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Polémique autour d'une campagne d'information sur le taux de cholestérol

 

Le lecteur attentif de mes pages sur les statines, aura remarqué que je marque au passage mon complet désaccord avec l'ARCOL (Comité français de coordination des recherches sur l'athérosclérose et le cholestérol), une association de professionnels spécialisés, qui donne pour une étude sur les statines en prévention primaire une transposition qui me paraissait biaisée du NST (nombre de sujets à traiter pour obtenir un effet de protection équivalent) entre la population écossaise et française. La transposition proposée par l'ARCOL me semblait majorer dans des proportions considérables l'effet de cette statine sur la population française, en contradiction avec les données épidémiologiques disponibles. Une prise de position de l'ARCOL pas vraiment négligeable quand on sait que l'étude en question est à la base du raz de marée des statines qui a inconsidérément submergé la France ! Selon Martin Winckler, l'ARCOL a un conseil d’administration qui comprend une belle brochette de pontes de la médecine et ses activités sont ouvertement subventionnées par plusieurs grands laboratoires.

Or l'ARCOL s'est encore plus ouvertement associé à l'une des plus grosses multinationales du secteur, les laboratoires Pfizer pour une campagne publicitaire de masse visant à encourager le dépistage du cholestérol.

Prescrire avait pointé le message de l'ARCOL et du laboratoire Pfizer ( campagne médiatique pour inciter à doser le cholestérol) en reproduisant la page de pub de cette campagne dans sa page "Non merci" qui stigmatise chaque mois les tentatives de l'industrie pharmaceutique pour maquiller sa communication en information (voir ci-après la description de la campagne).

Pfizer avait peu apprécié, et le Quotidien du Médecin, sous la plume du Dr Alain Marié, avait appuyé le courroux de Pfizer et de l'ARCOL. Dans le même temps, Philippe Foucras, médecin généraliste, envoyait une réponse au Dr Alain Marié, sous forme d'une lettre-pétition que signaient une trentaine de médecins.

C'est dans ce contexte que Christian Lehmann et Martin Winckler ont ensuite diffusé la chronique particulièrement argumentée et riche d'informations que voici.

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CHOLESTEROL : UNE INFORMATION BIAISEE, UNE DEMARCHE INCOHERENTE.

La résistance croissante au marketing dont font preuve certains médecins depuis quelques années semble avoir convaincu l'industrie pharmaceutique de changer son fusil d'épaule et de viser maintenant le grand public, comme elle le fait avec grand succès aux USA. Tout a commencé à la rentrée 2002 lorsque le SNIP (Syndicat National de l'Industrie Pharmaceutique) a décidé de se rebaptiser du beau nom de LEEM (Les Entreprises du Médicament). Ce nouveau nom n'était pas un simple changement de façade mais la manifestation d'une quête de reconnaissance que l'industrie a accompagnée d'une puissante campagne en direction du grand public : affiches, publicités dans la presse écrite et surtout spots télévisés sur TF1 et France Télévision dans lesquels des personnalités, malades ou en bonne santé, venaient vanter les bienfaits des découvertes les plus spectaculaires : des anticancéreux aux médicaments pédiatriques en passant par le traitement de la sclérose en plaques. Mais cette entreprise de séduction dépasse la simple campagne d'image : sous couvert d'information sanitaire, le LEEM s'associe à des associations à but non lucratif pour diffuser des messages qui n'ont d'autre but que d'inciter la population à " consommer " du médical - c'est à dire, in fine, du médicament. L'exemple le plus flagrant est visible ces jours-ci sur nos écrans : en janvier dernier, les laboratoires Pfizer s'associaient à l'ARCOL (Comité français de coordination des recherches sur l'athérosclérose et le cholestérol) pour lancer une campagne autour du dosage du cholestérol. Les moyens étaient conséquents : publi-reportage diffusé dans la presse écrite ayant pour vocation " d'élargir l'information au risque cardiovasculaire dans sa globalité " ; 1 300 000 brochures d'information destinées à être distribuées aux patients par les professionnels de santé afin " d'aider à lutter contre les idées reçues sur l'hypercholestérolémie " ; centre d'appel téléphonique permettant de " répondre aux questions les plus fréquemment posées ". Le pompon était cependant remporté par l'annonce presse avec " visuel choc et message simple " (sic !) publiée dans les principaux titres de la presse française. Déclinée en poster " à la demande de médecins ", 1 000 exemplaires étaient destinés à être installés dans les salles d'attente médicales. Annonce et poster représentaient les pieds d'un cadavre à la morgue : une étiquette portait le sexe (M), l'âge (47) et la cause du décès (accident cardio-vasculaire), avec ce message " choc " : " Dire qu'un simple dosage de son cholestérol aurait pu lui éviter ça ! " Juste en dessous, on pouvait lire " Une crise cardiaque peut intervenir alors que l'on ne se croyait pas malade. On peut alors découvrir que l'on a, peut-être depuis des années, un excès de cholestérol dans le sang. Saviez-vous qu'un excès de cholestérol peut provoquer des maladies cardiovasculaires ? Faire doser régulièrement son taux de cholestérol est important, d'autant qu'il est relativement facile, aujourd'hui, de le faire baisser. " Suit la liste des personnes et situations " concernés " : " Homme de plus de 45 ans. Femme de plus de 55 ans ou ménopausée. Antécédent familial de maladie cardiaque. Tabagisme. Diabète. Hypertension. Obésité. "

