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L'affaire du millepertuis

 

Le rôle de l'AFSSAPS
Répression administrative et désinformation
Le Quotidien du médecin et le millepertuis
Les études démontrant l'intérêt du millepertuis pour le traitement de la dépression
Remarques sur le problème des autorisations de mise sur le marché des médicaments
Epilogue
Pour en savoir plus

 

L'affaire du millepertuis en France a commencé le 1er mars 2000 par un communiqué de l'AFSSPS (l'Agence gouvernementale qui s'occupe du médicament en France) mettant en garde contre l'utilisation du millepertuis. Voici le début du communiqué, j'ai rajouté les italiques :

Le rôle de l'AFSSAPS

"Risques liés à l'utilisation du millepertuis - Le millepertuis (Hypericum perforatum ou herbe de Saint-Jean ou St John's wort) est une plante médicinale utilisée en phytothérapie et disponible en officine. Cependant, de nombreux produits à base de millepertuis sont également commercialisés dans certains magasins de diététique, supermarchés ou accessibles sur Internet ou par correspondance. Cette plante fait l'objet d'une médiatisation croissante axée sur sa possible utilisation dans le traitement des troubles de l'humeur (anxiété, dépression), sans qu'une activité thérapeutique ait pu être réellement démontrée. D'ailleurs, aucune spécialité pharmaceutique à base de millepertuis ne bénéficie d'une autorisation de mise sur le marché en France. (...) (Voir les communiqués de l'AFSSPS pour lire la totalité du communiqué.)" [ce document n'est plus disponible]

Cette alerte a fait plus spécifiquement suite à l'interaction repérée entre le millepertuis et le principe actif du Crixivan, un médicament qui est destiné aux malades du sida. Le millepertuis facilite l'élimination du médicament par le foie. Ce phénomène ne présente évidemment pas de danger en lui-même, sauf qu'il diminue sensiblement le taux de produit actif dans le sang du malade, ce qui peut rendre le traitement inefficace et faciliter la résistance du virus soumis à des doses de produit trop faibles. Par ailleurs l'arrêt brutal de la prise de millepertuis produit à l'inverse une remontée trop importante de la concentration du médicament dans l'organisme. Selon la dernière synthèse des contre-indications disponibles en 2003, le millepertuis est contre indiqué avec les AVK (traitements anticoagulants antivitamines K), la ciclosporone et les antirétroviraux. Il est également déconseillé en association avec la digoxine, la théophylline, la carbamazépine phénytoïne, les contraceptifs oraux et les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine (ISRS, classe de médicament antidépresseurs dont fait partie le Prozac).

D'après les recherches que nous avons effectuées sur Internet, l'AFSSPS paraît avoir emboîté le pas à d'autres autorités étrangères, notamment anglaises et américaines, suite en particulier à une publication dans le journal médical Lancet au mois de janvier 2000. La revue de presse suisse en ligne L'Hebdo comporte un certain nombre d'informations intéressantes à ce sujet, malgré son ton particulièrement grotesque et alarmiste. D'après les renseignements fournis par L'Hebdo, les réactions sont assez typiques de la culture nationale des pays considérés. L'Angleterre qui a une longue tradition de tolérance à l'égard des médecines alternatives, où elles disposent souvent d'un statut reconnu, a proposé une information précise et exhaustive aux professionnels sur les interactions, tout en rappelant l'innocuité du millepertuis pris seul. Aux USA, la situation est très particulière puisque l'on assiste à une véritable schizophrénie avec d'un côté l'establishment étroitement lié à l'industrie pharmaceutique, et de l'autre des patients et des médecins de plus en plus nombreux qui se tournent vers les thérapies alternatives en particulier la médecine orthomoléculaire (Cf. notre introduction au site). On ne s'étonnera donc pas que le NIH ait recommandé, en plus de sa mise en garde, de ne pas utiliser le millepertuis dans les cas de dépression.

