Gestion Santé

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Malgré la directive européenne de 2002 sur les compléments nutritionnels et sa transposition en droit français en 2006, le cadre légal de distribution français connaît une évolution désastreuse

Depuis quelques semaines je lis différents avertissements très inquiétants sur l'évolution du cadre légal de la distribution des compléments alimentaires en France qui connait une régression phénoménale, malgré la transposition en droit français en 2006 de la directive européenne de 2002 sur les compléments alimentaires, alors qu'il s'agissait (en théorie) de donner un cadre sécurisant et libéral pour les fabricants et les consommateurs de compléments alimentaires !

La situation sans être aussi catastrophique n'est pas non plus très brillante ailleurs en Europe ni dans le reste du monde même si, en apparence, les américains (et je crois aussi les japonais) jouissent encore d'une liberté de choix et d'un rapport qualité - prix exceptionnel pour l'achat de leurs compléments alimentaires.

Evidemment cette situation de liberté du marché des compléments dans ces pays connait des limites qui sont autant de barrières à leur emploi et qui tiennent : 1) au prix des compléments qui représentent un budget conséquent et les rendent seulement accessibles aux classes moyennes et aux classes aisées, 2) à la barrière de l'information pour les utiliser de façon judicieuse, 3) à la barrière de l'intégration au reste du savoir médical car une grande partie des praticiens et la quasi totalité du système hospitalier méconnait totalement l'intérêt des compléments nutritionnels.

En fait ainsi que je le défends régulièrement sur Gestion Santé, la santé se décline par étage. Il faut pouvoir se loger, avoir accès à une alimentation suffisante et équilibrée, pouvoir mener une vie saine et ayant un sens dans la sphère privée et dans celle du travail et avoir accès à diverses techniques préventives et prophilactiques de l'ordre du bien vivre. Les compléments alimentaires ne trouvent pleinement leur sens que dans ce cadre. Cela ne veut pourtant pas dire, bien au contraire, qu'ils n'en aient pas ou peu si tous les autres critères ne sont pas préalablement remplis. Je veux juste rappeler que nous vivons dans une société économiquement et politiquement profondément malade ou la logique capitaliste met cul par dessus tête toute hiérarchie raisonnée de la satisfaction des besoins humains même les plus élémentaires.

Cela fait un moment que nous n'avons pas évoqué les problèmes légaux liés aux compléments alimentaires sur Gestion Santé, faute notamment d'avoir trouvé des relais associatifs et des organisations représentatives, dont nous partagions les idées, et qui seraient susceptibles de défendre utilement le droit à l'autonomie en matière de santé de la population. Il nous semble néanmoins utile de faire un tour d'horizon un peu détaillé de la situation en 2010, même en l'absence, pour l'instant, de relais efficaces pour les idées que nous défendons.

Nous allons notamment nous appuyer pour cela sur des textes variés présents sur Gestion Santé et qui se sont succédés depuis sa création (qui remonte à 2001), que nous allons remettre en ordre et actualiser au vu de l'évolution de la situation actuelle. Cela montrera et confirmera j'espère la cohérence et la solidité des perspectives proposés par Gestion Santé dans le domaine du droit à la santé par rapport à la question des compléments alimentaires et au droit à la santé en général . Mais tout cela va donner une longueur inhabituelle mais nécessaire à ce billet. J'espère que les lecteurs intéressés par la question voudront bien le lire dans sa totalité.

Le cas français

Pour évoquer d'abord le cas français, j'ai fait une recherche des articles les mieux informés. Cela m'a amené à un article très complet sur le site de l'Ordre des Pharmaciens qui est à l'origine de l'ensemble des procès menés contre les distributeurs français de compléments alimentaires. Il s'agit de : "Produits à base de plantes médicinales : la qualification de médicament a été retenue".

