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Le service médical rendu des médicaments, SMR, est sensé être une des principales dispositions du système de gestion des médicaments dans le dispositif français. Mais l'évaluation récente du SMR des médicaments par l'AFSSAPS s'est faite dans une opacité complète et n'a pas suivi une méthodologie d'évaluation scientifiquement acceptable. Le résultat est une classification douteuse, de nombreux déremboursements à prévoir au cours des prochaines années et strictement aucun bénéfice en terme de santé publique.
Voir aussi notre importante mise à
jour du présent document sur les implications majeures d'un important
avis du Conseil d'Etat et une analyse de la politique du médicament suivi
par la droite depuis son arrivée au pouvoir.
Revirement
de jurisprudence au Conseil d'Etat
20% des médicaments menacés de
déremboursement
Le rôle de la commission de la transparence dans la réévaluation
du SMR
Politiques, hauts fonctionnaires,
experts et conflits d'intérêts
Le secteur privé et l'expertise
Certaines mesures gouvernementales
récentes vont dramatiquement aggraver la dépendance des experts
L'expertise française en matière
de santé et la loi du 1er juillet 1998
Les rapports de la Cours des comptes
Les essais thérapeutiques
des labos et les experts
Une presse qui vérouille l'information
Les mécanismes pervers de la sélection
des experts
L'attitude de la presse face à l'évaluation du SMR des médicaments
par l'AFSSAPS
Les décisions prises par le gouvernement
Des modalités de travail des experts tout à fait inacceptables
et des propositions concrètes d'amélioration de cette situation
Application de ces normes au cas de l'évaluation du service
médical rendu des médicaments par l'AFSSAPS
L'irresponsabilité juridique des agences
de santé reconnue par le Conseil d'Etat
Conclusion
20% des médicaments menacés de déremboursement
Dans le journal Libération du 7 juin 2001, sort un article d'Eric Favereau, qui titre "Un médicament sur cinq quasi inutile ", "Il y a deux ans a été lancé un vaste audit sur l'efficacité des 4 490 médicaments remboursés en France. Les experts de l'Agence française de sécurité sanitaire [AFSSPS] ont mesuré leur service médical rendu (SMR). Il peut être «majeur ou important» ou «insuffisant». Au final, 2 815 ont un SMR élevé, 840 modéré ou faible, et 835 un SMR insuffisant."
Rappelons qu'en théorie le Service Médical Rendu du médicament inclut l'efficacité, la sécurité d'emploi, la place dans la stratégie thérapeutique, la gravité de l'affection à laquelle il est destiné, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux, ses conditions réelles d'utilisation et son intérêt en terme de Santé Publique. Pour une première présentation du SMR et de ses conséquences en terme de remboursement, voir le mémoire de Laurence GARNESSON.
L'article de Libération lorsqu'il était lu dans son ensemble était particulièrement confus, et mélangeait allègrement les problèmes notamment l'efficacité des médicaments d'une part et leur mauvaise prescription d'autre part. Le journaliste est d'un naturel particulièrement confiant puisqu'à un aucun moment il ne s'interroge sur la pertinence de la classification retenue par l'AFSSAPS. Il est vrai que cette confiance aveugle est la même dans tous les médias. Etonnant tout de même quand on se propose de rayer d'un trait de plume 20% des médicaments courramment utilisés par les français!
Nous examinerons ensuite la classification des SMR effectuée par l'AFSSAPS, mais cela nous amènera à procéder préalablement à une étude sur les agences de santé et leurs "experts", car le recrutement et le mode de travail des experts et des agences posent de graves problèmes pour le fonctionnement même de la démocratie dans le domaine de la santé. Ces dysfonctionnements expliquent à mon avis bien des anomalies dans la classification retenue. Nous en donnerons quelques exemples sur des médicaments que nous connaissons.
Le rôle de la commission de la transparence dans la réévaluation du SMR
La mission de réévaluation du Service Médical Rendu (SMR) des spécialités pharmaceutiques remboursables en ville a été confiée à la très mal nommée "Commission de la Transparence" en avril 1999 par le ministère de l'emploi et de la solidarité et le secrétariat d'Etat à la santé. La commission de la ransparence est placée auprès des ministres de la santé et de la sécurité sociale, mais son secrétarit et ses moyens humains et financiers proviennent de l'AFSSAPS. Cette organisation battarde est à l'origine d'important conflits de pouvoir entre la commission de la transparence et l'AFSSAPS et de carrences dans le fonctionnement de la commission de la transparence selon le rapport 2001 de la cours des comptes (p. 104). L'articulation du travail de la commission de la transparence avec celui du comité économique des produits de santé, chargé de fixer les prix des médicaments, est tout aussi calamiteux toujours du fait des carrences de la commission (idem p. 101).
La transparence en est toute relative puisque la commission a travaillé dans le plus grand secret et, alors qu'une liste de médicaments avait déjà été transmise au ministère, l'AFSSAPS refusait toujours de transmettre la moindre liste de médicaments à la presse. Il s'agissait bien évidemment d'éviter toute contre-expertise ou réflexion de fond sur la liste soumise, afin d'éviter que les médias disposent d'informations alternatives avant que le ministère ne procède aux arbitrages et à d'éventuelles annonces de déremboursement.
Dans sa lettre de mission la ministre indiquait notamment :
"Nous vous demandons pour ce réexamen d'apprécier par indication le service médical rendu par un médicament ou par une classe médicamenteuse au regard de leur efficacité et de leurs effets indésirables, de leur place dans la stratégie thérapeutique au regard notamment des autres thérapies disponibles, de la gravité de l'affection à laquelle ils sont destinés ainsi que du caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et de son intérêt pour la santé publique.
Vous voudrez bien évaluer pour chaque médicament son niveau de service médical rendu en vous référant à l'un des trois niveaux suivants : majeur ou important, modéré, ou plus faible mais justifiant néanmoins une prise en charge.
Vous veillerez à ce que les procédures d'examen suivies par la Commission comportent toutes les garanties d'objectivité et d'impartialité requises et à ce que les entreprises pharmaceutiques qui contesteraient l'avis de la commission concernant leurs propres spécialités puissent faire connaître leur position selon les modalités que vous jugerez appropriées."
Cette commande appelle diverses remarques.
Tout d'abord une bizarrerie, puisqu'à lire attentivement tant la lettre de commande que l'analyse qu'en fait l'AFSSAPS, il n'est question nulle part de classer des médicaments dans une catégorie de SMR "insuffisant" comme cela a été fait. La commission de l'AFSSAPS fait en effet elle-même uniquement référence à ce que "Trois niveaux de SMR seront proposés : majeur ou important, modéré, ou plus faible mais justifiant néanmoins une prise en charge." Rien ne semblait donc autoriser la commission à créer une 4e catégorie! Mais en fait, après la date de la commande est paru un décret no 99-915 du 27 octobre 1999 relatif aux médicaments remboursables qui précise "Les médicaments sont inscrits sur la liste prévue à l'article L. 162-17 [qui permet le remboursement] au vu de l'appréciation du service médical rendu qu'ils apportent indication par indication. Cette appréciation prend en compte l'efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l'affection à laquelle il est destiné, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et son intérêt pour la santé publique. Les médicaments dont le service médical rendu est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles ne sont pas inscrits sur la liste". Par ailleurs l'évaluation est confiée à la commission de la transparence de l'AFSSAPS par le décret. Dans ces conditions le décret ajoute après coup la 4e catégorie utilisée par l'AFSSAPS et qui conditionne l'inscription dans la catégorie des médicaments remboursables!
Cette 4e catégorie, l'absence de SMR (service médical rendu) est évidemment bien souvent une condamnation à mort pour le médicament qui y figure, en particulier en terme de remboursement, bien que le ministère de la santé conserve une marge d'appréciation pour procéder à la modification du taux de remboursement. Par ailleurs le "pas de SMR" est très flou. En effet Comme l'indique Laurence GARNESSON, "Ce " pas de SMR " permet au gouvernement de justifier un déremboursement, même si un membre de la commission de transparence explique que " pas de SMR ne veut pas dire pas d'efficacité " ; la nuance est difficile à appréhender "
Et en effet on reste stupéfait devant les arguments employés par la commission ou plutôt par l'absence de tout argument digne de ce nom. Pour rendre les choses plus concrètes au lecteur nous allons prendre un exemple d'avis de la commission de transparence. Ainsi, prenons le BIOSTIM, qui a bénéficié de plusieurs études cliniques récentes de qualité démontrant son efficacité. Ce produit est un traitement immunostimulant par voie orale, fabriqué à partir d'une glycoprotéine de la membrane d'une souche de la bactérie de la pneumonie et qui permet au sujet de développer une immunité par rapport aux maladies ORL. Son AMM remonte à 1981 et son autorisation s'appuie donc sur une méthodologie scientifique tout à fait récente. L'argumentaire de l'AFSSAPS, a été trouvé via son moteur de recherche, en vrac parmi de nombreux documents sans libellés explicites. En effet, aucun lien ne va de la page sur le SMR des médicaments, elle-même indigente, à l'avis proprement dit qui le fonde, et de très nombreux avis ne sont pas consultables !!!
Celui-ci indique (extrait) :
"- BIOSTIM ENFANT est prescrit dans 78,5 % des cas quand
les enfants présentent des antécédents d'infections respiratoires
récidivantes chroniques depuis 2 ans ou plus, ou lorsqu'ils ont subi
une amygdalectomie (libellé d'AMM).
- BIOSTIM ENFANT est prescrit dans 81 % des cas chez les sujets âgés
de plus de 2 ans et de moins de 15 ans.
- Le schéma posologique de BIOSTIM ENFANT est strictement conforme dans
72 % des prescriptions.
D'après les données de cette étude, lorsque l'on combine
un certain nombre de critères comme les antécédents médicaux,
les modalités de prescription, l'âge des patients, on estime que
52,8 % des prescriptions de BIOSTIM ENFANT 1 mg, gélule respectent les
conditions stipulées dans l'AMM (43,8 % si on exclut les patients d'âge
inférieur ou égal à 2 ans).
Réévaluation du service médical rendu
L'affection concernée par cette spécialité n'engage pas
le pronostic vital du patient, n'entraîne pas de complication grave, ni
de handicap.
Cette spécialité entre dans le cadre d'un traitement préventif.
Le rapport efficacité / effets indésirables de cette spécialité
est faible.
Il existe des alternatives thérapeutiques.
Le niveau de service médical rendu par BIOSTIM ENFANT 1 mg, gélule
est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies
disponibles pour justifier sa prise en charge. Recommandations de la Commission
de la Transparence
Avis défavorable au renouvellement d'inscription sur la liste des médicaments
remboursables
aux assurés sociaux dans l'indication et les posologies de l'AMM."
Cet avis pris à titre d'exemple en dit long sur les méthodes de l'agence. C'est par ailleurs un tissu de contrevérités ou d'approximations qui sont assenées sans la moindre discussion et sans l'apport du moindre argument démonstratif.
L'affirmation selon laquelle l'affection concernée n'entraîne pas de complication grave paraît plus que hasardeuse s'agissant de prévenir d'après l'AMM des affections ORL récidivantes qui sont précisément source de toute sorte de complications, d'hospitalisations pour surinfection, etc. Parler de pronostic vital ou de handicap (donnée à laquelle se réfère de façon stéréotypé l'agence dans tous ses avis) est totalement dépourvu de pertinence. Il faudrait, pour les affections ORL récidivantes, raisonner à partir d'indicateurs pertinents, en nombre de jours de maladies par an, en risque de complication, en nombre de jours d'hospitalisation, tous indicateurs de gravité pertinents et adpatés à la pathologie qu'on examine. Encore faut-il se donner la peine de les recueuillir, de les analyser, de les rapporter à l'efficacité du médicament... Travail de santé publique fondamental, certes ambitieux, et que la commission n'a semble-t-il cherché à faire sérieusement pour aucun médicament. Enfin aucun argument valable n'est apporté en ce qui concerne la gravité.
Le rapport efficacité / effets indésirables est faible dit l'agence. Aucune donnée en pourcentage n'est donnée sur le nombre moyen de pathologies évitées alors que ces données sont disponibles via des études en double aveugle. Les effets secondaires du traitement sont par ailleurs rarissimes et bénins. Là encore l'évaluation est indigente voire délibérément faussée.
Les alternatives thérapeutiques ne sont pas nommées. En réalité il n'y en a pas à notre connaissance pour des produits ayant un SMR satisfaisant. Seul les antibiotiques sont disponibles en cas de surinfection, mais il ne s'agit évidemment pas d'une alternative mais du traitement des complications. On notera par rapport à notre section précédente sur la surprescription des antibiotiques que BIOSTIM s'articule remarquablement avec le projet de limiter la prescription des antibiotiques. Un argument majeur qui se rattache à l'aspect santé publique du SMR et qui n'a évidemment pas été pris en compte.
Ajoutons que cette évaluation ne constitue pas une regrettable exception
mais constitue malheureusement un exemple type du "travail" effectué
par la commission de transparence.
L'évaluation du travail de la commission de la transparence pose bien sûr de nombreuses questions de fond tant en ce qui concerne la qualité des résultats de l'évaluation que vis à vis de la méthode de travail. C'est sur ce type de lacunes évidentes que le Conseil d'Etat s'est fondé pour sanctionner sévèrement le travail de la commission.
Mais avant d'évaluer plus en détail le travail fourni par la commission de la transparence, il faut bien comprendre que pour qu'une évaluation impartiale puisse s'effectuer en matière de santé publique, encore faut-il que les fonctions régaliennes au niveau de l'Etat et des agences de santé ne soient pas parasitées par des réseaux d'influence de puissants partenaires industriels souvent organisés en monopoles ou oligopoles en particulier dans le domaine du médicament. Dans ces cas, on peut s'attendre à des dysfonctionnements majeurs comme ceux qui sont à l'origine des très graves crises sanitaires qui sont survenus à intervalle réguliers depuis 20 ans et qui ont été presque toujours dans notre pays d'une gravité plus grande qu'ailleurs (contamination de Tchernobyl, sang contaminé, vaccin contre l'hépatite B, farines animales, amiante, dioxine des incinérateurs, etc.), et dont le renouvellement est le signe de carences graves du fonctionnement de la puissance publique.