On est donc proche de la position française puisque l'agence française se croit obligée de préciser qu'aucune activité thérapeutique du millepertuis n'a pu être réellement démontrée. Le lecteur de bonne foi comprend qu'aucune étude scientifique n'a été menée sur le millepertuis où que celles-ci n'ont pas confirmé les vertus attribuées au millepertuis. L'agence ajoute que d'ailleurs le millepertuis ne bénéficie d'aucune autorisation de mise sur le marché. Ce d'ailleurs laisse entendre que bien sûr, si le millepertuis avait eu une activité thérapeutique avérée, il bénéficierait d'une autorisation de mise sur le marché! Nous verrons plus loin ce qu'il en est en réalité de ces différents points.

L'article de L'Hebdo a aussi l'intérêt de montrer que de nombreuses autres substances, d'usage fréquent (le pamplemousse [grapefruit] en particulier !) ont apparemment des effets similaires au millepertuis, ce qui relativise le "danger" du millepertuis et montre que d'une façon générale les médecins devraient avoir à l'esprit que la nutrition du malade peut avoir des effets souvent imprévisibles ou pas pris en compte sur les traitements prescrits.

Répression administrative et désinformation

Il faut savoir qu'avec le communiqué de l'AFSSPS a débuté une campagne de presse et une campagne de répression administrative contre le millepertuis dont le magazine Belle Santé a rendu compte à ses lecteurs dans ses n° d'avril et de mai 2000. Le n° d'avril fait référence à un article d'Aujourd'hui - le Parisien, annoncé en manchette à la une, qui évoque (sans autre précision!) le danger que représente le millepertuis pour des pathologies lourdes comme le Sida et en appelle en conclusion à une réglementation encore plus stricte en matière de phytothérapie. Le n° de mai quand à lui évoque les décentes et les saisies de la Répression des fraudes chez divers fabricants de gélules de millepertuis. On voit que le climat s'alourdit et est à la répression comme c'est périodiquement le cas en France dans le domaine des compléments alimentaires où les pouvoirs publics s'ingénient, à intervalle régulier, à déstabiliser la filière en inquiétant fabricants et distributeurs. Tout ceci dans un climat d'opacité administrative à la française où l'on ne sait qui ordonne quoi et dans quel but, l’intervention de la force publique s’effectuant souvent dans un flou juridique certain.

Nous avons d'ailleurs consacré une page au rôle particulièrement nuisible que joue la DGCCRF (répression des fraudes) dans le domaine des compléments alimentaires.

On peut toutefois se dire qu'un journaliste mal informé ou hostile aux plantes médicinales, c'est dommage, mais ce n'est pas décisif. Mais qu'elle est la situation du côté d'un journal de référence comme Le quotidien du médecin?

Le Quotidien du médecin et le millepertuis

Le 14 janvier 2000, le Dr E. de V., collaborateur régulier du journal consacre un article intitulé "Gare aux interactions entre les médicaments et les plantes médicinales" à différentes plantes dont le millepertuis, s'appuyant sur le Lancet du 8 janvier 2000. Il s'agit d'un résumé d'un article assez divers puisqu'il va des fraudes sur les plantes dans certains pays d'Asie aux interactions entre plantes et médicaments. On notera par exemple des déclarations faussement précises comme "En ce qui concerne la contamination, des métaux lourds (plomb, arsenic, mercure) ont aussi été trouvés dans 24 produits sur 251 vendus dans les boutiques de Californie." Cette contamination est certes regrettable, mais le résumé (où l'article de référence) ne donne aucune idée des quantités de toxiques trouvés (s’agit-il de "traces" comme on en retrouve malheureusement souvent dans l’alimentation ou de doses significatives?). Mais globalement il s'agit d'un article d'information plutôt objectif et utile.