Ce texte, qui ne concerne en fait pas que les plantes mais l'ensemble des compléments alimentaires, fait état d'une nouvelle jurisprudence qui est aussi solide (de par la clarté de sa formulation mais certainement pas par la logique ad absurdum de son argumentation) qu'elle est défavorable aux compléments alimentaires. Cette position de la Cour de Cassation s'est développée après différents procès initiés parfois avant la législation de 2006 mais par rapport auxquels la Cour de Cassation a dit le droit (elle s'assure que le droit a été correctement appliqué aux faits tels qu'ils ont été constatés par les juges du fond) à la lumière notamment de la directive de 2002 et de sa transposition de 2006. Il en ressort que la Cour de Cassation exigerait désormais une application extrêmement pointilleuse de la notion de médicament par fonction et de médicament par présentation sans tenir compte du fait que le produit figure ou non par ailleurs dans la liste positive de la directive européenne sur les compléments alimentaires sur les vitamines, minéraux et oligo-éléments ou dans le décret de 2008 autorisant la vente de nouvelles espèces de plantes médicinales en dehors des pharmacies.

La Cour de Cassation se référant à la définition du médicament, il est nécessaire de s'attarder sur celle-ci. La définition du médicament nécessite que je rédige un passage qui va être un peu long et détaillé sur la définition légale du médicament qui a deux aspects, celle du médicament pas fonction et celle du médicament par présentation. En effet tous les problèmes légaux liés à la distinction entre médicament et complément alimentaire viennent de là. Le lecteur profane et même semble-t-il bien des juristes comprennent apparemment mal les enjeux de société fondamentaux et structurants qui découlent de cette définition.

Les conséquences liberticides liées au couplage d'une définition démesurement étendue du médicament avec le monopole de distribution en pharmacie

La définition légale du médicament introduit dès l'origine une confusion (qui nous semble délibérément entretenue) entre la définition scientifique du médicament et sa définition légale.

Voyons d'abord l'aspect légal. Celui-ci a pour but de protéger les personnes ayant besoin d'utiliser un médicament. En effet la personne peut avoir besoin d'utiliser des produits qui peuvent être dangereux pour sa santé s'ils sont mal utilisés, mal dosés ou qui pourraient être mal fabriqués ou falsifiés. Pour protéger les personnes des dangers possibles des médicaments, pour s'assurer de leur qualité et permettre de conseiller les personnes lors de l'achat, la vente est réservée à des lieux et à un personnel spécialement formé à même de vérifier l'ordonnance du médecin et de conseiller la personne notamment pour un produit sans ordonnance, et c'est pourquoi le monopole pharmaceutique a été instauré.

Mais d'un point de vue scientifique, si le médicament peut être un produit ayant une certaine toxicité (d'où les précautions nécessaires évoquées précédemment), il peut être aussi tout à fait anodin et dépourvu de toute toxicité, en particulier lorsque le médecin préconise, comme il devrait le faire chaque fois que c'est possible, des mesures préventives et prophylactiques pour préserver la santé ou accompagner le retour à la santé par des mesures d'ordre hyginéno-diététique.

Je vais prendre délibérément un cas extrême dans ce qui suit, pour bien faire comprendre l'enjeu de la définition du médicament. La substance choisit sera l'eau qui comme chacun sait soulage la soif et dont nous verrons qu'elle est de ce fait un médicament, ce que nous démontrerons dans ce qui suit. On se doute bien que l'eau n'est pas prête d'être vendue exclusivement en pharmacie, mais à travers son cas nous comprendrons mieux ce que les tribunaux s'apprêtent à faire subir, via la logique absurde découlant de la définition du médicament par fonction et par présentation, à d'innombrables substances sans danger, dont le libre accès nous semble faire parti du droit élémentaire à la santé sans être pour autant des médicaments, s'agissant de produits à vocation d'abord nutritionnelle.

Mais voyons comment l'eau peut devenir un médicament en nous appuyant là encore sur un texte de l'ordre des pharmaciens qui ne fait que reprendre et commenter le Code de la Santé Publique lorsqu'il explique ce qu'est " Le médicament". Nous allons voir que la définition du médicament est tellement étendue que n'importe quel apport alimentaire peut être qualifié de médicament.

