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Rubrique Livre de Gestion Santé

"Patients, si vous saviez - Confessions d'un médecin généraliste"

de Christian Lehmann

 

Nouvelle rubrique de l'été 2003, Gestion Santé vous présente des livres marquant dans le domaine santé. Sont particulièrement pris en compte pour la sélection des ouvrages, la qualité scientifique, la précision de l'analyse socio-politique du monde de la santé, les analyses de ses dysfonctionnements, la présentation d'approches alternatives.

Pour introduire la rubrique nous avons choisi un ouvrage récent :

Christian Lehmann, "Patients, si vous saviez - Confessions d'un médecin généraliste", Robert Laffont, 2003.

 Lien vers l'édition de poche mise à jour sur amazon

 

 

L'auteur

Nous avons déjà brièvement présenté Christian Lehman à l'occasion de notre page récente "Polémique autour d'une campagne d'information sur le taux de cholestérol". où nous reproduisions une excellente chronique qu'il avait coécrite avec Martin Winckler à propos d'une campagne d'information plus que discutable coorganisée par l'ARCOL et la multinationale Pfizer.

Christian Lehmann nous semble à la fois très représentatif de la médecine traditionnelle et en même temps... très peu représentatif.

Très représentatif parce qu'il est un médecin de famille généraliste, surchargé comme presque tous ses confrères, qu'il pratique les visites de jour et les gardes de nuit... et qu'il prescrit semble-t-il, d'après les nombreux exemples qu'il donne de sa pratique, uniquement en "traditionnel" ; tout ce qui se rapproche de près ou de loin à une médecine complémentaire ou alternative lui est inconnu ou en tout cas il écrit comme s'il s'agissait pour lui d'un univers qui lui est totalement étranger.

Il est peu représentatif puisqu'il trouve le temps de mener une vie de famille, d'écrire de nombreux romans, d'éplucher la revue Prescrire et de se tenir à jour de l'actualité scientifique médicale en particulier dans le domaine du médicament. Il a également eut une expérience d'urgentiste de plusieurs années en milieu hospitalier avant d'exercer la médecine générale. Enfin, il semble aussi très préoccupé en tant que citoyen engagé (comme le montrait la chronique que nous avons reproduite), du statut du médecin, de sa place dans la société, de l'évolution très inquiétante du système de santé en France et dans le monde... On pourra lire aussi sur ces questions l'ouvrage de 2007 qu'il a également consacré à la santé, "Les fossoyeurs".

Le sujet de l'ouvrage

La construction du livre "Patients, si vous saviez..." repose au départ sur le déroulement de vignettes mettant en scène la relation malade - médecin, prises sur le vif, au plus près de la pratique quotidienne de l'exercice médical du généraliste. L'auteur arrive ainsi remarquablement à faire ressentir son quotidien de médecin. Ces vignettes alternent et viennent aussi illustrer des développements plus généraux, sur le traitement proposé, la place des examens complémentaires biologiques ou autres et leur utilité, quand hospitaliser, l'erreur médicale, l'exercice de la profession, les aléas de la relation médecin-malade, etc. Dans une deuxième partie, qui commence vers la page 160 (1), la réflexion quitte la pratique quotidienne pour explorer une série de sujets de santé publique qui ont des incidences notables sur la pratique médicale du généraliste.

Le talent d'écrivain de l'auteur donne à la première partie, fort bien construite, une grande qualité humaine et se révèle en plus d'une très grande richesse sur le plan de l'information médicale. Ces qualités humaines assorties d'un solide sens de l'humour et d'une bonne capacité d'auto-observation et de distanciation, permettent à Christian Lehmann de conserver mesure et optimisme par rapport aux cas parfois difficiles sur le plan médical ou social qu'il peut rencontrer.

La deuxième partie est plus proche du journalisme d'investigation et développe de courtes synthèses très bien informées sur différents dysfonctionnements sérieux du système de santé, en particulier dans le domaine de la politique du médicament. L'auteur montre comment les multinationales infiltrent progressivement tous les centres d'informations et de décisions dont l'indépendance est pourtant cruciale pour une politique de santé éclairée. Les problèmes liés à l'exercice du métier de généraliste suite à des dizaines d'années d'errements des pouvoirs publics sont également traités de façon approfondie.

L'ouvrage se termine par une bibliographie thématique.