Le 14 février 2000, le Dr Marine JORAS rend compte de façon très complète de l'étude précitée du Lancet sur le Millepertuis (avant donc l'alerte de l'AFSSPS) et conclut sur un ton relativement modéré "Ces deux observations, comme l'étude sur la pharmacocinétique de l'indinavir, conduisent à mettre en garde contre l'utilisation incontrôlée du millepertuis. Contrairement à l'idée répandue selon laquelle toutes ces plantes médicinales seraient sans danger, il est indispensable d'en étudier les effets et de mettre en garde tous les patients qui suivent par ailleurs un autre traitement."

Le 3 mars 2000, le Dr E. de V. rapporte de façon quasi complète et littérale, la mise en garde de l'AFSSPS, y compris l'absence supposée d'efficacité du millepertuis dans les troubles de l'humeur. On est très surpris qu'un médecin qui se spécialise dans les comptes rendus sur les problèmes de phytothérapie puisse laisser passer une telle affirmation sans faire de remarque critique. Par ailleurs, le Dr E. de V. omet de citer l'article de sa consœur du 14 février 2000. C'est pourtant le compte rendu de l'article du Lancet qui est à l'origine de la mise en garde de l'AFSSPS.

Conclusions préliminaires :

1) Le Dr E. de V. recopie distraitement les communiqués de l'AFSSPS ou alors il y a de bons amis qu'il ne souhaite pas froisser.

2) Le Dr E. de V. ne lit pas Le quotidien du médecin où alors il est en froid avec le Dr Marine JORAS.

En tout cas, certains médecins ne laissent pas passer l'information sans réagir et le Dr François Hibou, dans le courrier des lecteurs du journal du 13 mars, réagit avec pertinence. Il écrit "On peut être surpris, en revanche, par l'affirmation : "Sans qu'aucune efficacité n'ait été démontrée " [dans le communiqué de l'AFSSPS], alors qu'il suffit de consulter Medline (PubMed) sur le mot Saint John's wort (millepertuis) pour obtenir 90 références. Un certain nombre de ces articles est certes consacré aux interactions médicamenteuses et autres risques liés à l'utilisation de millepertuis, mais les études portant sur l'efficacité de la plante y figurent en bonne place." Il cite les études indiscutables et nombreuses prouvant l'efficacité certaine du millepertuis dans les cas de dépression légères à modérées.

La fin de sa conclusion nous paraît beaucoup plus discutable : "S'il paraît raisonnable d'inciter à la prudence dans l'utilisation du millepertuis, ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. De nombreux médecins utilisant des thérapeutiques dites naturelles connaissent et prescrivent le millepertuis. S'il se révélait que l'utilisation d'Hypericum perforatum présente un niveau de risque d'effets indésirables ou d'interactions médicamenteuses plus élevé que, disons, l'aspirine, pourquoi ne pas le réserver, comme tout produit pharmacologiquement actif - et donc comportant des indications, contre-indications, effets indésirables et interactions médicamenteuses -, à la prescription médicale."

Le problème, c'est que tous les produits de la phytothérapie sont pharmacologiquement actifs, et une telle position conduit à nouveau à l'idée traditionnelle d'un monopole médical extrêmement strict, tendance naturelle de la réglementation française, et qui n'a pourtant jamais aidé au développement de la phytothérapie médicale en France, bien au contraire. De plus se poserait alors le problème des AMM (autorisation de mise sur le marché pour une indication thérapeutique donnée). On commence par réserver l'usage des plantes aux médecins, puis on ne les autorise à prescrire que les rares plantes ayant une AMM valide et on a fini de tuer la phytothérapie en France en prétendant la promouvoir et protéger les malades.

En tout cas, outre le fait que Le Quotidien du médecin laisse une certaine place au débat d'idée, on peut proposer la conclusion préliminaire suivante :

3) Il faut payer d'urgence une connexion Internet à l'AFSSPS pour lui permettre de consulter Medline, ou alors, il faut en conclure que l'agence pratique sans vergogne l'intox et la manipulation.

Mais poursuivons notre lecture du Quotidien du médecin.