Nous allons examiner ce qu'il en est de l'indépendance vis à vis des grosses multinationales pour les ministres et les hauts fonctionnaires de la santé puis nous nous intéresserons aux experts de l'AFFSA (sécurité alimentaire) et de l'AFSSAPS (produits de santé) dont les problématiques sont très similaires.
Politiques, hauts fonctionnaires, experts et conflits d'intérêts
Une gestion sereine des dossiers de santé qui engagent la puissance publique suppose qu'hommes politiques, hauts fonctionnaires et membres et experts des agences de régulation puissent exercer leurs fonctions en toute indépendance et ne soient pas soumis à des conflits d'intérêts. Yves Mény dans son livre "La corruption de la République" (Fayard, 1992) définit le conflit d'intérêt comme "une situation où l'individu, en raison de "loyautés" cumulées mais contradictoires, doit sacrifier l'un des intérêts qu'il pourrait défendre (5)".
Ces conflits d'intérêts résultent le plus souvent du fait que les experts entretiennent des liens avec l'industrie qui les missionnent et les rétribuent à des titres divers pour des missions plus ou moins réelles. Quant aux hauts fonctionnaires ils n'ont en général pas de liens financiers avec l'industrie, mais avec de nombreuses exceptions qui posent souvent problèmes (Cf. infra par exemple les médecins hospitaliers participant à des essais thérapeutiques). La mobilité des fonctionnaires partant ou revenant du privé pose par contre très souvent problème.
Il peut aussi exister des interférences plus politiques, où un expert ou un haut fonctionnaire va satisfaire une commande "occulte" de nature politique, par exemple pour éviter qu'éclate un scandale de santé publique, qui pourrait mettre en cause tel ou tel ministère. Dans ces cas, la "réumération" est difficile à identifier. Elle pourra consister, par exemple, le moment venu, au travers de réseaux d'influences, en un "retour d'ascenseur" opportun pour occuper tel poste convoité dans le secteur public ou privé. Il s'agit toujours d'actes éthiquement condamnables, et qui marquent des dysfonctionnements ou des insuffisances de la démocratie, et qui peuvent avoir de lourdes conséquences en terme de santé publique, mais qui ne sont pas toujours condamnables juridiquement en tant que tels, même lorsqu'ils sont connus.
La France est malheureusement un des pays qui se signale par le fait que le personnel politique n'a jamais cherché à créer un cadre juridique et surtout un fonctionnement institutionnel qui permette de gérer efficacement les conflits d'intérêts. On peut au contraire dire que la grave crise de la représentation politique que traverse notre pays et qui dure depuis environ 20 ans maintenant est la conséquence de la confusion des intérêts savamment entretenue dans ce domaine par les hommes politiques, soit directement en leur faveur soit en direction de très nombreux obligés.
Quand au personnel politique, la "déontologie à la française" laisse à désirer. Il faut au moins évoquer le cas d'Elisabeth Hubert, ancienne ministre de la santé du gouvernement Juppé devenue après la défaite de la droite en 1997 (j'ignore exactement à quelle date) directeur général France des laboratoires Fournier, spécialisés en cardiologie et en urologie, le tout pour un modeste salaire annuel de 980.000F (d'après la revue Capital d'août 2001 qui livre l'information sans s'en indigner). Ainsi après avoir arbitré les négociations fixant le prix auquels seront vendus les médicaments des multinationales sur le marché français, on en devient un des cadres dirigeants... comme tout est simple en France ! A ce nouveau poste chez Fournier, l'ancienne ministre a pu inonder la France du merveilleux cholstat (cérivastatine) de Bayer (dont Fournier était le partenaire français) qui a obtenu son AMM en 1998. Pris par 500 000 français pour faire baisser leur cholestérol, bien que son efficacité n'ait jamais été prouvé en prévention primaire ou secondaire, cette molécule a été retiré en catastrophe quelques années après à cause de sa toxicité (Cf. aussi notre page sur les statines)
Evidemment, on imagine que si les ministres donnent aussi bien l'exemple, ce qu'il peut en être au niveau de la haute administration et des conseillers médicaux ministériels !
Il est loin le temps où Michele Barzach, ministre de la santé, de 1986 à 1988 redémarrait courageusement une nouvelle carière en se lançant à son compte dans le conseil en stratégie de santé !
Selon le Rapport 2000 du Service Central de Prévention de la Corruption (ce service qui existe toujours, mais visiblement trop incisif n'a pas plus pu publier de rapport d'activité depuis 2000 !), les dispositions concernant les ministres sont gravement déficientes, puisqu'il suffisait apparemment à Mme Hubert d'attendre 6 mois pour prendre ses nouvelles fonctions :
« Un ministre quittant son poste na quune obligation : respecter un délai dattente de six mois avant de prendre un poste de direction dans une entreprise publique. « A priori, les ministres ne sont pas soumis au Code pénal (art. 432-13) qui interdit à un fonctionnaire de travailler pour une entreprise quil surveillait ou contrôlait pendant un délai de cinq ans. Un arrêt de la Haute Cour de justice (23 juillet 1931) a acquitté un ancien ministre des Finances devenu avocat-conseil dune banque. Mais nombre de juristes estiment cette jurisprudence obsolète : larticle 432-13 pourrait bien sappliquer aux ministres affirment-ils.
« Ces derniers ne sont pas davantage contraints au passage
devant la commission de déontologie qui examine, pour les fonctionnaires,
toute demande de « pantouflage » dans le privé (...)».
(LExpress du 13 mars 2000)."
Les conflits d'intérêts touchent aussi de plus en plus couramment et ouvertement la très haute fonction publique. Soit que les normes définissant la mobilité des fonctionnaires, pourtant très contraignantes, ne soient plus respectées, soit qu'elles soient insuffisamment précises, soit qu'elles ne prévoient pas certains cas de figures.
Tous ces conflits d'intérêts sont des pratiques anciennes. Ainsi dans l'affaire de l'hépatite B, Eric Giacometti a, par exemple, rappelé sur la base d'un rapport d'expertise récent du docteur Marc Girard le cas de "l'ex-président du Comité technique des vaccinations, l'organe de décision de la politique vaccinale, qui collaborait aussi avec les deux laboratoires fabricants." Compte tenu des altermoiements surréalistes qui entourent en ce moment l'abandon, toujours repoussé, de la vaccination contre la tuberculose malgré plusieurs rapports officiels qui viennent d'en rappeler l'inefficacité, on peut d'ailleurs se demander si la situation a vraiment évoluée dans ce domaine !
Il faut aussi rappeler le plaisant jeu de chaises musicales ayant entouré en 2002 la formation du cabinet Mattei :
La filiale française du groupe Lilly a annoncé jeudi la nomination de Michaël Danon en tant que directeur des "Corporate Affairs", poste qui recouvre la direction des affaires réglementaires, de l'économie de la santé, de la communication et de l'Institut Lilly.
Michaël Danon succède à Louis-Charles Viossat, qui a été nommé en mai directeur du cabinet du ministre de la Santé, de la famille et des personnes handicapées, Jean-François Mattei. Il est entré dans ses nouvelles fonctions le 19 août, précise Lilly dans un communiqué.
Agé de 42 ans, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, il [Michaël Danon] est ancien élève de l'Ecole nationale d'administration. Il a commencé sa carrière (...)
De 1997 à 1999, il a été directeur adjoint de l'Agence régionale de l'hospitalisation (ARH) du Nord-Pas-de-Calais et, depuis juin 1999, il était secrétaire général de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES)." [D'après Reuter]
Si on regarde dans le détail, difficile de prendre en faute les intéressés. Louis-Charles Viossat a d'abord travaillé à l'IGAS (L'inspection générale des affaires sociales), ce qui aurait pu être incompatible avec un pantouflage dans une multinationale pharmaceutique. Mais il a d'abord travaillé plusieurs années pour des organismes internationaux dans le secteur social. Donc il aurait été difficilement justifiable de lui interdire d'aller pantoufler chez Lilly. Ce qui est particulièrement choquant par contre, c'est de le voir ensuite venir comme directeur de cabinet de Mattei et arbitrer des affaires ou son ancien employeur est directement partie prenante. Par exemple lorsque nous sommes en plein débat sur le Service médical rendu des médicaments ou qu'il est question de largement libéraliser le prix des nouveaux médicaments... Mais rien ne l'interdit puisque les régles relativement strictes sur le pantouflage ne concerne, d'après ce que j'ai pu lire, que les départs et pas les retours ! Tout cela rappelle quand même de façon désagréable l'administration Bush qui a pourvu de nombreux postes de responsabilité avec de hauts responsables de l'industrie pharmaceutique en remerciement du financement de sa campagne au détriment des démocrates (mais je crois que même Bush n'a pas osé leur donner de responsabilité directe dans le domaine de la santé).
Pour ce qui est de Michaël Danon le cas est tout aussi ambigü. En effet L'ANAES contribue à fixer des normes de bonnes pratiques dans le domaine du médicament. Or nous avons par exemple montré, dans notre article sur les statines, l'existence d'extraordinaires dysfonctionnement du système de santé comme, par exemple, la définition d'une pathologie du cholestérol élevé, elle-même traitée à prix d'or par des médicaments dont l'efficacité est quasi indétectable en terme de mortalité sur la population française traitée en prévention primaire. Il va de soit que la dénonciation de ce genre de scandales de santé publique est impossible si les plus hauts reponsables de l'ANAES sont appelés à aller pantoufler dans des multinationales pharmaceutiques ! Mais là encore les fonctions de secrétaire général de l'ANAES ne semble pas recouvrir des fonctions de supervision de l'évaluation médicale puisque le poste recouvre semble-t-il la prise en charge des services financiers, ressources humaines, informatique, logistique et marchés publics de l'ANAES.
Il n'en reste pas moins choquant que des hauts fonctionnaires de la santé aillent travailler dans des entreprises aussi étroitement liées à leur secteur d'activité surtout lorsqu'il rejoignent une des sociétés dominantes d'un secteur organisé en oligopole (6). Ceci d'autant plus que l'administration de la santé manque traditionnellement cruellement de moyens humains et matériels et d'indépendance par rapport aux multinationales du secteur (7). Lorsque des hauts fonctionnaires comme Michaël Danon ou Louis-Charles Viossat vont pantoufler dans ces multinationales ils apportent, outre leurs compétences, leur très grande connaissance des faiblesses de l'administration dont ils proviennent et des moyens de l'influencer au mieux.
Le secteur privé et l'expertise
Les partenaires privés des agences de santé sont différents selon l'agence concernée. Pour l'AFSSA il s'agira essentiellement de l'industrie alimentaire et des représentants du monde agricole et pour l'AFSSAPS de l'industrie pharmaceutique. Nous examinerons le cas des deux agences car les problèmes y sont très similaires et certaines compétences en matière de santé se retrouvent dans l'une ou l'autre agence.
Examinons d'abord la situation à l'AFSSA. Nous prendrons l'exemple du sel qui a récemment défrayé la chronique à la suite à nouveau d'un article de l’hebdomadaire Le Point, daté du 15 février 2001 (8). A l'occasion du nouveau recueil sur les ANC (apport nutritionnels conseillés) une étude avait été réalisée par l'INSERM U367 sur tous les aspects de la consommation du sel et son incidence sur les questions de santé publique. Le chercheur Pierre Meneton qui avait participé à l'étude est intervenu publiquement parce qu'il avait été scandalisé de la façon dont le travail de l'INSERM avait été vidé de son contenu pour se transformer en remarques particulièrement lénifiantes sur la consommation de sel en France dans le volumineux rapport de l'AFSSA sur les ANC. Rappelons que cet opus, sensé être un monument de la réflexion nutritionnelle française, "la bible des diététiciens, des nutritionnistes et des médecins", selon Ambroise Martin son concepteur, a demandé plusieurs années de travail préparatoire... Ambroise Martin est certainement un scientifique éminent, mais si vous parcourez son intervention mise en lien, vous verrez qu'il y brille surtout par sa capacité à manier la langue de bois (9).
Pierre Méneton n'hésite pas à accuser l'expert chargé du sel à l'AFSSA de collusion avec les industriels du sel! Parmi les "erreurs" ou omissions relevées par le chercheur, on trouve le fait que le rapport sur les ANC s'appuie sur des données de consommation totalement périmées et qui minorent de façon importante la consommation réelle, la non mention que les apports actuels beaucoup trop élevés augmentent fortement les risques cardio-vasculaires et l'hypertension, l'absence de préconisations en matière d'étiquetage, etc. Bref la surconsommation française de sel, puisqu'il faut bien l'appeler ainsi, semble délibérément occultée (voir le dossier sel du Journal Santé). Tout cela est très grave puisque l'AFSSA faillit ainsi à l'une de ses missions principales qui est d'éclairer la politique de santé publique par des analyses scientifiques incontestables. Et l'appel de Pierre Méneton n'a rien d'une lubie, puisque Les ANC 2000 français vont à contre-courant de la majorité des études et des recommandations de nos voisins européens en matière de sel, lesquels mettent en place des politiques de prévention fondées sur une réduction de la consommation de sel.