Au fil des pages, Gestion Santé a beaucoup aimé

Quelques sujets qui m'ont plus particulièrement intéressé parce qu'ils recoupent mes propres centres d'intérêt (parmi beaucoup d'autres sujets tout aussi passionnant de l'ouvrage).

p. 25. A partir d'un exemple personnel, excellente réflexion sur l'erreur médicale. Le cas du Dr Dio qui avait fait des "fausses ordonnances" pour permettre à la revue de consommateur Que Choisir de tester la vigilance des pharmaciens (83% d'ordonnances dangereuses exécutées)... et sanctionné par son ordre, comparaison avec l'attitude empirique et saine des USA confrontés au même problème.

p. 35. Le visiteur médical, son information orientée et les rapports névrotiques des médecins à son égard, très instructif... Le même sujet est traité à plusieurs endroits selon des angles différents et complémentaires (p. 215 par ex.).

p. 40 L'utilisation de l'informatique par un médecin enthousiaste qui ne saurait s'en passer... et qui n'est malheureusement pas du tout représentatif...

p. 43 Exemples de certificats médicaux ineptes demandés par l'éducation nationale et comment y répondre avec humour.

p.56 Les infirmières libérales ou comment les pouvoirs publics s'emploient à les dégouter d'exercer leur métier...

p. 99 Le danger des régimes hyperprotidiques souvent prescrits abusivement. En filigrane est évoquée au passage le risque de "compérage" (le médecin prescripteur reçoit-il un pourcentage des ventes sur les achats de produits effectués par son "client"?).

p. 109 L'auteur explique ce qu'est la prescription hors remboursement (cad hors AMM) et quelques problèmes que cela peut poser. Un vaste sujet en fait à peine effleuré mais c'est déjà bien de l'évoquer.

p. 113 Appel de la pharmacie du coin qui ne comprend pas pourquoi il prescrit de la pravastatine (une des 2 statines les plus connues sur le marché). Lehman a prescrit en DCI (d'après le nom scientifique de la molécule) et non d'après le nom de marque du médicament, selon les nouvelles recommandations, et son interlocuteur semble complètement perdu ! (surréaliste).

p. 136 Le scandale de la motivation des arrêts médicaux en contradiction avec le secret médical.

p. 161 Passionnant tour d'horizon sur le statut du généraliste en particulier par rapport aux autres médecins, le syndicalisme médical et ses magouilles, les études médicales, le "principe d'incertitude" du généraliste, médecin de première ligne confronté à une pathologie souvent encore imprécise que ses études ne le prépare pas à aborder, tentative de définition rénovée de la médecine générale etc, etc.

p. 186 La folie des gardes de nuits imposées aux seuls médecins généralistes.

p. 199 Dossier très complet sur les dangers des médicaments contenant du fluor, les magouilles et la désinformation autour des médicaments en contenant et toujours non retirés du marché.

p. 217 A partir d'un cas concret l'incroyable prise de contrôle de l'industrie pharmaceutique sur la formation continue des médecins (il faut le lire pour le croire). On aimerait en savoir plus sur l'organisation de la formation continue des généralistes en France...

p. 219 Cardiologue "leader d'opinion" en service commandé pour les multinationales pharmaceutiques ça paye bien (5 à 8000 euros la conférence d'une heure sans les frais de déplacement). Non non je ne me suis pas trompé d'un zéro... Mais tout cela se passe bien loin, dans la perfide Albion...

p. 221 Dossier cholestérol, statines et cérivastatine, qui confirme et recoupe largement tout ce que vous pouvez lire sur Gestion Santé à ce propos depuis fin 2001... La question de la place du généraliste dans le dispositif de pharmacovigilance est évoquée au passage (p. 227) avec des remarques pertinentes qui vont dans le même sens que les nôtres.

p. 244 Dossier très clair et complet sur les AINS (anti-inflammatoires non stéroidiens) de dernière génération (Vioxx et Celebrex) et les circonstances ayant finalement permis de les faire rembourser par la sécu à des tarifs exorbitants en contradiction évidente avec les évaluations scientifiques comparatives avec des produits concurrents plus anciens (avec les statines, ces nouveaux AINS sont un des principaux postes de dépense qui ont contribué à plomber les comptes médicaments de la sécurité sociale des dernières années).

p. 252 La revue Prescrire, revue d'exception et le reste de la presse médicale avec son manque cruel d'indépendance.