Les études démontrant l'intérêt du millepertuis pour le traitement de la dépression

Suite à un article du British Medical Journal de septembre 2000, Le Quotidien du médecin du 1er septembre 2000 revient sur la question du millepertuis. C'est l'occasion de contorsions rédactionnelles vraiment peu dignes d'un journal de ce niveau. Nous distinguerons les titrages dont on sait qu'il ne sont pas toujours le fait du journaliste, du texte proprement dit, de l'incontournable Dr E. de V. Cela commence mal (pour le millepertuis) : "Millepertuis : une étude du "BMJ" ne doit pas faire oublier les mises en garde récentes." A la mauvaise humeur du ton, on a déjà compris que le QDM allait s'infliger une nouvelle désagréable. Vient ensuite le sous-titre qui résume l'essentiel de l'article : "Une étude publiée dans le "British Medical Journal" suggère que les extraits de millepertuis ont, dans la dépression légère à modérée, une efficacité comparable à celle d'un antidépresseur tricyclique. Il faut toutefois garder à l'esprit que, récemment, les autorités sanitaires françaises ont fait de strictes recommandations sur l'utilisation de cette plante."

Notons déjà le suggère du sous-titre, alors qu'au vu de l'étude de référence, très rigoureuse, faite en double aveugle sur une population dépressive significative, et qui confirme plusieurs autres études, aurait méritée un démontre ou un confirme. Comme on parle beaucoup du millepertuis ces derniers temps, le Dr E. de V. a dû se mettre à jour depuis qu'il rendait compte de l'avis de l'AFSSPS au début mars 2000. On apprend donc que pas moins de 23 essais du millepertuis pour la dépression ont été publiés. Mais il ajoute aussitôt que leur méthodologie a été discutée. Pourquoi, par qui et est-ce à juste titre? Mystère. Enfin le Dr E. de V. ne daigne pas même nous résumer le déroulement de l'étude, et s'il reconnaît que la tolérance du millepertuis est meilleure que le produit de référence, il évite soigneusement de dire dans quelles proportions (3% d'arrêts du traitement contre 16% pour le produit de référence, d'après le Réseau Proteus ce qui paraît remarquable). Notons que cette information clé sur la tolérance au produit à également été éliminée du résumé en sous-titre. Après ce compte rendu tronqué vient par contre le rappel des consignes de l'AFSSPS, ce qui donne au Dr E. de V. l'occasion de replacer la mise en garde de l'AFSSPS à laquelle il est tellement attaché. Pourquoi pas, mais il est regrettable que l'on substitue ainsi une information redondante à une information pertinente, qui aurait pourtant pu tenir en un tout petit nombre de lignes, comme le Réseau Proteus en donne l'exemple. Notons enfin que la seule réserve pertinente qu'aurait pût faire le Dr E. de V., à savoir que le produit de référence auquel était comparé le millepertuis n'était pas un antidépresseur de dernière génération, ne figure même pas dans son article!

En conclusion, on doit reconnaître que Le QDM n'a pas fourni une information complète et de qualité à ses lecteurs et qu'en plus celle-ci est entachée de partialité. Au delà on peut noter d'autres omissions préoccupantes. Pourquoi cacher au praticien français que le millepertuis est le médicament le plus prescrit en Allemagne pour la dépression? C'est pourtant une information digne d'intérêt pour un médecin! Pourquoi ne pas lui dire que c'est justement la raison pour laquelle la plupart des études sur le millepertuis sont réalisées dans ce pays? N'était-ce pas l'occasion idéale pour donner ce type d'informations (1)? (informations données par le Centre de toxicologie du Québec). Il y a là une étroitesse d'esprit et le signe d'un esprit franco-français peu agréable. Il est vrai que le comparatisme culturel risquerait de développer un esprit critique de mauvais aloi chez le médecin français! Par ailleurs, un autre détail, pas si insignifiant que ça, choque à la lecture des comptes rendus d'articles de revues scientifiques par le QDM. Seul est donné en bas de page le nom de la revue et la pagination, le nom de l'auteur et le titre de l'article de référence étant omis! Il y a là, me semble-t-il, un manque de respect pour la recherche et la méthodologie scientifique assez étonnant. Se fonde-t-elle sur un mépris implicite du lecteur médecin et une volonté inconsciente de créer une césure entre recherche et pratique médicale? C'est un peu l'impression que donne cette curieuse façon de procéder du journal.