L'AFSSA n'a, à ma connaissance, pas répondu sur le fond aux accusations concernant le manque d'indépendance de son expert. Néanmoins, alors que l'on s'attendait à ce que le rapport sur les ANC fasse l'objet d'un avis de l'AFSSA qui lui donne la valeur juridique d'un document de référence, il n'en a rien été. C'est assez étonnant, puisque d'innombrables produits doivent afficher des pourcentages par rapport aux apports journaliers recommandés qui figurent dans la "nouvelle bible" sur les ANC, ce qui ne paraît pas possible en l'absence d'avis. On se trouve donc en face d'un vide juridique préoccupant de ce point de vue, le document en question, en l'absence d'avis, n'ayant aucune valeur légale! Certaines mauvaises langues pensent que le manque d'indépendance des experts ayant participés aux évaluations par rapport à divers intérêts privés est une des principales raisons pour lesquelles le rapport n'a jamis fait l'objet d'un avis. En effet à la publication de l'avis, les experts pourraient se voir appliqués les dispositions de la loi de juillet 98 sur les conflits d'intérêts.
Pour ouvrir un contre-feux sur l'affaire du sel, l'AFSSA a mis en place fin mars 2001, un nouveau groupe d'expert chargé de se pencher à nouveau sur la question. Toujours selon Le Point (10), ce groupe de travail "compte parmi ses membes Tilman Drueke, dont les travaux ont été financés à plusieurs reprises par le Comité des Salines, autrement dit le lobby du sel, et qui fait partie du comité scientifique de Salt 2000, 8e symposium mondial de l'industrie du sel. Mais celui-ci n'a toujours pas jugé utile de transmettre sa DPI à l'Afssa. Impossible, donc, d'en savoir plus."
Quant au président de ce groupe il a pour président l'incontournable Serge Hercberg. Le Dr. Hercberg est médecin nutritionniste, spécialiste en épidémiologie, Directeur de recherche INSERM, professeur au CNAM, Directeur de l'Institut Scientifique et Technique de la Nutrition et de l'Alimentation, Coordinateur de l'étude SUVIMAX (11) et bien entendu expert pour une multitude d'organismes publics et privés. Comme on voit le cumul des mandats ne se pose pas qu'en matière politique... On a parfois l'impression que seule l'étude SUVIMAX (dont les conclusions ont été publiées en 2003) qu'il conduit à une quelconque valeur à ses yeux et que les milliers d'études scientifiques consacrées au niveau mondial à l'évaluation des compléments alimentaires sont dépourvues d'intérêt... Il faut savoir que cette étude SUVIMAX n'est pas une recherche sur fonds publics mais qu'elle est financée par Candia, Danone, Vittel, plusieurs laboratoires pharmaceutiques et d'autres industriels. Selon Le Point, "Le nutritionniste Serge Hercberg a rendu sa déclaration publique d'intérêts à l'Afssa il y a quelques semaines seulement. Joint par Le Point avant de réparer son oubli (12), il évoque juste l'étude Suvimax (...). Sauf , que Suvimax a d'une part, un budget global, sur lequel chaque entreprise ne peut donc pas jouer pour orienter les recherches, d'autre part, des protocoles périphériques avec des financements destinés à un programme précis (...) Une étude Suvimax a [ainsi] permis de conclure, en toute indépendance bien sûr, que le pâté, les rillettes et le saucisson n'ont pas d'incidence sur le cholestérol." En dehors de deux conférences pour Vittel et Evian, Serge Hercberg "oublie de mentionner Fruit d'Or, Knorr, Kellogg's, Candia, Lipton, le Centre d'information des viandes (CIV)... C'est dommage. A l'occasion du dernier Medec [un salon médical], Serge Hercberg a participé à un colloque sponsorisé par Knorr sur "Les besoins en micronutriments de la femme en âge de procréer". Et qui disait-il? Que "la deuxième phase du protocolle satellite Knorr de l'étude Suvimax a montré que la consommation de potages contribue significativement à augmenter les apports en folates, vitamines C, en fer et même en calcium". La soupe, qu'on se le dise, est donc bonne."
On voit donc que le futur avis du groupe sur le sel de l'AFSSA est entre de bonnes mains et que l'on n'alarmera pas en vain, à propos du sel, nos concitoyens, déjà traumatisés par trop de scandales de santé publique!
La question du sel n'est évidemment qu'un exemple et il est probable que l'augmentation rapide de la consommation de sucres rapides, un vrai problème de santé publique, qui provoque l'augmentation des cas de diabètes et d'innombrables pathologies liées, est traité de la même façon par l'AFSSA du fait de l'influence des groupes sucriers et des sociétés de vente de sodas...
Dans d'autres domaines, l'expertise de l'AFSSA est également décriée. C'est le cas dans un domaine extrêmement sensible en terme de santé publique, celui des dioxines, un polluant cancérigène extrêmement toxique provenant surtout des usines d'incinération. Le CNIID, Centre National D'information Indépendante sur les Déchets a montré que l'AFSSA avait divisé par trois les chiffres réels de la pollution dans notre pays pour les faire rentrer dans les normes de toxicité de l'OMS!!! Nous renvoyons le lecteur intéressé au site du CNIID et à la page traitant du sujet.Certaines mesures gouvernementales récentes vont dramatiquement aggraver la dépendance des experts
Des chercheurs comme Jean-Pierre Berlan de l'INRA ont récemment alerté les associations alternatives sur les conséquences catastrophiques de projets comme Génoplante qui concerne la recherche dans le domaine des OGM. Comme le décrit très justement le site OGM danger!, en prenant l'exemple de l'INRA "L'INRA se présente volontiers comme un des tenants d'un développement durable d'une agriculture respectueuse de l'environnement . Cependant les intérêts croisés de la recherche publique et des laboratoires privés des firmes biotechnologiques conduisent l'INRA à promouvoir une image plutôt globalement positive des OGM magnifiant les utilisations potentielles présentes ou futures (...). On peut aussi souvent observer un hiatus entre les positions institutionnelles conciliant avec les intérêts politico-industriels auxquels elles sont confrontées ou partie prenante, et les positions individuelles plus fermement attachées à la rigueur du raisonnement strictement scientifique. (...) Face aux nombreuses incertitudes liées au développement des OGM, il convient de souligner l'appel d'une majorité de scientifiques à de recherches approfondies au cas par cas, et l'appel de certains à un moratoire."
En France les autorisations d'essais d'OGM est du ressort de la "Commission du Génie Biomoléculaire" dont on trouve la présentation sur le site du ministère de l'agriculture Le document en lien du professeur Gilles-Eric Seralini, qui mérite une lecture attentive, est accablant sur les modalités des évaluations réalisées. L'industriel a le droit de choisir entre plusieurs experts (cad d'écarter ceux qui ne lui conviennent pas!). Par ailleurs, qu'en est-il de l'indépendance des membres de la commission eux-mêmes, alors que Gilles-Eric Seraliniécrit "Sur 18 membres dans la CGB, au moins 9 : soit travaillent sur la transgénèse végétale, soit sont associés professionnellement à des programmes de tests ou de développements agricoles d'OGM, soit sont cités dans les dossiers de développement des OGM comme experts associés ou conseils" Et encore les membres de la CGB et les experts n'étant pas soumis à la remise d'une DPI, Gilles-Eric Seralini n'a eu accès qu'à une partie des informations... A mon sens, en tout cas, le fait d'accorder à une société avec laquelle on a entretenu des liens financiers des autorisations de mise sur le marché d'OGM sur la base d'études que, selon Gilles-Eric Seralini, pas une revue scientifique n'accepterait de publier tant elles sont baclées, est aussi irresponsable que répréhensible...
Il faut également savoir qu'un même processus a failli se reproduire dans le domaine de la santé humaine proprement dite. Le très médiatique Pr. Etienne-Emile Baulieu, "découvreur" comme on sait de l'hormone DHEA, chargé par le ministère de la recherche d'une étude préalable à la création d'un Institut de la longévité, a milité activement pour la création d'un GIE, copie conforme de Génoplante, pour le domaine de la santé. Mix de chercheurs CNRS et INSERM, et de labos pharmaceutiques, qui évidemment auraient tiré toutes les ficelles, et fait financer leurs recherches sur fonds publics... Sans doute pour rassurer encore davantage les labos et l'industrie et bien faire comprendre qu'il serait l'homme accommodant de la situation, Baulieu n'hésitait d'ailleurs pas à faire avec un cynisme assez incroyable l'éloge des OGM et même de Mac Do (ceci alors que tous les médecins nutritionnistes s'accordent sur le fait que l'alimentation "Mc Do" contribue à une évolution catastrophique des comportements alimentaires)! Heureusement le ministre de la Recherche, Roger-Gérard Schwartzenberg, semble avoir fort sagement et définitivement arbitré en faveur d'un GIS (Groupement d'intérêt scientifique), n'associant que des partenaires publics et des associations de malades (lesquelles ne sont malheureusement pas toujours très représentatives).
C'est en permanence que notre société est ainsi, sans le savoir, confrontée
à des choix de société fondamentaux qui nous engagent sur le long terme. La
stratégie d'ingérence et de prise de contrôle des organisations de contrôle
et de régulation ou des structures de recherche, est une stratégie permanente
des groupes multinationaux. Dors et déjà il est de notoriété publique que des
structures comme l'OMS sont largement sous le contrôle des experts liés à l'industrie
privée... Tout récemment le PNUD
, une agence onusienne (Programme des Nations Unies pour le Développement),
s'est, elle aussi, découvert, comme par hasard, une passion pour les OGM...
L'expertise française en matière de santé et la loi du 1er juillet 1998
Depuis quelques années la France s'est dotée d'agences spécialisées comme l'AFSSA (l'agence française de sécurité sanitaire des aliments) qui est de création récente où l'AFSSAPS dont nous venons de parler (anciennement agence du médicament). Bien que l'AFSSA traite essentiellement de questions alimentaires, nous examinerons aussi la situation de cette agence car les problèmes liés à l'expertise y sont relativement similaires. Ces agences créées souvent à partir de services anciennement rattachés à divers ministères effectuent les missions de contrôle qui leur ont été déléguées et apportent à l'Etat des avis censés être éclairés et impartiaux sur divers sujets de leur compétence.
Le problème de l'indépendance des experts de ces agences existe dans beaucoup d'autres secteurs mais est particulièrement marqué dans le secteur de la santé publique compte tenu des énormes enjeux financiers de ce secteur d'activité et de sa sous administration (7).
On note néanmoins quelques évolutions récentes. Ainsi, la loi du 1er juillet 1998 sur la sécurité sanitaire, stipule explicitement des règles concernant les conflits d'intérêts pour les experts extérieurs aux agences:
"Les personnes collaborant occasionnellement aux travaux de l'agence et les autres personnes qui apportent leur concours aux conseils et commissions siégeant auprès d'elle, à l'exception des membres de ces conseils et commissions, ne peuvent, sous les peines prévues à l'article 432-12 du code pénal, traiter une question dans laquelle elles auraient un intérêt direct ou indirect et sont soumises aux obligations énoncées au 1o. « Les membres des commissions et conseils siégeant auprès de l'agence ne peuvent, sous les mêmes peines, prendre part ni aux délibérations, ni aux votes de ces instances s'ils ont un intérêt direct ou indirect à l'affaire examinée et sont soumis aux obligations énoncées au 1o. « Les personnes mentionnées aux deux alinéas précédents adressent au directeur général de l'agence, à l'occasion de leur nomination ou de leur entrée en fonctions, une déclaration mentionnant leurs liens, directs ou indirects, avec les entreprises ou établissements dont les produits entrent dans son champ de compétence, ainsi qu'avec les sociétés ou organismes de conseil intervenant dans ces secteurs. Cette déclaration est rendue publique et est actualisée à leur initiative dès qu'une modification intervient concernant ces liens ou que de nouveaux liens sont noués."
Qu'en est-il dans la pratique? La situation semble des plus critiquables, soit que les DPI (déclaration publique d'intérêt) ne soient pas annexées aux rapports annuels soit qu'elles soient si anciennes qu'il est impossible d'en tenir compte pour le fonctionnement des groupes d'experts. A noter toutefois que l'AFSSAPS a publié deux versions de son rapport d'activité, disponibles sur le site Internet de l'agence, la seconde intégrant la déclaration d'intérêt des experts. La lecture laisse perplexe, car il est fort difficile pour le non initié, en l'absence de tout élément chiffré, de se faire une idée des enjeux financiers des intérêts en question. Une étude de quelques milliers de francs ou quelques actions seront ainsi déclarées de la même façon qu'un essai thérapeutique par à un hospitalo-universitaire en général grassement rémunéré. Le tabou français sur l'argent et les rémunérations n'est guère propice à la transparence. De telles déclarations marquent cependant un certain progrès en obligeant les intéressés à jouer carte sur table avec leurs pairs et à l'égard de la presse. Néanmoins, compte tenu de la publication tardive des rapports d'activités de l'AFSSAPS, la précision apportée par la loi n'est probablement jamais appliquée : "Cette déclaration est rendue publique et est actualisée à leur initiative dès qu'une modification intervient concernant ces liens ou que de nouveaux liens sont noués". Il est probable que c'est l'AFSSAPS qui court après la déclaration de ses experts pour boucler son rapport d'activité très lontemps après la fin de l'année civile concernée (13) ! Le respect du "temps réel" est indispensable aux responsables de l'agence pour savoir s'il n'existe pas des incompatibilités lorsqu'il vont confier telle étude ou mission à l'un de leurs experts ou vérifier qu'ils ne votent pas et ne participent pas à certaines délibérations. A noter que le site de l'AFSSA est bien moins pourvu que celui de l'AFSSAPS et que l'on n'y trouve ni rapport d'activité ni DPI des experts (consultation faite en 2001).