La volonté est claire : présenté comme un " tueur silencieux ", le cholestérol devient l'ennemi public numéro 1. Affiche et poster incitent ouvertement à consulter un médecin, à lui demander une prise de sang… Mais que feront alors, munis d'un résultat apparemment anormal, les patients qui ne se sont engagés dans cette démarche de soins que sous la pression publicitaire ?
On touche ici le cœur de cette démarche commerciale, qui n'a rien d'une démarche d'éducation à la santé. Car aux patients pressés, stressés, on fait miroiter qu " un simple dosage du cholestérol " pourrait les protéger d'une mort précoce. Alors qu' " un simple dosage du cholestérol ", le plus souvent, ne renseignera en rien les patients sur leur risque cardio-vasculaire global, et ne les engagera pas dans une démarche de soins cohérente sur le long terme. Pour peu que le résultat semble dévier des normes édictées par les laboratoires, la force de la campagne, son message morbide choquant, amèneront probablement les patients à solliciter, voire à exiger des médecins un traitement destiné à " faire baisser le cholestérol ". Combien résisteront ? Aux USA, une étude publiée par l'American Medical Association révèle que 80% des patients qui demandent au médecin un médicament vu dans une publicité voient leur souhait exhaucé. Et si en France il est encore interdit de faire de la publicité directe pour les médicaments à destination du consommateur, générer une demande de traitement au sein de la population française, première consommatrice au monde de comprimés et autres gélules, passe d'abord par cette pseudo-information déguisée. On chercherait en vain sur le site de l'Arcol, ou dans les documents publicitaires, quelques vérités surprenantes pourtant faciles à diffuser au grand public. A savoir que le taux de cholestérol est un facteur de risque beaucoup moins important que le surpoids ou la consommation de tabac, ou encore que son interprétation dépend de multiples facteurs ( âge, sexe, antécédents vasculaires, nationalité, habitudes alimentaires…). Ou encore que certains médicaments largement prescrits pendant des décennies ( et encore aujourd'hui !) font certes baisser le cholestérol… mais n'ont pas apporté la preuve que cette baisse s'accompagnerait d'une diminution de la mortalité des patients ou du risque d'accident vasculaire cardiaque ou cérébral ! Ou bien encore que les médicaments efficaces ne le sont que pour une population bien ciblée, présentant une hypertension, ou un diabète, ou des antécédents de troubles vasculaires. Ou encore que cesser de fumer diminue beaucoup plus nettement le risque vasculaire, que de " faire baisser le cholestérol ". Présenter le dosage de cholestérol comme un élément clef de la démarche de santé est un contre-sens, qui n'aboutira qu'à augmenter la pression consumériste sur médecins et patients.
La démarche est juteuse pour des intervenants peu regardants sur la finalité, qui devrait être la santé des patients : médecins multipliant les consultations, laboratoires multipliant les analyses, pharmaciens le nombre de boîtes vendues, et fabriquants leur chiffre d'affaire.