On voit que l'affaire du millepertuis s'inscrit dans un climat de fond très révélateur des pratiques françaises ou les différents pouvoirs se donnent la main. L'administration harcèle les fabricants et les distributeurs, l'AFSSPS diffuse de fausses informations sur l’inefficacité thérapeutique de la plante, la presse grand public affole le bon peuple et appelle à la répression, la presse médicale spécialisée a une attitude peu objective et diffuse parcimonieusement l'information quant elle démontre l'intérêt de la phytothérapie. Quant au corps médical il semble encore vouloir contrôler le patient et le produit prescrit au travers d'une attitude magistrale, pourtant de plus en plus inadaptée à l'évolution de la relation médecin - malade.

Remarques sur le problème des autorisations de mise sur le marché des médicaments

Enfin, il faut en élargissant encore le débat évoquer la question des AMM. Dans le domaine de la phytothérapie et des produits non brevetables (DHEA, mélatonine par exemple), la situation est complètement bloquée. Ces produits n'étant pas brevetables, les sociétés pharmaceutiques se refusent à faire les coûteuses études qui pourraient permettre de mettre sur le marché pharmaceutique les produits considérés, compte tenu du fait que leurs concurrents bénéficieraient de ces études pour diffuser les mêmes produits. Ces nouveaux produits risqueraient surtout de se substituer à des médicaments brevetés et infiniment plus rémunérateurs (2). Le brevet permet à l'industrie pharmaceutique d'obtenir pendant plusieurs années un monopole de diffusion qui garantit ses marges bénéficiaires. Après l'expiration du brevet on se retrouve dans le cas des génériques avec mise en concurrence des fabricants. La concurrence entraîne une baisse des prix qui évidemment ne fait pas l'affaire de l'industrie pharmaceutique. C'est pourquoi les multinationales du médicament exercent (souvent avec un remarquable succès) une pression constante sur les pouvoirs publics et les instances de régulation pour obtenir le déremboursement et le retrait de nombreux médicaments qui ne sont plus protégés, indépendamment de la valeur thérapeutique des produits en cause.

Dans ces conditions il devrait revenir à la puissance publique de financer de telles études d'AMM. Chaque année d'innombrables études sortent sur les propriétés de plantes ou de compléments alimentaires (vitamines, minéraux, etc.) qui présentent souvent un bénéfice thérapeutique équivalent et beaucoup moins d'effets secondaires que les médicaments classiquement usités. Au vu de telles études, une agence spécialisée dotée d'un budget ad hoc pourrait lancer régulièrement des études d'AMM pour de nouveaux produits, ou pour élargir les indications de produits déjà doté d'une AMM. Quant on sait que le budget de la sécurité sociale est supérieur à celui de l'État, on imagine bien que cela ne ruinerait pas la société française et permettrait d'élargir l'éventail des soins en proposant des produits mieux tolérés et qui contribuent souvent à l'amélioration du "terrain" là où les produits traditionnels sont beaucoup plus symptomatiques. L'introduction de nouveaux produits efficaces et non brevetés permettrait aussi de peser utilement sur les prix des produits brevetés concurrents. Elle limiterait aussi la tendance des multinationales à créer des produits pharmaceutiques à partir d'analyses de type marketing plus qu'en fonction des nécessités de santé publique.