On notera que la loi ne prévoit pas de sanction pour le manquement à la déclaration ou pour des déclarations incomplètes, ce qui paraît regrettable. A cet égard une interdiction de sièger en tant qu'expert pendant un certain nombre d'années pourrait être une sanction adaptée. Mais encore faudrait-il qu'on se donne la peine de contrôler lesdits manquements, ce qui n'est jamais le cas ! Mais bien évidemment, moins la règle de la DPI est respectée et plus on risque de se retrouver dans le cas d'un conflit d'intérêt (l'expert participant alors à des travaux dont il aurait dû être écarté) qui lui est explicitement et sévèrement sanctionné par la loi. En théorie du moins car en pratique il n'en est rien.
Quand à l'application concrète du conflit d'intérêt elle pose certainement des problèmes d'interprétation dans de nombreux cas. Pendant combien de temps par exemple un hospitalo-universitaire rémunéré pour un essai clinique doit-il s'abstenir de participer à l'évaluation des produits du laboratoire en cause? Peut-il participer à la rédaction d'un recueil de "bonnes pratiques" si des produits du laboratoire en question y sont cités ? Peut-il évaluer le SMR d'un produit concurrent du laboratoire en question ? Autant de questions délicates, qui montrent qu'entendu au sens large, le conflit d'intérêt empêcherait de facto toute activité au sein de l'AFSSAPS à certains experts travaillant régulièrement pour les principales sociétés du secteur, c'est-à-dire la majorité d'entre eux. Et il semble que toutes les questions que nous posons soient interprétées de façon très restrictives. Ainsi les déclarations d'intérêt semble fonctionner par année civile... et il y a tout lieu de craindre que l'interprétation d'un possible conflit d'intérêt se fasse plus ou moins de même !
Le Point s'est justement intéressé à la participation des experts de l'AFSSAPS à des travaux concernant des affaires où ils ont des intérêts et la situation semble très préoccupante. Selon un témoignage recueilli par Le Point, "Un expert qui entretient un lien avec un labo pharmaceutique doit normalement ne pas intervenir, et même sortir lorsqu'on évoque un produit de cette firme. En cinq ans, je n'ai jamais assisté à une telle scène. J'ai même entendu dire à un médecin, par ailleurs "consultant" d'un groupe dont on étudiait un médicament : "Puisque tu connais bien le produit, tu peux nous en dire un mot...""
Ainsi, selon Le Point, même les règles de base de la législation régissant le conflit d'intérêt ne seraient pas respectée à l'AFSSAPS et la remise des DPI aurait un caractère purement formel. Cette fois, si les faits étaient avérés, les experts tomberaient directement sous le coût de l'article 432-12 du code pénal (14). On notera que que les dirigeants des agences prennent de gros risques s'ils n'appliquent pas à la lettre la législation sur les conflits d'intérêts puisqu'il risquent d'être mis en cause, soit pour ne pas avoir recueillis en temps et en heure les déclarations d'intérêts, soit pour ne pas avoir pris les dispositions qui dans le fonctionnement interne de l'agence auraient pu éviter les conflits d'intérêts. La cours des comptes a fait aussi des remarques critiques à ce propos dans son rapport 2001 et parle du "problème non résolu de l'indépendance à l'égard de l'industrie des experts quasi-bénévoles (par exemple la définition du conflit d'intérêts est insuffisamment précise et les déclarations volontaires des experts ne sont pas contrôlées) [p. 104 et réponse de l'AFSSAPS p. 510]."
Eric Giacometti (15) confirme les informations du Point et de la Cours des Comptes sur l'AFSSAPS. Pour lui, aucun contrôle n'est effectué sur la véracité des DPI. La plupart des experts de l'AFSSAPS ont, selon lui, des liens tellement nombreux avec l'industrie pharmaceutique que l'agence ne pourrait tout simplement plus fonctionner si elle appliquait la loi sur les conflits d'intérêts !
Evidemment de telles dérives ne peuvent se produire que parce que les pouvoirs publics et en particulier le minitère de la santé ne font rien pour y mettre un terme. Tout cela fait partie de "La corruption de la République" ou de "La République des copains", suivant le point de vue où l'on se place...
Les rapports de la Cours des comptes
Après un premier rapport en 1998, la Cours des Comptes a réalisé une analyse approfondie et a fait des remarques sévères sur le fonctionnement de l'AFSSAPS et de l'ensemble du système de régulation du médicament en France dans son rapport 2001 (p. 85-108) sur les comptes de la Sécurité Sociale. On peut aussi lire les réponses des administrations concernés (p. 490-519). Ce travail important a été complété en 2002 par une description apocalyptique des dépenses de médicaments en milieu hospitalier ou l'AFSSAPS est impliquée via les autorisations provisoires d'utilisation (ATU) qu'elle accorde à de nombreux médicaments. Voir aussi la réponse de l'AFSSAPS. Ce travail sur le médicament à l'hôpital a été confirmé et approfondi par une enquête de l'IGAS qui a remis son rapport au ministre de la santé en 2003.
Le rapport 2001de la CC indique que :
"La commission de la transparence, placée auprès des ministres de la santé et de la sécurité sociale, mais dont le secrétariat est assuré par lAFSSAPS, constitue létape-clé du processus dadmission au remboursement. Or, cest là que se trouvent les lacunes les plus fortes et les plus nombreuses. La rivalité entre lAFSSAPS et cette commission est très dommageable et doit cesser. Elle se traduit actuellement par labsence dun règlement intérieur de la commission et une insuffisance de moyens (63). La cellule ad hoc créée pour la réévaluation du SMR des médicaments a été dissoute par lAFSSAPS fin 2000, alors que les médecins et pharmaciens formés à cette occasion auraient pu rejoindre le secrétariat de la commission, pour remplir la nouvelle mission de réévaluation périodique des médicaments, prévue dans le décret du 27 octobre 1999. Labsence persistante de règlement intérieur et le problème non résolu de lindépendance à légard de lindustrie des experts quasi-bénévoles (par exemple la définition du conflit dintérêts est insuffisamment précise et les déclarations volontaires des experts ne sont pas contrôlées) constituent autant de handicaps."
(note 63). A la fin de 1999, lunité dévaluation
médico-économique comptait six pharmaciens évaluateurs
(pas tous à plein temps) et un chef dunité économiste
; au début de 2001, cette unité comptait huit pharmaciens-évaluateurs
(dont un en préretraite)
et un économiste (à mi-temps sur la transparence). Un médecin
a été recruté comme chef de lunité à
partir de mars 2001 (3/5e temps)."
Mises à part des lacunes très grave concernant la qualité du travail fourni et l'indépendance des experts on notera les violentes luttes de pouvoir évoquée allusivement par la CC. Difficile d'en savoir plus, la presse n'ayant pas traité le sujet à ma connaissance.
La CC note aussi que "l'admission même au remboursement était trop peu sélective, la quasi totalité des spécialités obtenant d'être remboursées, dès lors que la demande en était présentée. Le taux d'avis défavorables de la commission de la transparence est certes passé de 2,4% en 1999 à 5,9% en 2000. Cependant, outre que ce taux demeure faible, il est artificiellement gonflé par les refus opposés à de nouveaux médicaments appartenant à des classes, dont la commission de la transparence a jugé entre temps le SMR insuffisant. (p. 101)"
Ce comportement totalement laxiste de la commission permet aux stratégies purement et commerciales des firmes de se déployer sans entrave, sans aucun bénéfice pour la santé, car ainsi que le note auparavant par la CC "la majorité des nouveaux médicaments sont des adaptations de produits anciens (extensions d'indications, changement de dosage...) : en 1999-2000, seuls 2% des nouveaux médicaments ont été crédités par la commission de la transparence d'une "amélioration du service médical rendu (ASMR) majeure (niveau I). 84% des médicaments admis au remboursement ne présentaient aucune amélioration du service médical rendu. (...) Face à la stratégie des laboratoires consistant, d'une part à rechercher des extensions d'indications des médicaments, d'autre part à prolonger la durée des brevets et à retarder ainsi l'arrivée des génériques sur le marché, enfin, à lancer de nouvelles présentations, les pouvoirs publics n'ont que rarement révisé les prix à la baisse. (p. 88 et 90)"
Les avis de la commission de la transparence s'imposant techniquement au CEPS qui fixe les prix, ils sont largement responsable de l'augmentation structurelle des prix. Outre la pratique du "guichet ouvert" de la commission, c'est la pertinence de ses avis qu'ils soient défavorables (SMR insuffisant), ou majeurs ou importants qui pose évidemment un problème majeur, à la fois en terme de prix et de santé publique.
Ajoutons que ni la commission de la transparence ni l'AFSSAPS ne se croient tenus de publier leurs travaux dans ce domaine alors que leurs décisions sont au coeur de la politique de santé publique de notre pays.Seules des bribes éparses et lacunaires sont mises en ligne sur le site de l'AFSSAPS.
Pourtant, on sait que les droits d'accès aux documents administratifs ont été encore récemment renforcés. Des particuliers ou des associations pourraient donc en toute légalité demander les comptes rendus des différentes évaluations de l'AFSSAPS, par exemple pour l'évaluation d'un médicament, et notamment vérifier si les différentes personnes ayant la charge de contrôler ou de prendre des décisions sur tel ou tel produit n'ont pas par ailleurs des intérêts dans l'entreprise qu'ils contrôlent, puis agir en justice s'ils ont repéré des irrégularités... Mais il faudrait pour cela un dynamisme et une mobilisation de la société civile sans commune mesure avec ce qu'elle est actuellement. Par ailleurs l'extraodinaire manque de culture juridique des français est dans ce domaine comme ailleurs un gros obstacle à toute action efficace.
Les essais thérapeutiques des labos
et les experts
Certains experts de l'AFSSAPS ont des liens particuliers avec les laboratoires pharmaceutiques. Selon Le Point (16) il s'agit des hospitalo-universitaires. Il faut savoir que chaque année, rien qu'en France, 300 000 malades participent à des essais cliniques sur des médicaments. Les essais des multinationales qui souhaitent lancer un médicament sur les sept pays industrialisés qui absorbent 85% des médicaments atteignent désormais souvent le milliard de franc! Tout cela pour des produits qui sont souvent faiblement innovants mais qui se situent sur l'axe d'une pathologie très répandue, comme l'ostéoporose, l'hypertension, le cholestérol, etc. (17) Selon Le Point, "c'est une bonne affaire (...) pour les médecins hospitaliers auxquels sont sous-traités 75% des 1500 essais cliniques réalisés chaque année en France. La rétribution du laboratoire s'élève en moyenne à 15000 F par malade cobaye, mais elle varie selon la notoriété et la spécialité du médecin. En cardiologie, par exemple, les prix flambent jusqu'à atteindre 50000F! A ce tarif, certains services hospitaliers sont devenus de véritables usines à essais. C'est particulièrement vrai en cancérologie, un domaine qui représente à lui seul 20% des études cliniques effectuées en France. En rémunérant grassement les hospitalo-universitaires qui vont coordonner leurs essais, les laboratoires se mettent dans la poche les "leader d'opinion" (...) Le but du jeu est de monopoliser le maximum de leaders d'opinion pour occuper le terrain face à la concurrence. Et peu importe la dépense. D'autant que ce sont souvent ces mêmes hospitaliers qui siègent au sein de l'Agence du médicament, chargée de délivrer les AMM."
Selon Le Point se sont des sommes énormes qui sont ainsi versées aux médecins hospitaliers soit dans le cadre de conventions passées avec l'hôpital, soit sous couvert d'associations écran qui permettent d'occulter plus complètement les rémunérations des praticiens (ou d'assurer des rémunérations annexes à la convention). Il faut savoir que les multinationales subventionnent de nombreuses associations d'usagers ou de professionnels qui se rendent ainsi lourdement dépendante de leurs "bienfaiteurs". Dans le domaine des associations de professionnels très difficiles à contrôler, la question est de savoir si les fonds ne constituent pas dans certains cas des rémunérations déguisées pour des missions plus ou moins fictives ou des avantages en nature divers.
Le système hospitalier ne récupère souvent que des miettes des essais, c'est-à-dire dans le meilleur des cas les frais supplémentaires générés par l'essai, mais les médecins "oublient" (18) souvent de déclarer les essais et le coût de l'essai reste alors entièrement à la charge de l'hôpital, qui n'en est pas informé ou ferme les yeux pour ne pas affronter les mandarins en place... Seuls quelques très rares centres hospitaliers ont pris des mesures pour enrayer le phénomène. On imagine les liens de subordination des médecins à l'égard de l'industrie pharmaceutique qui peuvent résulter de telles pratiques. Le fait que des médicaments puissent ainsi être évalués en milieu hospitalier, sans convention, aux risques du malade, démontrent sans équivoque comme la caste des mandarins hospitaliers vit dans une totale impunité et n'entend rendre compte à personne de ses actes.
Par ailleurs une autre pratique abhérente qui pose d'importants problèmes de déontologie c'est, selon Le Point "la clause de confidentialité que la plupart des laboratoires prennent le soin de faire signer. Avant de publier le moindre résultat, le clinicien chargé de l'essai doit alors obtenir le feu vert de la firme. Au bout du compte, c'est elle qui décide de ce qu'il convient d'écrire sur les effets secondaires, la tolérance ou l'efficacité du médicament. Et quand l'auteur de l'essai se rebiffe, les ennuis commencent. (...) Comme l'indique le responsable marketing d'une firme pharmaceutique : "Un chercheur n'a aucun intérêt à scier la branche sur laquelle il est assis. En s'entêtant à vouloir publier d'éventuels mauvais résultats, il assèche les caisses de son service hospitalier parce qu'il va se retrouver en quelque sorte sur une "liste noire". Son attitude va faire le tour des laboratoires et ces derniers seront ensuite réticents à lui confier des essais cliniques""
On imagine aussi les risques inutiles que peuvent faire courir aux malades des essais (et aux malades en général) les pratiques que nous venons d'évoquer : essais inutiles ou dangereux initiés ou prolongés alors qu'ils devraient être arrétés, effets secondaires des médicaments mis sur le marché ignorés ou minimisés, par exemple...
