. Leur dégradation actuelle, du fait de la précarité sociale, de la dégradation des habitudes nutritionnelles, de la pollution sur les lieux de travail et du milieu de vie est un enjeu de santé décisif dont l'occultation est profondément liée à la monté en puissance du CMI.

De même, la pluralité des approches médicales, le droit pour les médecins de pratiquer une médecine non strictement académique n'est absolument pas évoqué ni donc défendu. Le rôle décisif du CMI dans la destruction méthodique et systématique de tout pluralisme médical est pourtant là aussi décisif. Par ailleurs l'effrayant conformisme actuel des pratiques médicales qui en résulte, la normativité du discours médical dans la société, est un des meilleurs points d'appui du CMI. Cet aspect normatif et la violence de la répression des approches alternatives est un des aspects importants de l'idéologie du CMI. Elle permet au CMI de s'appuyer sur une immense cohorte d'agents d'influence volontaires sur lesquel il n'a même pas besoin d'exercer une influence directe. En effet toute idéologie nous paraît avoir trois volets, le volet normatif et le volet utopique qu'évoque bien l'auteur, mais aussi le volet répressif, tout aussi fondamental, mais omis par l'auteur.

On peut aussi se demander si la notion de CMI employée par l'auteur n'est pas trop ambitieuse par rapport à l'objet vraiment étudié dans l'ouvrage qui est l'emprise sociale de l'industrie pharmaceutique sur quelques acteurs sociaux.

Même dans ce cadre limitatif, l'entrisme des labos dans certains milieux nous semble très largement minorée par l'auteur. La question de la mise sous influence de la presse généraliste et spécialisée, qui est vraiment gravissime est par exemple pratiquement passé sous silence, à part la question des revues scientifiques internationales, alors qu'il s'agit d'un problème clé qui détermine largement le reste. En effet le verrouillage très général de l'information santé dans la presse fait que d'innombrables scandales et dysfonctionnements de ce secteur ne sont pas abordés.

De même n'est pas abordé le contrôle exercé par le CMI sur d'innombrables associations professionnelles, d'usagers de la santé, et sur une foule d'organismes publics et associatifs sensées défendre l'intérêt public, et qui sont d'une passivité extraordinairement suspecte par rapport aux activités les plus répréhensibles du CMI. Ce point n'est évoqué que de façon très allusive et avec une (fausse ?) naïveté dans un paragraphe (p. 70-71).

Dans la partie sur les solutions, les propositions constructives de réformes de l'auteur sont finalement peu nombreuses. Seule l'annexe 2 sur les essais thérapeutiques nous paraît vraiment intéressante. L'annexe 1 évoque sous un angle très étroit le problème de l'utilisation des nouveaux médicaments à l'hôpital alors que les dérives du système ont fait l'objet de plusieurs rapports officiels récents de qualité (Cours des comptes, mission Grall) que l'auteur aurait pu utilement citer pour illustrer son propos et appronfondir l'analyse.

La façon dont l'auteur envisage la question du lobbying nous paraît largement à côté de la question. En effet il propose rien de moins que sous l'autorité d'un organisme indépendant :

"tout fonctionnaire, homme politique, impliqué dans un mécanisme de décision publique doit tenir un registre personnel mentionnant tous les contacts qu'il a eu avec des représentants d'intérêts particuliers ou catégoriels, avec date et heure des rencontres, contacts téléphoniques, courriers divers, etc. Ce registre doit être à la disposition de l'organisme de contrôle. (...) symétriquement, toute entreprise, tout syndicat de salariés ou patronal, toute association, tout groupe d'intérêt devrait tenir un registre analogue (...)."

Ces préconisations nous paraissent aussi contraignantes qu'irréalistes et pourraient même porter atteinte aux libertés. Le lobbying nous paraît faire partie d'un ensemble de pratiques de communication en réseau des acteurs sociaux qu'il semble difficile de démêler et d'assainir par le type de mesures préconisées par l'auteur. De plus l'évolution de la décision sociale vers une logique de réseau nous paraît globalement une bonne chose et l'auteur nous semble manquer sa cible. Ce qui pose problème c'est que beaucoup des acteurs d'influence en interaction par l'intermédiaire desquels l'homme politique ou le fonctionnaire s'informent et construisent leurs décisions sont en réalité sous influence du CMI et que ceux dont l'analyse dérange sont écartés. Bien sûr les décisionnaires eux-mêmes peuvent être eux-mêmes directement sous influence. On assiste alors à une auto-désinformation contrôlée de la sphère politico-administrative où tout le processus de décision est truqué de bout en bout, phénomène souvent très perceptible dans le monde de la santé dès que l'on suit l'actualité de ce secteur avec quelques clés de lecture pertinentes.

Il serait autrement plus simple comme nous l'avons proposé sur Gestion Santé de réglementer strictement les relations d'influence du CMI, en particulier celles entre les industriels et les journalistes, en interdisant purement et simplement les innombrables voyages de luxe pseudo informatifs qui les visent et en interdisant ou en réglementant strictement les "ménages" (prestations plus ou moins réelles où un journaliste est payé fort cher et en fonction de sa notoriété pour des prestations de type publi-reportage). Des régles d'éthiques pourrait être instaurées dans les médias de service public et dans l'audio-visuel sous l'autorité du CSA, et les titres les plus prestigieux de la presse écrite pourraient souscrire une charte déontologique allant dans le même sens. L'assainissement du monde de la presse est une priorité, celle-ci constituant le principal contre-pouvoir dans notre société.

Un contrôle très strict sur les mouvements des hauts fonctionnaires et des hommes politiques vers ou en provenance de l'industrie pharmaceutique devrait être aussi mis en place. Les carences actuelles dans ce domaine sont notoires et très graves.

Une large communication du travail des agences de santé et en particulier un accès informatif très large via Internet aux différentes étapes de leur travail d'évaluation est également une priorité. L'articulation totalement abhérente entre l'évaluation et la fixation des prix des médicaments devraient aussi être complètement revue. Nous avons fait au fil des pages de notre site nombre de propositions simples, dont nous citons seulement ici quelques unes, qui pourraient largement contribuer à limiter l'emprise du CMI sur de nombreux acteurs sociaux.

Enfin il faut savoir que même si cet ouvrage est publié sous le logo d'ATTAC, cette association est finalement, et pour l'instant, très discrète sur tous les sujets qui engagent la politique du médicament. Ceci alors que le gouvernement prend régulièrement des décisions particulièrement néfastes dans l'indifférence générale de tous les supposés contre-pouvoirs..

En conclusion

Un livre de qualité dans une collection super économique qui fait un tour d'horizon très complet de l'entrisme de l'industrie pharmaceutique dans la société et des conséquences de plus en plus lourdes et néfastes de cet état de fait sur la santé publique. Une excellente introduction au sujet qui permet ensuite de s'intéresser à des ouvrages plus pointus (ou à des sites comme le notre) et de commencer à décrypter utilement l'information des médias. Pour les réserves, il convient de garder à l'esprit le point de vue un peu étroit de l'anthropologie médicale de l'auteur, l'oubli de certains réseaux d'influence, et le caractère très limité des propositions de réformes.

 

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Créé le 14/07/03. Dernière modification le 14/07/03.