Il faut savoir qu'un tel système existait encore récemment en Allemagne pour les plantes. En effet une loi de 1978 avait créé la "commission E" dans ce pays. Celle-ci, constituée de médecins, pharmaciens, pharmacologues et toxicologues pouvait autoriser la mise sur le marché de produits de phytothérapie après la réalisation d'études approfondies sur ceux-ci. C'est ainsi que plus de 300 produits ont été examinés et un grand nombre autorisés qui sont prescrits par les médecins et remboursés par les assurances sociales. C'est la raison pour laquelle en 1998 l'Allemagne générait plus de 50% du chiffre d'affaire européen de la phytothérapie médicale! Il semble que cette commission ait été démantelée sur initiative de la Commission Européenne et que les produits de phytothérapie doivent désormais subir les mêmes critères de mise sur le marché que les autres médicaments (3). Il s'agit d'un scandale de plus qu'entraîne le fonctionnement opaque de la Commission Européenne et ses liens occultes avec le monde des multinationales (4). J'ignore si cette commission E possédait un budget propre, mais c'est probablement le cas, sinon elle n'aurait pas pu mener d'aussi nombreuses études et recherches sur les plantes. Ce n'est pas on s'en doute l'industrie pharmaceutique qui les aurait financées! Sa disparition ou en tout cas le fait qu'elle ne puisse plus autoriser la mise sur le marché de plantes et donc une vrai catastrophe. Mais une catastrophe dont personne n'a entendu parler en France et dont j'ai pris connaissance un peu par hasard, lors de mes recherches pour l'écriture du présent document. Cette affaire a probablement fait débat en Allemagne, mais le fonctionnement médiatique fait qu'on en a pas du tout entendu parler en France.

Il n'en reste pas moins que cette commission pourrait servir de modèle pour une instance de régularisation européenne qui pourrait, de plus, disposer de collèges qui examineraient les différentes classes de produits en dehors des plantes (vitamines, minéraux, hormones, ...). Chaque classe serait examiné avec un protocole de sécurité et une méthodologie d'investigation adaptée à la classe du produit considéré... Les citoyens européens, les professionnels de santé pourrait ainsi disposer en quelques années d'une large palette de produits alternatifs et de nature à se substituer d'en bien des cas à des produits moins adaptés proposés par l'industrie pharmaceutique.

Curieusement, personne ne semble pour l'instant défendre une telle idée malgré le développement récent et spectaculaire de la contestation par diverses organisations de lutte contre le phénomène de la mondialisation. Ces ONG s'inquiètent à juste titre du développement de mastodontes pharmaceutiques mondiaux. Mais beaucoup de ces organisations défendent un modèle de pensée très étatiste et administratif du fait de leur système de pensée souvent issu de la gauche traditionnelle. Dans ce cadre de pensée, il faut administrer plus et dépenser plus, plutôt que de dépenser mieux et autrement. Ces ONG ne voient pas que le système des AMM telle qu'il fonctionne actuellement, et qui nécessite des budgets colossaux et des délais considérables pour obtenir les AMM sur les différents marchés nationaux, et l'un des principaux facteurs qui pousse à la concentration capitalistique dans le secteur. La mise en place d'Agences chargé des AMM pour les compléments alimentaires ou d'autres produits non brevetables, en France et au niveau européen, pourrait donc avoir des effets extrêmement positifs sur ce phénomène.

Ajoutons, ce qui dépasse le sujet traité ici et mes compétences, qu'il conviendrait peut-être aussi de remettre à plat le système des AMM pour mieux cerner les rapports coûts – bénéfices. Il s'agirait de s'assurer que les coûts des AMM sont exclusivement liés à des raisons de santé publique et non à des procédures inutiles ou inadaptées qui les renchériraient inutilement ou rallongeraient les délais de mise sur le marché. L’idée sous-jacente à cette remarque est que plus le coût d'une AMM est élevé, plus l'innovation est pénalisée par éviction des petites sociétés innovantes, qui ne peuvent arriver à mettre leurs produits sur le marché pour des raisons de délais et de coûts (5).