La campagne PFIZER - ARCOL se présente comme une campagne d'information, ce qu'elle n'est pas : une information loyale aurait consisté à remettre le cholestérol à sa place. La présence avouée de BIG PHARMA en la personne de PFIZER ne laisse guère d'illusion : qui peut croire que le fabriquant d'un des principaux hypolipémiants du marché ( mais pas le mieux évalué), n'attend pas un retour sur investissement de cette " information " gracieusement assénée au public avec le concours de professionnels de santé et d'une association probablement subventionnée en partie par les pouvoirs publics ? ? ?

Le 27 mars dernier, les résultats d'un sondage de la revue médicale en ligne MedHermes amenait celle-ci à titrer " Les médecins à l'industrie pharmaceutique: Arrêtez de nous prendre pour des cons. " La profession médicale, en particulier les médecins généralistes, est en effet de moins en moins perméable au discours des visiteurs médicaux et aux publicités destinés à influencer leurs prescriptions. Même si la seule revue française indépendante consacrée au médicament, La revue Prescrire, ne compte que 25 000 abonnés, dont 10 000 généralistes, cette minorité de bloquage gêne considérablement la désinformation depuis toujours orchestrée par l'industrie.

Le 26 mars, dans un communiqué conjoint Pfizer et l'ARCOL " s'engageaient à faire prendre conscience qu'un simple dosage de cholestérol peut éviter de graves accidents cardiovasculaires ". Son dernier opus, " Un mauvais rêve ", spot télévisé actuellement diffusé sur TF1 et les chaînes de France Télévisions, met en scène un homme passé la quarantaine faisant un infarctus lors d'un dîner galant. Le message est doublement pervers et manipulateur : il vise à provoquer l'angoisse des hommes (qui consultent habituellement très peu leur médecin en l'absence de symptômes) et à culpabiliser (en faisant mine de les responsabiliser) les femmes qui sont d'excellentes prescriptrices de soins pour elles-mêmes, mais aussi pour leurs enfants, leurs parents et leurs compagnons.

A l'heure où le système de santé craque de toutes parts, cette campagne dont on se demande comment elle a pu recevoir l'aval de la Sécurité Sociale et des pouvoirs publics ne peut avoir d'autre effet que celui d'augmenter la consommation médicale de manière inutile au lieu d'amener les Français qui le souhaitent à s'engager dans une démarche de santé cohérente sur le long terme, laquelle ne passe pas obligatoirement par des dosages biologiques.

Christian Lehmann et Martin Winckler , médecins et écrivains

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Christian Lehmann nous a indiqué que cette chronique était libre de droit et que nous pouvions donc la diffuser sur Gestion Santé.

Christian Lehmann est l'auteur de "Patients, si vous saviez : Confessions d'un médecin généraliste" Robert Laffont.
La Tribu, Rivages-Noir.

"Cri d'amour d'un médecin pour son métier, coup de gueule contre l'inconséquence des politiques, charge accablante - et incroyablement documentée - contre les pratiques de "Big Pharma" , Patients, si vous saviez... est tout cela - et même plus : un livre nécessaire" (extrait de la 3e de couverture).

Martin Winckler, Prix du Livre Inter 1998 avec son livre « La maladie de Sachs », tenait une chronique sur France Inter, du lundi au vendredi à 07h51. Il a traité du même sujet dans sa chronique du 14 avril 2003 : "Quel message terroriste peut-on voir ces jours-ci à la télévision ? (le spot sur le cholestérol)".
Martin Winckler posède un site internet consacré à la littérature, aux médias et bien sûr à la santé. L'auteur s'intéresse en particulier à la contraception (il a écrit un livre revu et réédités plusieurs fois sur ce sujet) et à l'emprise de l'industrie pharmaceutique sur les médias et la société.

Winckler viré de France Inter !

En France, dans le domaine de la santé (pour ne citer que celui-là !), la ligne rouge de ce que l'on peut s'autoriser à dire et vite franchie, vraiment très très vite, surtout lorsque l'on est pas "initié", c'est-à-dire lorsque l'on ne pratique pas une autocensure permanente. Martin Winckler vient d'en faire les frais avec sa chronique sur France Inter interrompue prématurément. Tout cela pour avoir égratigné à deux reprises l'industrie pharmaceutique sur plusieurs mois de chroniques régulières ! Outre la suppression de la chronique, France Inter a accordé un droit de réponse au LEEM, le syndicat de l'industrie pharmaceutique.