C'est dans ce contexte que, depuis la première version de cet article, sont intervenus plusieurs événements importants. D'abord, comme l'annonce un article du Figaro, sous la plume de Jean-Michel Bader, une fronde des revues contre les labos. Face à ce qu'il faut bien appeler la démission complète des pouvoirs publics (ce qu'oublie de préciser Le Figaro!), plusieurs revues scientifiques de premier plan on décidé de s'organiser et de ne plus publier les résultats scientifiques des essais lorsque les chercheurs n'auront pas bénéficié d'une indépendance suffisante. En effet, comme l'écrit Le Figaro, "Les experts hospitalo-universitaires qui signent les essais cliniques et qui sont rémunérés pour cette expertise par les firmes ont perdu le contrôle de l'organisation des essais: ce sont les employés des compagnies pharmaceutiques qui décident des caractéristiques des groupes de patients. Ce sont eux qui rassemblent et analysent les données. Ce sont eux encore qui écrivent la première version du rapport final qui sera présentée au comité éditorial des revues". La encore, Le Figaro oublie de souligner que ces pratiques ne sont rendus possibles que par la vénalité croissante de la nomenklatura universitaire médicale. Car, évidemment, tout est lié: c'est parce que les hospitalo-universitaires se font grassement rémunérer qu'ils font tout pour échapper à la tutelle de l'hôpital qui les emploie, sur le plan financier et organisationnel et que les firmes pharmaceutiques peuvent prendre à ce point le contrôle des évaluations des médicaments. Si la firme pharmaceutique négociait avec l'hôpital et une véritable collégialité médicale, au lieu d'un mandarin isolé, on se doute que le rapport de force serait tout à fait différent...
A peu près au même moment est intervenu une deuxième affaire d'importance qui devrait renforcer leur position de fermeté des revues. On sait en effet que Bayer vient de retirer le Staltor du marché, son anticholestérol vedette de dernière génération suite à de nombreux décès. Comme d'habitude la réaction en France commence par des propos lénifiants et rassurants. Les victimes ne sont qu'aux USA où c'est bien connu les médecins sont bien moins compétent que chez nous, etc. Ainsi Eric Favereau de Libération, dans un article sous-titré "Les cardiologues français ne comprennent pas les raisons du retrait du médicament" donne la parole au professeur Gabriel Steg, cardiologue à l'hôpital Bichat à Paris et, paraît-il, un des meilleurs spécialistes français du cholestérol, qui s'indigne de ce que l'on ait pu retirer ainsi ce remarquable produit. Interrogé sur les effets secondaires, il répond "Bien sûr, il y a des effets secondaires, mais cela se gère". Pas si bien que cela appremment lorsque 500 000 malades prennent le produit en France et que le plupart des atteintes musculaires graves consécutives à la prise du produit ne sont pas mieux repérées chez nous qu'ailleurs par le corps médical. Il est vrai que le dispositif français de pharmacovigilance qui vérouille l'information au niveau du corps médical prescripteur entraîne un sous-repérage et une sous-déclaration systématique des effets secondaires des médicaments (on l'estime à 95% rien que pour les accidents grave ayant nécessité une hospitalisation !).
Or, ainsi que nous l'évoquions plus haut, les anticholestérols de dernière génération ont donné lieu à une surenchère sans précédent des laboratoires à destination des hospitalo-universitaires qui ont été couverts d'or à l'occasion des énormes études financées par les labos. Quand on sait que ce sont au final de plus en plus souvent les labos qui tiennent la plume des mandarins qui publient les études dans les revues spécialisées, on comprend mieux que certains effets secondaires ne soient pas d'avantage soulignés.
A cela s'ajoute que les mandarins en question sont souvent experts à l'AFSSAPS du fait de leur notoriété, et que celle-ci n'effectue qu'un contrôle succinct sur les conflits d'intérêts. En fait, et si j'ai bien compris, aucune règle précise ne fixe par exemple le délais pendant lequel court le conflit d'intérêt. Ainsi, un ou deux ans après avoir dénoué des liens financiers même majeurs avec une firme, l'expert redeviendrait "vierge". Et les régles sont tout aussi flou et les contrôles inexistants, quand aux liens financiers qu'il pourra renouer après avoir participé à une évaluation.
Evidemment tous les mécanismes que nous décrivons ici multiplient dans des proportions considérables les risques de passer à côté d'un risque majeur lors de l'évaluation d'un médicament. C'est, peut-être, ce qui s'est passé pour le Staltor. Bien sûr la presse s'est bien gardée de lier les deux affaires, le Staltor et la révolte des revues scientifiques.
Les essais thérapeutiques ne représentent qu'une partie des sommes énormes que l'industrie pharmaceutique investit pour contrôler les décideurs de la santé (hommes politiques, journalistes, structures associatives...) au travers d'un maillage serré du corps social.
Le lecteur aura compris qu'on ne peut comprendre l'évaluation du SMR des médicaments soit-disant obsolètes qu'à la lumière de ces phénomènes sociaux qui marquent profondément l'expertise dans le domaine du médicament. Nous sommes là en présence de phénomènes qui ne peuvent évidemment être traités par le simple dépôt d'une DPI par l'expert concerné.
Tout cela repose aussi sur une collusion entre milieux politiques, milieux médicaux et industrie pharmaceutique. Et pourtant des lois simples suffiraient à moraliser les problèmes que nous venons d'évoquer. Pour les essais thérapeutiques, il suffirait d'interdire purement et simplement la rémunération des médecins, que rien ne justifie puisqu'ils sont déjà rémunérés pour leurs fonctions hospitalières, et que les essais devraient s'inscrire dans le cadre de leurs fonctions habituelles. Il serait d'ailleurs souhaitable que les sommes versées par les labos le soit non pas aux hôpitaux, mais, par exemple, à un fond dédié à la recherche qui ventilerait ensuite les sommes aux chercheurs, en fonction des priorités de la recherche publique. Ceci afin d'éviter la course aux essais thérapeutiques entre les hopitaux ou les équipes de recherche... On ne s'en sortira pas autrement que par une interdiction des rémunérations, car les liens de subordination entre experts et industriels sont trop complexes et trop nombreux pour la plupart d'entre eux, pour que l'on puisse éviter les conflits d'intérêts en se contentant de préciser les règles applicables à ces conflits. Le lecteur pourra aisément s'en convaincre, je pense, à la lecture de tous les exemples donné ici de la dépendance entre experts et industriels. Par ailleurs les liens de subordination qui se créent dépassent la relation entre une firme particulière et un médecin hospitalier donné. Les anecdotes sont nombreuses sur les médecins qui se sont définitivement "grillés" pour avoir voulu résister pour des raisons éthiques à une firme. Evidemment ils perdent alors quasiment toute chance de travailler pour l'industrie. Cet argument me semble à lui seul suffisant pour comprendre qu'il est vital pour la sécurité des malades et la fiabilité des évaluations de médicaments d'interdire de rémunérer les hospitalo-universitaires. De telles mesures devraient être prises d'abord au niveau français puis européen et enfin mondial.
Pour les clauses de confidentialité, elle pourraient dans un premier temps être interdites en France dans le domaine de la recherche en matière de santé et comme beaucoup de recherches sont également réalisées à l'étranger, toute demande d'AMM d'un médicament pourrait être assortie de ce que tous les chercheurs associés aux essais aient été libérés de leur clause de confidentialité.
Toutes ces mesures pourraient bien sûr être prises au niveau européen, démarche qui ne manquerait pas d'aboutir si elle était soutenue, avec les arguments de santé publique que nous venons d'évoquer, par un pays comme la France.
Encore faut-il que le public soit informé de tous ces problèmes par la presse afin de faire pression sur les hommes politiques, ce qui pose le problème du rôle de la presse dans ce genre d'affaires.
Une presse qui vérouille l'information
Le lecteur aurait tort de penser que le genre d'information que nous exposons ici soit facilement accessible. Les articles qui traitent du sujet qui nous intéresse se comptent sur les doigts de la main et il nous a fallu effectuer des recherches suivies pour nous les procurer. Parmi les journaux "vertueux" qui sont utiles, on trouve Le Point, certaines publications du groupe Nouvel Observateur (comme Science et Avenir), Le Parisien, pour le problème des vaccinations contre l'hépatite B ou dans le dossier de l'amiante mais aussi pour d'autres sujets santé. Souvent la Presse "populaire" se mouille plus que des journaux qui se considèrent comme la presse de référence. Et encore il ne faut pas s'imaginer des rédactions mobilisés pour sortir l'information dans ce domaine. Ce sont aussi parfois des journalistes isolés, mais passionnés par leur sujet, qui réussissent à faire publier leur travail d'investigation. Par exemple Thierry Souccar pour Science et Avenir ou Eric Giacometti du Parisien pour ne citer que deux journalistes dont je connais un peu mieux le travail.
Evidemment on a vu récemment la presse et les associations vitupérer contre les multinationales pharmaceutiques à propos de la mise à disposition des médicaments contre le Sida dans le Tiers Monde, mais est-ce le signe d'une véritable distance critique? Pas du tout, a mon avis, car on en reste à de vagues généralités sur les vilaines multinationales. Ce qu'on oublie de dire, pour continuer sur cet exemple, c'est que la plupart des associations de lutte contre le sida ont des liens plus qu'étroits avec l'industrie pharmaceutique et qu'elles leur servent de caution pour que les patients bénéficient exclusivement de traitements ultraconventionnels issus de la recherche des grosses firmes pharmaceutiques. Mon intention n'est pas de reprendre à mon compte toutes les controverses qui ont eu lieu récemment lors du dernier congrès mondial sur le Sida en Afrique du Sud. Mais tout simplement de rappeler que de nombreux chercheurs académiques ont montré depuis longtemps les bienfaits du traitement par les antioxydants, par certains produits de la phythothérapie, ou par d'autres techniques alternatives à toutes les étapes du traitement de la maladie. Or, figurez-vous que toutes ces découvertes ne débouchent jamais sur le moindre protocole de traitement standardisé! Bien sûr parce que les produits en question ne sont pas brevetables. La seule association française qui ose rendre compte régulièrement de tous ces travaux, l'association POSITIFS, qui a d'ailleurs un des sites internet sur le sida les plus fréquentés du monde francophone, ce qui est bien mérité au vu la qualité des informations qu'elle propose, est privée de toute subvention, dans un secteur pourtant généreusement financé par d'innombrables intervenants. Ce n'est qu'un exemple, mais il en va ainsi dans tous les domaines de la santé ou nous n'avons accès qu'à une information sévèrement encadrée et censurée.
Un des journaux qui s'illustre dans le verrouillage de l'information dans le domaine de la santé, c'est malheureusement Le Monde. Toutes les personnes qui suivent les affaires de santé du côté des victimes, comme l'affaire de l'amiante ou de l'hépathite B ont été souvent écoeurées par l'attitude du Monde qui sert trop la soupe à certains lobbies, en particulier dans le domaine de la santé publique. Je citerais ici Eric Giacometti (19) qui, sur le sujet de l'hépatite B, épingle avec à propos un des journalistes du Monde. Au delà de ce cas particulier, c'est le conformisme du Monde pour tout ce qui concerne la santé publique, l'absence quasi constante dans ce domaine de tout travail d'investigation, voir même de simple réflexion critique, à quelques exceptions près, qui pose problème pour un organe de presse qui se veut de référence et qui donne malheureusement trop souvent le ton général pour la couverture de ces sujets par le reste des médias :
"Les vannes de l'information s'ouvrent peu à peu. France 3 diffuse,
dans le cadre de l'émission "Nimbus", une enquête de Pascale Justice, seul reportage
d'investigation à ce jour sur les écrans. Il vaut à son auteur une descente
en flamme par Le Monde (...). Les avocats des laboratoires adorent en
effet expliquer qu'on ne peut comparer le sérieux du Monde au racolage
du Parisien ou de VSD. Si Le Monde le dit, c'est que c'est
vrai... De fait, les articles de Jean-Yves Nau et ses piges dans la presse médicale
suisse garnissent les mémoires juridiques des laboratoires. Belle affiche :
Le Monde - le journalisme sérieux - au côté des multinationales du vaccin
face à la presse "popu" - au journalisme racoleur défendant les victimes, pour
une bonne partie smicardes et paralytiques. Les anciens trotskistes qui dirigent
le quotidien du soir apprécieront ce délicieux paradoxe. Jamais Le Monde
n'a interviewé un plaignant dans la douzaine d'articles consacrés à ce sujet
au cours des quatre dernières années, ni diffusé la moindre publication scientifique
donnant crédit aux victimes. Alors que les fabricants, les fonctionnaires et
les ministres concernés, ainsi que les médecins favorables au vaccin, ont eu
colonne ouverte pour s'exprimer sans contrainte. Pour Le Monde, la polémique
a surtout été "amplifiée, caricaturée et parfois déformée par voie de presse
écrite ou télévisuelle [7 avril 1998]". N'est-ce pas caucasse de recevoir des
leçons de journalisme en matière de santé publique de la part d'un collaborateur
du Monde blâmé par sa rédaction pour avoir reçu de l'argent de la société internationale
de transfusion sanguine, dont le secrétaire général était le docteur Garetta?
En février 2000, au moment de la publication de nouvelles études évoquant un doute sur l'innocuité du vaccin, Le Monde est le seul quotidien à affirmer l'innocence totale des injections. Même Le Figaro, jusque là peu porté sur la polémique, nuance. Quant à Libération, il a publié les témoignages des deux parties et son chroniqueur médical, plutôt provaccin, a développé les points de vue antagonistes."
Mais qu'attendre d'un journal pour lequel la consécration en matière de presse, s'est de pouvoir être systématiquement invité aux petits déjeuners de presse du président ou du premier ministre, pour y recueillir les derniers états d'âmes de nos seigneurs et maîtres et retranscrire, à destination des lecteurs, la politique de communication qui y tient lieu de réflexion?