Pour être encore plus iconoclaste on peut se demander si le mode d'intégration des sociétés pharmaceutiques tel qu'il fonctionne actuellement ne pose pas de graves problèmes de santé publique et s'il ne menace pas le fonctionnement démocratique de la société et les libertés publiques dans le domaine de la santé. En acceptant l'intégration de gigantesques sociétés, allant de la recherche à la distribution des médicaments, à la prescription aux médecins et aux pharmaciens, qui salarient des "experts" que l'on retrouve dans les agences du médicament (soit disant indépendante), qui ont des liens financiers avec les mandarins du monde médical, qui financent les associations œuvrant dans le domaine de la santé et y placent leurs obligés, on pervertit gravement le fonctionnement démocratique au détriment de la liberté individuelle et de la politique de santé publique.

Dans l'idéal, Il faudrait pouvoir segmenter tous ces secteurs. La recherche d'une part à séparer de la fabrication qui serait effectuée sous licence par des sociétés en concurrence s'efforçant de diminuer le prix de fabrication. Les AMM qui seraient lancées et effectuées par des autorités indépendantes au vu de dossiers fournis par les laboratoires de recherches. L'expertise qui ne devrait donner lieu à aucun conflit d'intérêt, alors que cela semble être systématiquement le cas aujourd'hui. La formation continue des médecins et des pharmaciens qui devrait être obligatoire et effectuée par des sociétés indépendantes. Si l'on veut vivre dans une démocratie qui ne se réduit pas à une sphère privée de plus en plus réduite, c'est possible, mais il faut s'en donner les moyens, dans le domaine de la santé comme ailleurs!

Epilogue

Quelles évolutions depuis 2001 où a été créée cette page ? D'abord il semble se confirmer que l'efficacité du millepertuis est à réserver aux dépressions modérées à légère et que son intérêt n'est pas démontré pour les dépressions majeures (Réseau Proteus).

Une de ces études négatives sur la dépression majeure a été financée par Pfizer alors que celui-ci vend un produit concurrent du millepertuis, et cette étude a donc fait l'objet de pas mal de controverses. On peut lire sur le site www.qualitycounts.com une discussion assez technique (en anglais) de Bernard R. Hess sur les faiblesses supposées de cette étude suivie par une réponse détaillée de Richard Shelton, le principal responsable de l'étude (ce qui est suffisamment rare pour être signalé). La principale faiblesse de l'étude qui n'est pas levée par la réponse de Shelton est que le dosage de millepertuis utilisé est probablement nettement insuffisant pour traiter une dépression majeure.

Par contre pour les dépressions modérées, le millepertuis est aussi efficace que les médicaments de dernières générations, les ISRS - Inhibiteurs Spécifiques de la Recapture de la Sérotonine comme le Prozac avec environ quatre fois moins d'effets secondaires et de plus des effets bénins, alors que ceux avec le ISRS sont relativement sévères (Réseau Proteus). Le millepertuis confirme donc dans ce domaine son efficacité et son inocuité (5b).

La situation a paru si préoccupante aux multinationales du secteur que Pfizer, qui commercialise un analogue du Prozac, la sertraline (Le Zoloft) a acquis Warner-Lambert, une compagnie qui commercialisait le millepertuis en pharmacie et mis un terme à cette production aux USA (Réseau Proteus). Exemple typique des pratiques des géants du secteur de la pharmacie qui passent un peu moins inaperçues grâce à la presse de santé alternative (la presse "officielle" étant quasi totalement bâillonnée). Heureusement les américains ont une législation qui leur permet de se procurer vitamines et produits de la phytothérapie sans difficulté en dehors des pharmacies à des prix très attractifs et souvent avec des normes de qualité comparables à celles de l'industrie pharmaceutique.