Pourtant la chronique n'avait rien d'un brulôt antisanté, et consistait en réalité en une chronique scientifique de quelques minutes traitant des sujets les plus divers, et qui a traité plus spécifiquement deux fois des problèmes du médicament en terme assez critiques pendant l'année. Une fois par un sujet sur le cholestérol, dans une adaptation de la chronique ci-dessus, et une autre fois à propos de la campagne médiatique du LEEM qui passait dans les médias (et notamment sur France Inter) et où le LEEM faisait son autopromotion.

Enfin, si mes souvenirs sont exacts, car depuis que j'ai feuilleté les chroniques de Winckler sur le site de France Inter, fin juin 2003, pour la première version de cette page, France Inter a supprimé les liens vers les chroniques de Martin Winckler du jour au lendemain ! En tout cas via la recherche sur leur site. Car il reste un lien non référencé ici dans lequel Martin Winckler fait ses adieux aux auditeurs (C'est Terre d'Escale qui donne le lien). Et sa chronique du 14 avril 2003 sur le cholestérol est toujours en ligne, par contre la recherche du site ne balaie plus les pages en question. Comprenne qui pourra !

Difficile de ne pas être choqué par le droit de réponse donné par France Inter car la lecture de la chronique montre que le LEEM n'est pas directement mis en cause, mais que Winckler fait à l'occasion de la campagne d'autopromotion du LEEM, le point sur le fonctionnement général de l'industrie pharmaceutique dans le monde, ou sur celui de certains de ses représentants, pour montrer que l'autosatisfaction affichée n'est pas vraiment de mise. Ajoutons qu'il y a de nombreux abus dans le domaine du médicament comme dans tous les autres secteurs de l'économie. Si les syndicats professionnels nationaux de chaque branche pouvaient s'octroyer à leur convenance un droit de réponse dans la presse à chaque fois que des errements étaient signalés, pour une raison ou une autre, dans leur secteur d'activité, on passerait son temps à lire leurs droits de réponse !

Certes, certaines accusations de Martin Winckler auraient pu être d'avantage argumentées. C'est notamment le cas des essais médicaux dans le tiers monde, un sujet trop grave pour être présenté de façon aussi allusive qu'il l'a fait, mais là non plus Winckler n'accuse pas le LEEM en tant que tel (la chronique ne dure que quelques minutes ce qui explique en partie ces raccourcis). Une chronique ça s'ajuste, et l'on aurait pu indiquer à Winkler qu'il fallait argumenter d'avantage lorsqu'il portait de telles attaques, comme il avait d'ailleurs très bien su le faire pour sa chronique sur le cholestérol. Mais on peut se demander si cette première chronique n'avait pas déjà profondément déplue, même si mieux argumentée, elle n'avait pas entraîné les mêmes réactions. En tout cas au premier faux pas, ou du moins ce qu'on s'autorise à juger comme tel, on s'est empressé de se débarasser d'un gêneur !

Le 22/07/2003, bien tardivement, et à la remorque d'agences d'information indépendantes (transfert.net et Terre d'Escale), Libération s'est décidé a traiter de la censure de la chronique de Martin Winckler via un article d'Isabelle Roberts. C'est mieux que rien, mais force est de constater que Libé y défend du bout des lèvres la liberté de l'information et s'interroge avec beaucoup trop de points d'interrogations à mon goût sur la réalité même de la censure qu'aurait pu subir le chroniqueur. C'est le service minimum du soutien à Winckler quand on connait le fond de l'affaire.

L'article de Libé contient tout de même des précisions intéressantes, la journaliste ayant interviewé les principaux protagonistes de l'affaire :

"France Inter a-t-elle subi des pressions du LEEM pour interrompre la chronique de Winckler ? «Je n'accepte pas qu'un petit médecin mégalomane insinue des choses pareilles, tonne Jean-Luc Hees. J'ai 52 ans, je dirige cette antenne depuis cinq ans et, sur mon honneur, je vous jure que je n'ai pas subi de pressions !»"