Dans notre présentation du site de février 2001 : Le journal Santé, nous avons évoqué le rôle du journal Le Monde dans l'affaire de la créatine, un complément nutritionnel jugé dangereux par l'AFSSA en contradiction flagrante avec les recherches des meilleurs spécialistes mondiaux. Nous y montrions comment, au mépris de l'évidence, Le Monde faisait l'apologie de l'AFFSA comme modèle d'excellence institutionnelle, puis, un peu plus tard, donnait au Dr Gilbert Pérès durement mis en cause dans la controverse sur son 'expertise sur la créatine, l'occasion de faire son propre éloge dans une interview plus que complaisante. Le Monde occultait en même temps totalement le contexte de la controverse scientifique et juridique en cours sur la créatine. Enfin, parachevant son oeuvre Le Monde [cad Jean-Yves Nau] n'hésitait pas à relayer avec le même zèle la tentative d'intimidation policière de l'AFFSA à l'encontre de Sciences et Avenir qui avait mis en cause l'expertise sur la créatine. Plutôt que de faire son "examen de conscience" et de se demander s'il n'y a pas quelque chose chose de pourri au royaume de l'expertise à l'AFSSA, son directeur Martin Hirsch a du penser que la meilleure défense, c'est l'attaque, et a adressé une note de dénonciation à la direction de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des fraudes (DGCCRF). Cette administration, fort utile à certains égards, est malheureusement aussi un des bras armés de l'administration dans sa lutte impitoyable pour boutter hors de France les compléments nutritionnels. Or Martin Hirsch s'est aperçu que Sciences et Avenir passait régulièrement dans ses pages les publicités de Nutranews qui, selon lui, renvoie à un site internet de vente de "produits interdits" [entendez de compléments nutritionnels!]. Martin Hirsh suggèrait donc aimablement à son collègue de la DGCCRF "des poursuites pénales à l'encontre du vendeur et, le cas échéant [nous y voilà], de la société éditrice du magazine qui faisait cette promotion. (20)"
Nutranews.org est le site internet d'une association qui publie le bulletin Nutranews, un des meilleurs bulletins d'information francophone sur la complémentation nutritionnelle. Cette association est elle-même une émanation de la société Smart City qui vend des compléments nutritionnels par correspondance et par Internet. Cette société, française à l'origine, s'est récemment expatriée au Luxembourg car elle était constamment harcelée par l'administration française, mais l'essentiel de sa clientèle est française, ce qui lui vaut une forte hostilité de la part de l'administration, mais de peu d'effet, du fait de son expatriation. On sait que beaucoup d'autres pays européens ont, à l'opposé du nôtre, une attitude très libérale à l'égard des compléments nutritionnels qui peuvent y être achetés et vendus librement. Dans le cadre du marché unique et de la suppression des contrôles douaniers aux frontières, la France ne peut s'opposer à leur circulation, ceci d'autant plus que la position systématiquement hostile de l'administration ne s'appuie sur aucun fondement juridique sérieux. C'est d'ailleurs pourquoi l'administration fait, dans ce domaine, constamment pression sur des agences comme l'AFSSA pour obtenir des "avis" conformes à ses vues afin de légitimer les actions administratives et judiciaires réprésives qu'elle mène inlassablement contre fabriquants et distributeurs.
On voit bien ici à partir d'un exemple précis, comment, avec la complicité d'une presse aux ordres, une institution de notre démocratie peut mettre bas les masques et montrer qu'elle n'hésite pas à recourir à la menace et à l'intimidation. Il faut savoir qu'il ne s'agit pas que d'aimables polémiques avec des journalistes ou des chercheurs. Derrière ces pratiques, ce sont de courageux universitaires qui se retrouvent sur des listes noires pour avoir pris position dans la presse, des cabales contre des journalistes pour essayer d'obtenir leur licenciement, des réseaux d'influence occultes qui s'activent pour discréditer et quand c'est possible nuire à la vie sociale des personnes qui leur font obstacle. En même temps ce type de comportement a paradoxalement un côté rassurant, car il montre qu'apporter une information pertinente et décrire avec précision certaines pratiques crée une forte menace sur ces lobbies et groupe de pression occultes, et que la simple description de leurs réseaux et de leur mode de fonctionnement peut menacer leur existence.
C'est bien pourquoi les laboratoires pharmaceutiques investissent de telles sommes à destination de la presse et des leaders d'opinions, dans des voyages de luxe gratuits ou dans des "ménages" (21). Les liens de la note 16 décrivent bien ce genre de pratiques. Il s'agit justement de s'assurer, outre une promotion zélée de leur produits, que des informations comme celles qui figurent sur cette page ne sortent pas dans les médias. Un problème qui n'est pas identifié en tant que tel est évidemment un problème qui ne recevra pas de solution!
En ce qui concerne les cabales contre les journalistes, il faut au moins signaler la tentative menée récemment par Serge Hercberg (présenté plus haut) contre Thierry Souccar. Celui-ci à l'occasion de la sortie de son livre "Le programme de longue vie - de la science à l'alimentation (22)" avait réservé quelques bonnes pages au Nouvel Observateur, sortant ainsi du lectorat plus réduit et spécialisé de Science et Avenir où il est journaliste. C'est sans doute ce désir de s'adresser à un plus large public et de lui tenir des propos moins convenus que le "mangez de tout un peu et tout ira bien" qui sert de langue de bois aux mandarins français de la nutrition qui a semble-t-il déplu à Serge Hercberg. Le tort de Thierry Souccar et du Dr Jean-Paul Curtay, c'est aussi et surtout d'informer les français de tout un ensemble de recherche confortées par d'innombrables publications scientifiques, qui en temps ordinaire, ne franchissent pas les frontières de l'hexagone et qui, horreur, pourraient les amener à s'intéresser à la complémentation nutritionnelle. Serge Hercberg a donc fait signer à toute une floppée de confrères une lettre des nutritionnistes contre la désinformation nutritionnelle. Mais nous sommes désormais à l'heure d'internet et si on peut toujours discuter tel ou tel argument de Thierry Souccar et du Dr Jean-Paul Curtay, ce n'en sont pas moins des passionnés qui étayent tous leurs propos par une floppée de références à des articles scientifiques et par un solide argumentaire. Or, les doctes madarins français de la nutrition se croient rarement tenus à de telles démonstrations argumentées quand ils souhaitent influencer le grand public. Bref, Thierry Souccar à fait une réponse point par point à Serge Hercberg, en utilisant d'ailleurs souvent des arguments tirés des écrits des signataires de la lettre, ce qui donne un effet "arroseur arrosé" des plus amusants, à l'issu duquel Serge Hercberg se retrouve passablement ridiculisé! La tentative d'intimidation a semble-t-il fait long feu et c'est tant mieux.
Il faut ici souligner le rôle fondamental joué par Internet pour contourner une censure médiatique omniprésente et de plus en plus pesante. Jusqu'à ces dernières années l'information alternative en matière de santé était fragmentée et chacun travaillait dans son coin sans se connaître, les médecins inovateurs était traqués sans pitié par les notables du conseil de l'ordre, etc. Par ailleurs les gens qui possédaientt une expertise alternative ne pouvaient diffuser leur savoir et rencontrer leur public à travers sites personnels et listes de diffusions comme c'est aujourd'hui le cas. Il y a tout lieu de penser que la situation est en train de changer rapidement. C'est bien d'ailleurs ce qui inquiète les pouvoirs publics et provoque des réflexes sécuritaires.
Les mécanismes pervers de la sélection des experts
Toutefois, suite à de nombreux scandales de santé publique, à des affaires de corruption, à des faillites ruineuses et parce que la norme théorique de fonctionnement de la société reste malgré tout la démocratie, le législateur a pris de nombreuses dispositions visant à favoriser la transparence et à sanctionner la corruption et les conflits d'intérêts. Nous nous situons donc aujourd'hui au coeur de cette contradiction, des pratiques d'un autre âge, un personnel non renouvelé, mais un cadre juridique parfois rénové et des attentes sociales fortes, bref dans ce qu'on appelle une situation explosive.
L'attitude de la presse face à l'évaluation du SMR des médicaments par l'AFSSAPS
En ce qui concerne plus précisément l'affaire du SMR des médicaments évalués par l'AFSSAPS, la position de la presse est vraiment scandaleuse. Tous les titres ont repris mot pour mot les déclarations de l'AFSSAPS. Il faut se rendre compte que alors que 20% des médicaments des français étaient menacés de déremboursement pas un journaliste d'une rédaction française n'a pris son téléphone pour appeler les laboratoires concernés, recueillir leur réaction, savoir quels arguments ils avaient utilisé pour défendre leurs médicaments, comment l'AFSSAPS avait travaillé pour établir son évaluation, se faire communiquer les documents d'évaluation des produits, éventuellement leur demander les coordonnées d'un spécialiste du médicament concerné dont l'avis serait différent de celui de l'AFSSAPS. Tous les journalistes ont écrit à peu près ceci "C'est quand même incroyable qu'on ait remboursé jusqu'à aujourd'hui 20% de médicaments inutiles." C'était déjà le cas en 2001 mais c'est toujours la même chose en 2003 quand survient un rebondissement dans le domaine du déremboursement, alors que chacun a eu tout le temps de se documenter et de s'informer sérieusement sur le sujet. On a parfois envie de se pincer tant la situation paraît surréaliste! Et quand le gouvernement a à un moment tranché provisoirement en faveur d'une baisse des prix de ces médicaments plutôt que d'un déremboursement, le discours a été partout le même : "Le chantage à l'emploi exercé auprès du gouvernement par les laboratoires directement concernés - souvent de petites tailles et indépendants des multinationales pharmaceutiques -, ainsi que l'impact négatif présumé qu'aurait eu une mesure radicale de déremboursement des 835 spécialités visées, expliquent la décision prudente du gouvernement (Jean-Yves Nau, Le Monde du 7 juin 2001)." Evidemment alors qu'aucun adversaire au déremboursement n'est autorisé à s'exprimer dans les médias, la "mansuétude" supposée du gouvernement fait l'objet d'une attaque en règle dans... devinez... Le Monde, dans une tribune de Jean-François Bergmann, ancien vice-président de la commission de la transparence (celle-là même qui vient de procéder à l'évaluation) qui interpelle de façon particulièrement méprisante "Madame Michu, grande croqueuse de veinotoniques, sa fille accro au magnésium, son mari buveur de gouttes "pour la mémoire", son petit-fils "immunostimulé" pour éviter les otites." Tous médicaments qualifiés de placébothérapie au mépris d'innombrables études scientifiques que les experts de la commission de la transparence et M. Bergmann sont visiblement les seuls à ne pas connaître! A noter que la lecture de la DPI 1999 de M. Bergman à l'AFSSAPS est des plus édifiantes puisqu'il travaille pour un nombre impressionnant de laboratoires de premier plan, ce qui pose, comme pour tant d'autres experts, et de façon aïgu, la question de savoir quels sont les intérêts qu'il défend en s'exprimant de façon aussi véhémente et quel peut être son indépendance dans son travail à l'AFSSAPS.
Ajoutons à propos du petit-fils "immunostimulé" qu'il s'agit très probablement d'une allusion au BIOSTIM dont l'avis nous a servi d'exemple, supra, pour illustrer les carences de l'évaluation faite par la commission de la transparence.Les décisions prises par le gouvernement
Ainsi que nous l'indiquions le gouvernement socialiste à au départ semblé faire partiellement marche arrière, c'est-à-dire renoncer à dérembourser les 840 médicaments au SMR prétendument insuffisant. Toutefois, des baisses de prix auraient été décidées, permettant selon Le Monde des économies de l'ordre de 800 millions de francs sur un chiffre d'affaire de 10 milliards de francs pour les médicaments concernés (si tous les déremboursements étaient effectués).
Sans contester qu'une petite partie de ces déremboursements soient justifiés, il faut les mettre en rapport avec des d'autres enjeux comme les "pseudo innovations". Nous avons ainsi passé beaucoup de temps à montrer sur d'autres pages de Gestion Santé que les statines qui coutent 530 millions d'euros (3,5 milliards de francs) à la collectivité, sont prescrites sans aucun fondement à la majorité des patients et qu'elle peuvent entraîner des effets secondaires très sérieux. Ainsi sur cette seule catégorie de médicament les économies que l'on pourrait faire par une prescription judicieuse et raisonnée sont très largement supérieures aux économies à attendre de la totalité du déremboursement des médicaments à SMR insuffisant ! Plus récemment encore les les AINS (anti-inflammatoires non stéroidiens) de dernière génération (Vioxx et Celebrex) ont obtenu des prix extrèmement élevés de mise sur le marché par rapport aux produits concurrents plus anciens. La publication d'études scientifiques plus complètes et l'examen de leurs conditions de prescriptions par les praticiens à montré qu'ils ne possédaient pas l'amélioration du SMR qui avait justifié les prix de mise sur le marché. Ces nouvelles données auraient dû entrainer une réévaluation en urgence et un réalignement sur les prix des médicaments de référence ou un déremboursement en cas de refus du fabriquant. Est-il besoin de préciser que l'on attend toujours le rééxamen en question ? Les enjeux financiers sont pourtant ici aussi colossaux...