Depuis la première version de cet article le père Ubu français a sensiblement progressé dans le traitement bureaucratique du dossier du millepertuis. Ainsi, après avoir clamé l'inefficacité du millepertuis, l'AFSSAPS (agence du médicament) a-t-elle accordée courant 2001 une extension des indications thérapeutiques de cette plante médicinale en utilisation traditionnelle dans les manifestations dépressives légères et transitoires (info trouvé dans l'avis de l'AFSSA ci-dessous mentionné). Cette autorisation a par la suite bénéficiée aux laboratoires Arkopharma pour la spécialité PROCALMIL par décision du 22 juillet 2002. Les laboratoires Arkopharma, bien connus pour leurs produits de phytothérapie Arkogélules, ont un quasi monopole de la distribution des produits de phytothérapie en pharmacie (81% du marché selon le site Arkopharma).

Pourquoi l'AFSSAPS a-t-elle brutalement décidé de revoir sa position sur le millepertuis en 2001? Mystère. Mystère d'autant plus difficile à élucider que le site de l'AFSSAPS est un modèle d'opacité pour tout ce qui concerne les questions d'autorisation de mise sur le marché des médicaments et les problèmes de service médical rendu des médicaments (6).

Le laboratoire Arkopharma a du en tout cas être particulièrement satisfait d'apprendre que L'AFSSA (agence de sécurité sanitaire des aliments) a de son côté oportunément verrouillé l'utilisation du millepertuis comme complément alimentaire par un avis du 15 novembre 2001.

Il n'en reste pas moins que la France est un des rares pays européens a appliquer de telles dispositions restrictives. L'AFSSA a donc interdit à la vente hors pharmacie un produit que tous les français peuvent aisément se procurer par correspondance et sur Internet à un fournisseur de l'union européenne dans le cadre de la libre circulation des biens et services à l'intérieur de l'Union. Père Ubu se porte à merveille !

Pour en savoir plus

La fiche du Réseau Proteus (en français)

La page de www.qualitycounts.com (en anglais)

 

(1) Voir aussi ci-dessous nos informations sur la Commission E en Allemagne.

(2) Il est d'ailleurs probable que de nombreux médicaments dérivés de plantes ne sont créés que pour pouvoir être brevetés, sans que cela apporte forcément quelque chose de plus, thérapeutiquement parlant, par rapport à la plante d'origine.

(3) A propos des recherches effectuées par la Commission E, un petit résumé intéressant du Réseau Proteus. Sur sa probable disparition, voir l'article de janvier 1998 de la Life Extension Foundation.

(4) Pour plus de renseignement lire dans le n° 2 de la revue "L'écologiste", l'excellent article de Raoul Marc Jennar : La Commission, une Bastille à renverser ?

(5) Je ne sais pas ce qu'il en est exactement en France et en Europe, mais la situation est tout à fait catastrophique de ce point de vue aux USA avec la Food and Drug Administration. Cf. par exemple les éditoriaux de la Life Extension de mai 2000 et février 2001 ainsi qu'un excellent courrier à la LEF proposant des réformes urgentes de la FDA pour sortir de l'impasse dans laquelle celle-ci enferme la politique de santé publique américaine.

(5b) Précisons qu'en ce qui nous concerne nous sommes partisan d'une approche pluridisciplinaire du traitement de la dépression qui pourrait passer notamment par la nutrition, les suppléments alimentaires et la psychothérapie ou une approche psychosociale. Nous ne cherchons évidemment pas à présenter le millepertuis comme une panacée mais à à montrer comment certains lobbies très peu désintéressés tentent d'en verrouiller ou d'en interdire l'accès.

(6) A ce sujet, voir nos pages :

Le scandale de la cérivastatine de Bayer : Les médicaments anti-cholestérol et la politique de santé publique

La réévaluation du SMR (service médical rendu) des médicaments par l'AFSSAPS

 

Sujets liés :

L'expertise santé à la française : L'AFSSAPS déclare que 840 médicaments ont un service médical rendu insuffisant

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A la DGCCRF, la chasse aux compléments alimentaires est ouverte

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Créé le 04/01/01. Dernière modification le 27/04/03.