Et sur le droit de réponse, Libé explique que :

"Contrairement à la presse, où un journal est quasi systématiquement obligé de passer un droit de réponse, à la radio et à la télé les règles sont beaucoup plus strictes. Pour éviter que les antennes soient envahies par des droits de réponse, il faut que le passage incriminé soit proche de la diffamation, «susceptible de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation», dit la loi. (...) Pour Blandine Fauran, directrice des affaires juridiques du LEEM, c'était bien le cas de la chronique de Winckler du 15 mai : «Elle contenait des affirmations attentatoires à l'honneur et à la réputation du LEEM, nous avons donc demandé un droit de réponse qui devait être diffusé dans un espace similaire à celui de la chronique de départ. ça s'est passé très simplement, car notre droit de réponse n'a pas été contesté.» "

C'est donc Jean-Luc Hees, directeur de France Inter, qui s'est chargé personnellement de mettre au pas le "mégalomane" (il avait auparavant droit pour la présentation de sa chronique au nom plus doux d'ami de France Inter après avoir reçu le Prix du Livre Inter 1998 avec son livre « La maladie de Sachs »...). Difficile d'y voir autre chose qu'un choix délibéré d'autocensure de la chaîne, qui ne manquera pas de servir de norme implicite quand à la façon "consensuelle" dont les journalistes de France Inter doivent assurer la couverture des sujets santé. Pour nous, il s'agit d'un choix, car le directeur aurait probablement pu sans difficulté refuser le droit de réponse du LEEM. D'ailleurs dans ce genre d'affaire, il y a d'habitude une procédure écrite de la part du plaignant et cela prend souvent des semaines avant d'aboutir à un droit de réponse, même lorsque l'affaire ne va pas au tribunal et se traite finalement à l'amiable. Autre possibilité, il aurait été possible d'indiquer que France Inter, via Martin Winckler répondrait point par point au communiqué du LEEM, ce qui aurait d'ailleurs très probablement entraîné le renoncement à la demande de droit de réponse ! En effet, je ne pense pas que le LEEM tienne particulièrement, par exemple, à ce que les auditeurs de France Inter aient droit à un argumentaire serré sur la valeur du service médical rendu élevé ou majeur qui a été accordé aux anticholestérol en prévention primaire du risque cardio-vasulaire (Cf. notre article sur le sujet). Ou sur le problème du droit de censure sur la publications des essais négatifs. Ou sur la fronde des revues médicales confrontées à la qualité scientifiques déplorables des publications concernant certains essais thérapeutiques. Ou sur la rémunération pharaonique des hospitalo-universitaires qui supervisent les essais, etc, etc. Tous sujets d'importance qui son traités de façon souvent confidentielles par les médias et sont très rarement portés à la connaissance du grand public. Sur la plupart, sinon la totalité des points posant problème, il me semble que l'on aurait pu citer, si nécessaire quantité d'ouvrages ou d'articles de référence pour argumenter solidement le point de vue du chroniqueur. Mais là encore, il aurait fallu avoir des idées et une éthique à défendre dans la façon de couvrir les sujets de santé. Ne serait-ce, pour commencer, que celle qui consiste à penser qu'il y a une place dans le service publique pour un débat d'idée solidement argumenté et contradictoire !

Ce communiqué s'apparente donc plus à une faveur faite à un partenaire annonceur qu'à un droit de réponse proprement dit. Evidemment, la crédibilité et l'indépendance de France Inter ne sortent pas grandis de cet édifiant épisode ! Par ailleurs la liberté de la presse se construit souvent au travers de rapports de force, en particulier lorsque l'on a affaire à de puissantes multinationales qui souhaitent que l'information des médias s'éloigne le moins possible de leur communication institutionnelle. Dans ce domaine, voir une puissante chaîne de service public capituler en rase campagne, avant même d'avoir engagé le combat, n'est pas précisément une bonne nouvelle.