Bref comme je suis loin de tout citer on voit qu'il y a de quoi lire !

Ca a fait tousser Gestion Santé

Les réserves que nous avons à l'égard de cet excellent ouvrage dont nous recommandons par ailleurs vivement la lecture tiennent pour l'essentiel à notre intérêt pour les médecines alternatives (ou plutôt complémentaires). Cela va nous amener à engager le débat sur un terrain que l'auteur pourrait peut-être considérer comme ne faisant pas partie de la problématique traitée par l'ouvrage, mais qui nous semble tout de même implicite à son propos, d'autant plus qu'il évoque à juste titre (p. 181 et suivantes) la nécessité d'une révision très ambitieuse du rôle du médecin généraliste allant notamment dans le sens d'un accompagnement préventif en matière de santé du patient tout au long de l'existence.

Alors que je partage apparemment avec l'auteur nombre d'intérêts commun (l'évaluation des médicaments, les statines, les remarques sur la pharmacovigilance, pour ne donner que quelques exemples), j'ai en même temps, à le lire, l'impression de vivre sur une autre planète. En tout cas quand on se passionne pour la supplémentation nutritionnelle il est pénible de lire (p. 179) :

"Le médecin généraliste qui refusera de céder à l'hystérie du moment, de prescrire de la mélatonine ou de la DHEA "alors qu'en Amérique, on peut l'obtenir directement sur Internet..." ou des compléments alimentaires bidon, sera alors considéré, au choix, comme un rabat-joie ou pis encore, un ignare peu au fait de l'évolution scientifique".

Suit une page ironique sur "la papaye du pape", un supplément nutritionnel récent qu'aurait pris le pape. Je rappelle pour la compréhension du lecteur qu'il s'agit d'un antioxydant obtenu à partir de la papaye et probablement d'un immunomodulateur intéressant, que l'on trouve en pharmacie et en vente par correspondance. Outre qu'il a fait l'objet d'une médiatisation grotesque et excessive, il est surtout vendu à un prix délirant (ce qu'aurait pu mentionner l'auteur) ce qui fait que j'en déconseille l'achat étant donné que pour le même prix on peut s'acheter plusieurs suppléments nutritionnels autrement plus utiles. Bref un angle d'attaque très artificiel et très dévalorisant pour traiter de la question si importante des suppléments nutritionnels.

Et puis comme tout cela est imprécis dans ce raccourci corrosif qui tranche avec la pondération et la pédagogie habituelle de l'auteur. On ne prescrit pas de mélatonine en France, ce n'est pas un médicament et il n'est pas disponible en pharmacie, et le statut de la DHEA qui est disponible en pharmacie est très ambigü, ce qui fait que pour des raisons de sécurité juridique, même le médecin qui trouvera ce produit intéressant hésitera à le prescrire. S'agissant d'un ouvrage destiné à un large public il n'aurait pas été inutile de dire qu'il s'agit d'hormones. On ne sait pas non plus en lisant la citation ci-dessus (et on est pas éclairé par ailleurs) si l'auteur considère tous les suppléments alimentaires comme bidon ou seulement certains d'entre eux, ni d'ailleurs ce que recouvre pour lui la notion de complément alimentaire (est-ce un synonyme de "produits bidons" ?)... On notera d'ailleurs, si j'ai bien lu l'ouvrage, que les mots vitamine, minéral, oligo-élément, acide aminé, plante (aucune n'est citée), ne sont employés qu'une seule fois dans l'ouvrage (vitamine D et calcium mais de façon accessoire au détour de son exposé sur les dangers du fluor) alors que même avec un choix trop restreint et un remboursement peau de chagrin, ils font encore partie de la panoplie du prescripteur !

Admettons que cela tienne au choix limité des vignettes cliniques sélectionnées par l'auteur. Mais même ainsi, j'ai été frappé, à travers les cas de sa pratique qu'il évoque, par l'extraordinairement dénuement dans lequel l'auteur semble se trouver dès qu'il est confronté à une maladie chronique, pour faire autre chose qu'un traitement purement symptomatique, ce que d'ailleurs il ne cherche pas à cacher avec une humilité qui l'honore, ainsi de l'hypertension, du diabète, d'un vieillard avec début de désorientation (2).