En ce qui concerne les baisses des prix des médicaments à SMR insuffisant (à la place du déremboursement pur et simple), il faut savoir que beaucoup de ces produits avaient déjà des prix bas et que cette baisse de prix peut mettre en question leur viabilité commerciale. Selon un pharmacien avec lequel j'ai discuté de la question, les produits concernés vont dans un premier temps rester à leur taux de remboursement avec un prix plus faible jusqu'à ce qu'ils repassent devant la commission de remboursement (un médicament repasse tous les 5 ans devant cette commission), les labos encaissant la baisse pendant cette première période. Dans un deuxième temps, à l'expiration de ce délai (selon un calendrier spécifique à chaque médicament), les labos risquent de ne pas représenter les produits à la comission de remboursement s'ils estiment que le produit à une clientèle hors prescription suffisamment importante. Etant déremboursés, leurs prix deviennent libres, c'est à dire sont multipliés par deux ou trois par rapport à l'ancien prix servant de base au remboursement. De plus, les labos ont tendance à réduire leur réseau de distribution directe (qui coûte fort cher), et à obliger à passer par les grossistes répartiteurs pour nombre de produits. Un intermédiaire de plus tire les prix à la consommation vers le haut. Exemple : Sargenor remboursé 18.70F , prix moyen aujourd'hui non remboursé 75.00F. Le Cogitum acheté directement au labo: prix de vente pharmacie 47.50F. Le même acheté via le grossiste (à marge identique) 77.00F.
En fait la situation devrait aboutir à des résultats très divers selon les
produits et certains petits labos vont sans doute faire un effort pour maintenir
leur produits sur la liste des préparations remboursées de même pour certains
de ceux qui ne sont pas en vente libre et ont besoin d'une ordonnance pour être
délivrés. Par contre, je soupçonne certains gros labos d'avoir délibérément
sabordés certains de leurs produits, en particulier pour tout ce qui concerne
la classe des produits neuroprotecteurs à large spectre d'action, dont de plus
en plus d'études prometteuses montrent qu'ils sont de remarquables protecteurs
neurologiques (LUCIDRIL, NOOTROPYL, HYDERGINE, NICERGOLINE, ...). Or ces produits,
parfois classés dans la classe des vasodilatateurs, font souvent aussi bien
que des produits coûteux concurrents (ou surtout devant arriver sur le marché
prochainement) utilisés dans le traitement des affections neurologiques très
diverses qui peuvent affecter le sujet âgé. En plus, ils peuvent être utilisés
de façon préventive, étant quasi dépourvu d'effets secondaires (ils ont en fait,
si l'on peut dire, des effets secondaires positifs sur le métabolisme similaires
aux antioxydants). Seulement les labos refusent de financer les études couteuses
qui permettraient d'élargir l'éventail de prescription de ces produits, tombés
dans le domaine public. Je pense que les labos redoutent un glissement des prescriptions
vers cette classe de médicaments et vont tout faire pour retirer ces produits
du marché ou pour les marginaliser et ne les rendre disponibles qu'à des prix
très élevés, sans remboursement, selon le mécanisme ci-dessus décrit (c'est
ainsi que le remarquable LUCIDRIL vient d'être retiré du marché).
Des modalités de travail des experts tout à fait inacceptables et des propositions concrètes d'amélioration de cette situation
Au-delà des conflits d'intérêts qui jettent la suspission sur l'intégrité et l'indépendance des experts des agences française de santé, il existe également un problème fondamental qui concerne les procédures et les méthodes de travail. Les deux problèmes sont souvent liés dans la pratique, mais il s'agit en fait de problématiques distinctes.
Le cas de la créatine et de son évaluation par l'AFSSA (23), évoqué tout à l'heure, est à cet égard tout à fait paradigmatique, non pas tant par l'importance du produit lui-même, que de par ce qu'il révèle de certaines méthodes de travail au sein de l'agence. On retrouve ces méthodes aussi bien à l'AFFSA qu'à l'AFSSAPS. Le cas de la créatine ayant été mieux analysé grâce à la presse d'investigation nous permet de mieux comprendre la problématique en cause.
Nous allons d'abord énumérer les pratiques discutables que nous avons repérées, puis proposer des solutions pour les corriger.
- Tout d'abord une nomination de l'expert qui semble avoir été faite non pas selon des critères de compétence, mais "politiques", le spécialiste habituel de la créatine à l'AFSSA ayant été écarté.
- Une absence de travail d'équipe et de collégialité à l'intérieur de l'agence. Même si le rapport est soumis à la commission ad hoc avant de faire l'objet d'un avis, il ne s'agit que d'une pratique purement formelle d'enregistrement et non d'une procédure de discussion ou d'évaluation.
- Caractère essentiellement "secret" de la procédure d'évaluation tant en interne (saisine, désignation de l'expert, avancement de la procédure d'évaluation) qu'en externe (aucun contact n'est établi avec le milieu de la recherche ou avec les sociétés distributrices). En effet, les experts internationaux dont les travaux de recherche sont utilisés, et qui continuent pourtant à travailler sur le produit ne sont consultés à aucune étape du travail d'évaluation. Cela vaut au rapporteur une volée de bois vert, le contenu des travaux de ces experts et leurs conclusions ayant été, selon eux, largement dénaturés. D'autre part, alors que le rapport va servir d'expertise pour appuyer des décisions administratives et judiciaires, les sociétés distributrices de ces produits ne sont consultés à aucun moment et ne peuvent donc faire valoir aucune information technique ou scientifique (sécurité des process et normes de qualités de la fabrication, pureté des produits, traçabilité d'une part, analyse de la littérature scientifique et tout autre élément pertinent susceptible de constituer un contre-argumentaire, d'autre part).
- Recours, de façon arbitraire, à des notions tel que le principe de précaution pour limiter l'accès au produit. Voir les remarques pertinentes faites à ce sujet par Isabelle Robard pour Le Journal Santé.
Ceci nous conduit à proposer une déontologie du travail d'expertise qui nous paraît constituer une norme minimale susceptible de garantir la qualité du travail présenté par les agences de santé. Les agences de santé étant amenées à rendre des avis susceptibles d'orienter l'action publique, de servir de référence à des procédures administratives ou judiciaires, un citoyen responsable paraîtrait fondé à demander l'annulation auprès du tribunal administratif de tout avis qui ne respecterait pas ces normes.
- Une véritable monographie d'une qualité scientifique irréprochable, faisant la synthèse actualisée des données scientifiques disponibles doit être une priorité et servir de base à la réflexion des acteurs;
- Travail d'équipe à l'intérieur des agences. Les experts des agences peuvent être spécialisés. Les avis sont confiés à un expert spécialiste du secteur concerné auquel on adjoint deux ou trois autres experts qualifiés afin de réaliser un véritable travail d'équipe. Si l'expert normalement compétent n'est pas retenu, cette décision doit être motivée par la directeur de l'agence. Avant d'être définitivement rendu, l'avis fait l'objet d'un projet d'avis, lequel est débattu en commission générale qui évalue la qualité du travail scientifique présenté et vérifie que le caractère public et contradictoire de la procédure a été respecté. Cette réunion fait l'objet d'un rapport écrit motivé qui accepte, refuse ou demande modification du projet d'avis.
- L'évaluation scientifique outre l'évaluation du rapport proprement dit, vérifie notamment que les experts ont effectué une consultation suffisamment large des meilleurs spécialistes du secteur concerné. Elle vérifie que l'évaluation a eu un caractère interdisciplinaire suffisant. Ainsi, par exemple, l'évaluation d'un médicament ne pourra en aucun cas être effectué uniquement par des médecins, mais devra associer également chimistes, biochimistes, toxicologues, etc.
- L'ensemble des acteurs sociaux concernés doivent être consultés et les données scientifiques et statistiques qu'ils produisent prises en compte. Dans le domaine du médicament, il pourra s'agir des sociétés scientifiques, des données issues de la CNAM ou des autres institutions de santé, des syndicats professionnels et des associations représentatives dans le domaine de la santé;
- Le caractère contradictoire s'assure que les fabricants et distributeurs ont pu faire toutes les remarques utiles. Leurs sont spécifiquement demandés les normes de fabrication, de traçabilité, de pureté du produit, les normes de qualité, etc. Les fabricants peuvent également apporter des éléments d'information à caractère scientifique qui sont examinés par l'agence.
- Ces différentes mesures devraient par ailleurs assurer une évaluation réaliste du risque qui pourrait justifier, le cas échéant, l'utilisation du principe de précaution.
Tout ces éléments nous paraissent pouvoir assurer un excellent niveau de crédibilité au travail d'expertise des agences de santé.
Application de ces normes au cas de l'évaluation du service médical rendu des médicaments par l'AFSSAPS
Les données disponibles sur le site de l'AFSSAPS sur le SMR des médicaments évalués se rapprochent du degré zéro de l'information. En effet, classés selon une thématique très artificielle par discipline, la liste n'indique que l'évaluation retenue! On ne peut même pas accéder à une liste de l'ensemble des médicaments classés par ordre alphabétique. Aucun lien ne permet d'aller de cette liste à l'avis de la commission de la transparence. En utilisant le moteur de recherche on réussit à trouver un certain nombre des avis de la commission de la transparence éparpillés au milieu de nombreux autres documents et évidemment sans lien avec une rubrique générale. Seule une petite partie des avis semble avoir été mis en ligne, d'après les quelques sondages fastidieux que nous avons pu effectuer... On se moque vraiment du citoyen !
Nous avons donné plus haut l'exemple de l'avis sur le BIOSTIM et analysé la jurisprudence du CE sur les évaluations d'autres produits dans un autre document. Le CE a notamment pu confirmer que la commision de la transparence n'a même pas effectué une analyse différenciée des différentes indications du médicament correspondant à son autorisation de mise sur le marché. Considérant certaines indications plutôt que d'autres, sans explication ni justification, elle s'est fondée sur celles-ci pour donner un SMR souvent très défavorable! Incroyable légèreté ! En ce qui concerne les alternatives thérapeutiques, la commission a utilisé l'argument d'autorité "Il y a des alternatives thérapeutiques" sans le plus petit justificatif scientifique !
On s'attendrait, si la commission a effectivement effectué un travail approfondi à une monographie d'une dizaine de page sur chaque médicament suivie d'une imposante liste de références scientifiques. Outre qu'il n'est pas disponible en ligne, ce travail préalable qui en conditionne d'autres n'a visiblement pas été effectué ! Le fait qu'aucun média n'ait réagi face à cette incroyable pénurie d'information et n'ait cherché à en savoir plus en dit assez sur les moeurs d'une démocratie à la dérive... Quid de l'analyse des pathologies traités par chaque produit, Quid de l'effet du médicament sur la pathologie ? Quid des négociations avec l'industrie pharmaceutique censées apporter un contre argumentaire ? Mystère et remystère !
Outre les vasodilatateurs et antioxydants cérébraux déjà évoqués, citons quelques produits relevés dans la liste et dont nous sommes convaincus de l'utilité. On ne peut manquer d'évoquer les veinotoniques protecteurs cérébraux comme le Ginkgo biloba, dont la classification dans les SMR insuffisant laisse pantois, compte tenu du nombre d'études scientifiques qui sortent chaque année pour en confirmer les remarquables propriétés. Il faut sans doute y voir le signe de l'hostilité traditionnelle de la nomenklatura médicale française à l'égard de tous les produits non brevetables de la phythothérapie, tant ces produits pourtant peu présents parmi les spécialités remboursables, ont quasiment tous déchainés la fureur des experts (ainsi de l'excellent Madecassol à base de centella asiatica (24)). Que le Ginkgo biloba ait pu être ainsi classé en SMR insuffisant au mépris de toutes les données scientifiques récentes disponibles révèle bien également le sentiment d'impunité des évaluateurs qui se sont visiblement crus tout permis (la modification du taux de remboursement du Ginkgo biloba a été annulée par le CE).
Il semble par ailleurs que les évaluateurs aient joué au maximum, pour les produits auxquels ils étaient hostiles, sur une définition aussi étroite que possible de l'indication pour lequel le produit a bénéficié au départ d'une AMM. Beaucoup de ces produits ont bénéficié depuis d'études dans de nombreux domaines, certaines d'une grande qualité, qui ont très largement ouvert l'éventail de leurs indications. Souvent ces études recoupent et élargissent ces indications de départ. Evidemment, il n'a été tenu aucun compte de ces recherches et tout a été interprété dans le sens le plus restrictif possible. Dans certains cas, comme le montre la jurisprudence du CE, les évaluateurs n'ont même pas hésiter à ne retenir que l'indication la moins intéressante du produit pour mieux pouvoir l'assassiner !
Dans les autres produits passés en SMR insuffisant on note aussi le magnésium dont seules les formes injectables reçoivent un SMR important, toutes les autres étant jugée en SMR insuffisant. Le SMR important vient sans doute de ce que le magnésium injectable est utilisé de plus en plus fréquemment en urgence cardiaque (infarctus) avec de très bons résultats et que l'agence de la transparence n'a pas osé affronter ouvertement les hospitaliers qui l'utilisent. Il faut croire que le même produit donné 15 jours ou un mois avant, par voie orale, en prévention d'un risque d'infarctus, éventuellement dans une préparation synergique avec de la vitamine B6 est dépourvu de toute activité thérapeutique dans ce domaine! La plupart des sociétés scientifiques de cardiologie sont pourtant d'un avis différent et reconnaissent au magnésium le rôle d'un cardioprotecteur majeur (25). Le magnésium possède d'ailleurs d'innombrables autres propriétés thérapeutiques en matière de santé et toutes les études épidémiologiques montrent qu'une part importante de la population est carancée en magnésium... Pourtant le décret fixant l'évaluation précise que celle-ci doit prendre en compte le caractère préventif du traitement et son impact en terme de santé publique. La commission sait d'ailleurs s'en souvenir lorsqu'il s'agit de décerner le SMR des traitements du cholestérol élevé en dehors de toute pathologie avérée.
Parlons enfin de la N-Acétyl-Cystéine (NAC), un acide aminé dont le pouvoirs mucolytique et antioxydant est particulièrement efficace dans les désordres et maladies pulmonaires en particulier bronchiques. Toutes les études le confirme depuis plus de trente ans et les mécanismes biochimiques du phénomène sont désormais parfaitement compris: la NAC augmente le taux de gluthation, un antioxydant puissant et versatile, mécanisme encore plus efficace lors de l'administration symultanée de vitamine C (26). Les experts de l'AFSSAPS doivent être les seuls experts internationaux a ne pas avoir connaissance de telles études.