La réaction de Philippe Pignarre

La dernière chronique de Winckler s'appuyait largement sur le dernier livre de Philippe Pignarre, «Le grand secret de l'industrie pharmaceutique», La Découverte, 2003, dont il recommandait la lecture aux auditeurs de France Inter. Il en résumait sans doute trop les thèses sans en reprendre l'argumentaire, ce qui l'a mis en difficulté. Dans le même temps où le journal Libération rendait compte du limogeage de Winckler, un autre article s'interrogeait de savoir si le LEEM tenterait aussi de s'attaquer au livre de Pignarre à l'origine de la chronique de Winckler et concluait que ce ne serait sans doute pas le cas.

C'était l'occasion pour Philippe Pignarre de répondre, ce qu'il a fait dans une excellente tribune du Journal Libération du 24/07/03: "Après l'éviction de Martin Winkler par France Inter. Médicaments: les labos en roue libre (1)."

L'auteur y souligne l'extraordinaire tour de passe passe rhétorique par lequel le LEEM prétend parler au nom des patients ou des médecins alors que ce syndicat ne défend en réalité que ses intérêts professionnels particuliers. Il note que tout devrait mettre le problème des médicaments sur le devant de la scène (médicament contre le sida, problème du déremboursement, libération du prix des nouveautés, etc.). Il donne comme exemple concret et récent le cas des cox (une famille de nouveaux anti-inflammatoires) dont le prix aurait du être revu d'urgence au vu des nouvelles données scientifiques démontrant leur abscence d'amélioration du service médical rendu par rapport aux médicaments traditionnels moins couteux (2). Il diagnostique une énorme dissymétrie entre l'offre de médicament portée par l'industrie pharmaceutique et la demande éclatée entre divers acteurs sans pouvoir. Il en appelle à une politisation de la question du médicament du côté de la demande. L'éviction de Martin Winckler est pour lui à situer dans ce contexte, retarder ou empêcher la formulation d'un front de réflexion et de proposition politique sur la question du médicament.

La réaction de PLPL

Pour Lire Pas Lu (PLPL) une revue satirique traitant du monde des médias et qui traque en particulier la collusion entre médias et milieux d'affaires a décerné sa "Laisse d'or" à Jean-Luc Hees pour l'ensemble de son oeuvre. Il s'agit d'un récompense prestigieuse et recherchée que la revue décerne régulièrement à un membre de l'élite médiatique à la française. En ce qui concerne plus précisément l'affaire Winckler, PLPL a aussi fait largement connaître (en avril 2004) dans « L'honneur perdu de Jean-Luc Hees ? » (l'article est repris par l'excellent ACRIMED) les liens existant entre Jean-Luc Hees et l'industrie pharmaceutique. L'info trouve en fait son origine dans l'émission d'investigation "90 minutes" de Canal Plus. Celle-ci a révélée que Jean-Luc Hees a participé à un "ménage" en novembre 2002, en animant le colloque annuel de Novartis, l'un des premiers laboratoires pharmaceutiques mondiaux. Gestion Santé a déjà traité de ces pratiques qui nuisent gravement à la crédibilité et à l'indépendance des médias ("Une presse qui vérouille l'information" de notre article "L'expertise santé à la française".)

 

(1) Compte tenu des droits d'auteur tant de P. Pignarre que de Libération nous n'avons pas souhaité recopier l'article de P. Pignarre. Nous en avons effectué un résumé succinct, car la tribune de P. Pignarre va sans doute passer prochainement dans les archives payantes de Libération.

(2) Christian Lehman, dans "Patients, si vous saviez - Confessions d'un médecin généraliste", Robert Laffont, 2003, a résumé en quelques pages particulièrement claires dans quelles conditions avait été fixé le prix de ces médicaments (p. 244 et suivantes).

Sujets liés :

Le scandale de la cérivastatine de Bayer : Les médicaments anti-cholestérol et la politique de santé publique

Les statines en prévention primaire ?

L'utilisation thérapeutique des inhibiteurs de la HMG CoA-reductase (statines) et son association avec la diminution du co-facteur indispensable coenzyme Q10

Christian Lehman, "Patients, si vous saviez - Confessions d'un médecin généraliste", Robert Laffont, 2003.

Philippe Pignarre, "Comment la dépression est devenue une épidémie", La Découverte, 2001.

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Créé le 23/06/03. Dernière modification le 25/07/03.