Je n'aurai pas la grossièreté de tenter de refaire les consultations du Dr Lehmann mais toutes les personnes qui connaissent bien la supplémentation nutritionnelle ne seraient évidemment pas à court d'idée pour proposer des stratégies de récupération des fonctions organiques par une supplémentation ciblée et adaptée pour tous les types de pathologie que je viens de citer.

Enfin dans le même ordre d'idée et par rapport à la question de l'autoprescription, auquel il consacre plusieurs pages (essentiellement pour en montrer les dangers), il est vraiment surprenant que l'auteur, qui fait sur le sujet tout une série de remarques intéressantes, n'envisage pas un seul instant la question des suppléments nutritionnels !

Tout cela est finalement très décourageant dans la mesure ou l'on a quand même affaire à un médecin particulièrement cultivé, ouvert d'esprit et très au fait de la littérature scientifique internationale. Cela confirme finalement mon impression d'une rupture très générale et très profonde de la relation et du dialogue entre le patient et le médecin dès qu'il s'agit non seulement des suppléments nutritionnels mais de la prévention en matière de santé, de l'optimisation de la santé, de la prévention du vieillissement. Or comment concilier tout cela avec le soucis légitime de l'auteur d'une prise en charge générale et préventive en matière de santé par le généraliste ? Comment de toute façon concilier cette redéfinition du rôle du généraliste avec la démographie médicale qui va exercer une pression encore plus forte pour cantonner le médecin du côté de l'urgence ? Autant de sujets brulants que me semble esquiver l'auteur.

La solution viendra probablement, mais ici c'est l'avis de Gestion Santé que nous donnons, par une articulation avec d'autres professionnels de santé non médecin chargés de toute une partie des soins primaires, dans le domaine de la nutrition en particulier, avec qui le médecin devra apprendre à dialoguer et à collaborer. Ce qui passe à mon avis inévitablement par l'abolition du monopole médical.

Le modèle anglais, qu'il faut évidemment se garder d'idéaliser (notamment parce que les multinationales pharmaceutiques y font les mêmes ravages qu'ailleurs), me semble quand même à cet égard un des meilleurs, puisqu'il existe dans ce pays de très nombreux thérapeutes non médecin exerçant tout à fait légalement dans de nombreuses disciplines (homéopathes, acupuncteur, etc.) et que ceux-ci cohabitent plutôt harmonieusement avec des médecins qui ne sont pas payés à l'acte, contrairement à la France, et qui sont beaucoup moins surprescripteurs qu'en France. L'Angleterre dont on notera au passage qu'elle est, sur le modèle américain, le plus gros consommateur de suppléments nutritionnels d'Europe...

En conclusion

Un livre à ne pas manquer de part la qualité et la pertinence de son information et pour se faire une idée réaliste du travail du médecin généraliste. L'auteur pratique une excellence médicale sans doute très proche de l'idéal supporté par la revue Prescrire avec un accent particulier porté sur le primum non nocere, premièrement, ne pas nuire, ne pas causer de tort au malade. Pour ce qui est de l'art de guérir proprement dit, nous avons abondamment développé nos interrogations sur la conception traditionnelle de l'art médical de l'auteur dans la section précédente.

(1) que nous distinguons artificiellement car l'ouvrage n'est pas découpé en parties ou chapitres mais uniquement aéré par des en-têtes au fil des sujets traités. En l'absence de table des matières ou d'index, il est difficile de retrouver les thèmes qui ont pu retenir l'intérêt lors d'une première lecture.

(2) Au passage, dans ce dernier cas, la tirade désobligeante de l'auteur sur les "oxygénateurs cérébraux" m'a semblé malvenue pour ces produits quasiment sans effets secondaires est très intéressants dans une stratégie globale de prévention du vieillissement cérébral. C'est ce genre de petites phrases qui tuent et qui contribuent à ce que l'on se trouve privé aujourd'hui de produits remarquables comme le Lucidril retiré récemment du marché par Lipha Santé et que le déremboursement et annoncé pour d'autres (Le Lucidril est un psychostimulant, et l'auteur fait probablement plutôt référence à des produits comme l'Hydergine mais toutes ces classes de produits font aujourd'hui l'objet du même dédain). Voir à ce sujet nos remarques dans une des sections de notre document sur le déremboursement des médicaments.

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Créé le 14/07/03. Dernière modification le 14/07/03.