Par ailleurs, dans l'ensemble des évaluations réalisées, et en contradiction tant avec la commande ministérielle qu'avec le décret de 1999, le caractère préventif des traitements ne semble pas du tout pris en considération pour l'évaluation des médicaments. Au contraire, tous les produits qui pourraient contribuer à une protection ou à une stimulation relativement large du métabolisme semblent particulièrement visés par le travail de destruction de l'agence de la transparence qui semble vouloir priver le corps médical de tout outil de prévention au bénéfice de l'aspect uniquement curratif.
L'irresponsabilité juridique des agences de santé reconnue par le Conseil d'Etat
Pour aggraver une situation déjà catastrophique, le Conseil d'Etat a rendu un avis lourd de conséquences, bien que passé totalement inaperçu.
Il faut savoir que la commission de la transparence de l'AFSSAPS n'en est pas à son coût d'essai est à déjà rendu dans le passé des évaluations pour service médical rendu, et que deux d'entre elles ont été attaquées par une société pharmaceutique pour des évaluations effectuées en 1999.
Or le Conseil d'Etat a considéré que ces avis n'avaient, pour ainsi dire, pas d'existence propre et ne pouvaient être attaqués. En effet, ils ne constituaient que des documents préparatoires dans le cadre d'une procédure ministérielle devant aboutir à décider si le médicament devait être remboursé et à quel prix. L'avis de la commission de la transparence n'étant, selon le Conseil d'Etat, qu'un document préparatoire à cette véritable décision, et l'avis n'obligeant pas le gouvernement dans sa décision, ne pouvait, à ce titre, pas être lui-même attaqué.
On ne saurait anéantir avec plus de désinvolture tout le travail du législateur qui, en créant des agences de santé, à voulu se doter d'une expertise indépendante de qualité, destinée à éclairer avec impartialité les pouvoirs publics, afin d'éviter la répétition de très graves problèmes de santé publique et d'une façon générale favoriser la prise de décisions plus impartiales et plus équitables.
Après que le premier pilier de ce dispositif ait été mis à bas, à savoir l'indépendance et la fiabilité des experts des agences, c'est le second qui vient d'être lui également détruit, avec une désinvolture particulièrement irresponsable, à savoir que les agences doivent rendre compte de la qualité et de l'objectivité de leur travail, ce qui suppose qu'il existe un recours pour abus de pouvoir contre l'ensemble des décisions qui sont prises en leur sein.
Certes une jurisprudence récente vient de montrer que le CE accepte d'examiner la pertinence des avis de la commission de la transparence lorsque ceux-ci servent à justifier une autre décision, en l'occurence une modification du remboursmement du médicament justifiée par le SMR attribué par la commission.
Mais même avec cette nuance, on peut dire que le mal est déjà immense. En effet comment peut-on être assez cynique pour faire croire que les avis de SMR des médicaments n'ont pas d'autre objet que de définir un taux de remboursement et n'engagent pas au-delà tout le travail scientifique de l'agence du médicament et l'orientation de la politique de santé publique en général dans notre pays? Evidemment bien d'autres avis rendus par les agences sont également concernés par l'application du même pseudo raisonnement.
En fait c'est toute la cohérence de l'évaluation de la politique du médicament et notamment de la valeur de l'évaluation des nouveautés qui est en jeu et la possibilité pour la société civile et pas seulement pour l'industrie pharmaceutique de s'assurer de la légitimité des décisions de la commission de la transparence.
Quoi qu'il en soit, on imagine sans peine les conséquences catastrophiques qui vont en résulter quant à la qualité du travail fourni par les agences de santé, compte tenu des conflits d'intérêts qui y règnent. Ceci alors que les avis des agences servent de référence pour la presse, l'information du public et des professionnels et sont un élément clé de l'action des pouvoirs publics...
L'avis évoqué se trouve en lien interne, pour information (merci de vous reporter aux textes officiels pour un document ayant valeur légale).
Notre nouveau document "Revirement de jurisprudence au Conseil d'Etat" donne le détail et les conséquences de la nouvelle jurisprudence du CE de 2003 qui atténue la précédente de façon significative.
Ainsi, le fonctionnement de l'agence de la transparence de l'AFSSAPS reproduit tous les mécanismes qui caractérisent les conflits d'intérêts dans le monde français de l'expertise en matière de santé, ce qui pose problème, tant au niveau du simple respect de la légalité, que du fonctionnement du système public de santé dans notre société. L'information transmise sur l'évaluation du SMR des médicamments français est marquée par la culture du secret et l'opacité à tous les niveaux que ce soit à l'AFSSAPS ou au ministère de la santé.
Les documents d'information mis à disposition du public et des médecins sur le site Internet de l'agence sont d'une scandaleuse indigence et traduisent bien, parmi tant d'autres éléments, le mépris profond du service public qui caractérise le travail de l'agence. Cette indigence ne trouve aucun frein à l'extérieur de l'agence dont les scandaleuses méthodes de travail sont visiblement confortées par le ministère de la santé. La désinformation gouvernementale est par ailleurs complaisamment relayée par les médias et les leaders d'opinions.Les décisions de l'agence sont la parfaite contrepartie de la stratégie marketing des multinationales de la pharmacie qui souhaitent voir procédé à l'éviction des médicaments anciens, qui ne sont plus brevetés, dont le prix est faiblement rémunérateur et qui sont des concurrents de fait d'innovations souvent discutables. Cette stratégie s'accompagne d'un discours pseudo-scientifique visant à faire croire à un progrès linéaire des connaissances dans le domaine de la pharmacie, alors qu'au contraire, il s'agit d'un domaine où le progrès est particulièrement irrégulier, d'autant que la véritable innovation n'est plus la véritable priorité des industriels comme le révèle le tout petit nombre d'amélioration du service médical rendu décernées chaque année (innovations dont la réalité est d'ailleurs souvent remise en cause par les spécialistes indépendants comme ceux de la revue Prescrire). D'ailleurs de nombreux médicaments anciens gardent toute leur pertinence et trouvent même régulièrement de nouvelles applications. Encore faut-il que l'agence de santé veuille bien tenir compte des publications scientifiques disponibles et que les nouvelles applications thérapeutiques des médicaments débouchent sur un élargissement des AMM, ce qui n'est pas souvent le cas, faute de financeur, pour les produits les plus anciens.
En ce qui concerne la qualité du travail scientifique fourni, celle-ci semble déplorable et ne correspond en aucun cas aux normes même minimales de scientificité qui pourraient être satisfaites sans difficulté particulière par un pays développé comme la France. Le préjudice en terme de santé publique est énorme puisqu'aucune classification comparative cohérente ne résulte de l'évaluation effectuée est que cette évaluation indigente va lourdement hypothéquer l'évaluation des nouveaux médicaments. Il en va évidemment de même dans le domaine financier d'autant que le prix des nouveaux médicaments vient d'être largement libéralisé.
On ne peut que noter, à partir de l'analyse succincte de quelques produits et de la jurisprudence récente du Conseil d'Etat, que ce ne sont pas des critères scientifiques qui, en fin de compte semblent avoir été pris en compte pour effectuer le classement, mais d'autres critères qui n'ont, à l'évidence, pas pour but de rendre disponible à l'usager du système de santé français des médicaments éprouvés, variés et efficaces, de nature tant à prévenir qu'à ralentir ou à traiter les différentes pathologies qui pourraient l'affecter...
(5) citation tirée d'un dossier du Point n°1494 du 4 mai 2001, "La République des copains" qui traite de plusieurs questions en rapport au sujet traité ici, et dont nous tirons une partie de nos informations.
(6) Définition : Un marché est qualifié d'oligopole quand le nombre de firme de la branche est si faible que chacune doit prendre en compte les réactions de ses rivales pour formuler sa politique de prix. L'Oligopole se caractérise par une tension continuelle entre deux buts contradictoires :(7) Sous-administration dans la mesure où la sécurité sociale engloutit des sommes désormais largement supérieures au budget de l'Etat et que les dépenses ne font l'objet de quasiment aucun contrôle.
(8) Nous avons déjà évoqué cette affaire lorsque nous avons présenté Le Journal Santé dans les sites du mois. Si nous nous référons fréquemment au magazine Le Point et au Journal Santé, c'est qu'ils font partie des rares médias à apporter des informations pertinentes sur les sujets de santé publique dont nous traitons ici.
(9) Nous avons également traité de la question des AJR en introduction de notre page sur les suppléments en vitamine B.
(10) Le Point n°1494, op. cit.
(11) Présentation de l'étude SU.VI.MAX. par la fondation pour la recherche médicale. Le site de SUVIMAX était indisponible lorsque nous avons écrit cette page. A noter que l'étude porte sur une complémentation à des doses nutritionnelles, c'est-à-dire avec des compléments assez faiblements dosés et sur un petit nombre de nutriments ce qui va singulièrement en limiter la portée contrairement à ce qu'annoncent les promoteurs de cette étude extrêmement coûteuse.
(12) Remercions Le Point dont les enquêtes sur l'AFSSA ont fait se précipiter les experts pour rendre leur DPI...
(13) L'AFSSAPS indique toutefois, en réponse au remarque critique de la Cours des Comptes sur l'indépendance de ses experts, que la cellule "procédures et déontologie" dispose de l'intégralité des déclarations d'intérêt des membres et experts auprès de la commission, les conflits d'intérêt avant le choix du rapporteur étant systématiquement vérifiés (rapport CC 2001, p. 510"). Le rôle du rapporteur par rapport aux autres experts intervenant éventuellement n'est pas précisé, ni si la déclaration est actualisée à la date de la séance. L'AFSSAPS reconnaît par ailleurs que par rareté de compétence, certains experts sont rapporteurs et que le fait est simplement annoncé en commission.
(14) L'article 432-12 du Code Pénal sanctionne la prise illégale d'intérêt anciennement appelé "délit d'ingérence" (voir lien). L'article 432-12 est ainsi rédigé : "le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de services publics, ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de 5 ans d'emprisonnement et de 500 000 F d'amende." Il faut comprendre, selon nous, les dispositions de la loi de 1998 précitée, sur les experts extérieurs aux agences, comme signifiant que ces experts extérieurs se voient appliqués par extension des dispositions similaires à celles de l'article 432-12 auxquels les agents permanents de ces agences sont soumis de facto, de par leur statut, qui les font concourir à l'exercice d'une mission de service public.
(15) Eric Giacometti "La santé publique en otage - Les scandales du vaccin contre l'hépatite B", Albin Michel, 2001 (p. 148-150). Je conseille vivement la lecture de cet ouvrage qui, faut-il s'en étonner, n'a eu lors de sa sortie l'écho que méritait cet excellent travail d'investigation. L'ouvrage contient aussi de précieux renseignements sur "l'entrisme" des sociétés pharmaceutiques dans les organismes internationaux comme l'OMS. C'est aussi un précieux "bottin mondain" de l'affairisme dans le domaine de la santé.
(16) Le Point n° 1445 du 26 mai 2000.
(17) Problèmes de santé ou justement les compléments alimentaires et les médecines alternatives obtiennent d'excellents résultats sans effet secondaire. Faudrait-il y voir une raison supplémentaire à la violente hostilité des lobbies médicaux et pharmaceutiques à leur égard?
(18) Dans un tiers des cas selon un sondage effectué sur l'année 1996 par la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes au centre hospitalier régional et universitaire de Grenoble.
(19) Ouvrage précédemment cité, p. 135-137. Giacommetti décrit sans complaisance l'attitude de l'ensemble des protagonistes de l'affaire de l'hépatite B. Néanmoins ce passage est un des plus sévères du livre. Interviw par TOCSIN.net avec le lien qui contient des informations complémentaires sur la collusion presse - laboratoires. Une autre interview par le journal L'Impatient.
(20) Cf. Le Monde du 25 mars 2001 et Sciences et Avenir de mai 2001.
(21) Les "ménages" sont des activités d'animations diverses, comme animer un débat, réaliser un publi-reportage... confiées à des journalistes par le monde de l'entreprise. Ils sont payées souvent fort cher, en fonction de la notoriété du journaliste et de son influence comme leader d'opinion. Là encore peuvent se créer des liens de subordination importants.
(22) "Le programme de longue vie - de la science à l'alimentation" du Dr Jean-Paul Curtay et Thierry Souccar, Seul, 1999.
(23) Nous tirons notre information de plusieurs articles parus soit dans Sciences et Avenir, soit dans Le Journal Santé. Voir aussi notre page présentant Le journal Santé.
(24) Pour l'anecdote le Madécassol est un cicatrisant majeur obtenu à partir de la plante malgache Centella asiatica. C'est un professeur du CNRS, le Le Professeur Ratsimamanga qui en a démontré scientifiquement les propriétés. Les redevances qu'il a reçues pour ces découvertes ont été consacrées à fonder l'IMRA, l'Institut Malgache de Recherches Appliquées qui a actuellement le statut de fondation reconnue d'utilité publique. Voilà un bel exemple de désintéressement que l'on ne risque pas de retrouver parmi la coterie des experts de l'AFSSAPS.
(25) Pour une courte et claire mise au point sur ce sujet on peut, par exemple, consulter "Le programme de longue vie" de Jean-Paul Curtay et Thierry Souccar, Seuil, 1999, p. 226. Pour ceux qui veulent obtenir plus de références scientifiques sur le magnésium, je conseille la base de donnée de The Magnesium Web Site ainsi qu'une bonne page en français du site Biogassendi.
(26) Pour plus de précisions, consulter notre
page sur la vitamine C.
Revirement de jurisprudence au Conseil d'Etat
Site de février 2001 : Le journal Santé
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Créé le 18/07/01. Dernière modification le 01/09/01.