" L’article L. 5111-1 du code de la santé publique, modifié par la loi n° 2007-248 du 26 février 2007 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament définit le médicament comme suit :
«   On entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'homme ou chez l'animal ou pouvant leur être administrée, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique.
   Sont notamment considérés comme des médicaments les produits diététiques qui renferment dans leur composition des substances chimiques ou biologiques ne constituant pas elles-mêmes des aliments, mais dont la présence confère à ces produits, soit des propriétés spéciales recherchées en thérapeutique diététique, soit des propriétés de repas d'épreuve.
   Les produits utilisés pour la désinfection des locaux et pour la prothèse dentaire ne sont pas considérés comme des médicaments.
   Lorsque, eu égard à l'ensemble de ses caractéristiques, un produit est susceptible de répondre à la fois à la définition du médicament prévue au premier alinéa et à celle d'autres catégories de produits régies par le droit communautaire ou national, il est, en cas de doute, considéré comme un médicament. »

La loi française reprend ici pour l’essentiel les dispositions de la directive de la Communauté européenne 2001/83/CE du 6 novembre 2001 modifiée.

Contrairement à une idée trop souvent répandue, le « statut de médicament » attribué à un produit n'est pas lié à la détention d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ou l'Agence européenne du médicament mais à l'adéquation de ce produit à la définition ci-dessus.

Il convient de distinguer notamment le médicament par fonction et le médicament par présentation.

Le médicament par fonction

La définition du médicament affirme qu'il s'agit de « toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'homme ou chez l'animal ou pouvant leur être administrée, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique. » Cette définition couvre en particulier les nouveaux produits issus de la thérapie génique ou cellulaire. En revanche, les dispositifs médicaux, dont le mode d’action est différent, sont explicitement exclus de cette définition.

Le médicament par présentation

La notion de médicament par « présentation » peut être moins évidente. En effet elle peut reposer sur la revendication expresse de propriétés thérapeutiques, mais aussi sur une présentation implicite résultant d’un faisceau d’indices concordants. Sont alors retenus par les tribunaux, en cas de contestation, comme base de qualification du produit comme médicament : une dénomination évoquant le nom d’un médicament, une forme éventuellement pharmaceutique classique (sirop, patch…), l’usage d’un logo rappelant la croix des pharmaciens, la mention d’un contrôle pharmaceutique, l’emploi d’un vocabulaire médico-pharmaceutique (….).

Du fait de leur présentation ou de leur composition, des produits peuvent être considérés, aux plans législatif et réglementaire, comme des médicaments.

Citons comme exemples :
·  des produits présentés comme cosmétiques mais dont la composition fait état de substances thérapeutiques actives ;
·  des produits diététiques associés à des indications thérapeutiques.

Par ailleurs, le dernier alinéa de l’article L. 5111-1 du code de la santé publique précité prévoit d’appliquer la législation pharmaceutique en cas de doute sur la qualification d’un produit."

L'eau est un médicament par fonction (toujours) et par présentation (parfois)

On voit donc qu'un médicament peut être une simple substance qui rétablit (ou simplement prévient) un déséquilibre physiologique. D'un point de vue scientifique c'est très important car l'objectif de la médecine et d'abord de ne pas nuire et donc d'utiliser le traitement avec le produit le moins agressif possible, par exemple l'eau pour traiter la soif, la nourriture pour traiter la faim, un régime simple et sans carrence alimentaire et de l'activité physique pour traiter l'obésité, etc. Mais cette définition qui est tout à fait légitime par rapport aux données scientifiques et à l'exercice de l'art médical visant à comparer tous les traitements possibles entre eux pour les hiérarchiser est tout à fait inadaptée pour définir le médicament par rapport à l'exercice de la pharmacie sauf à ouvrir la porte à des abus sans nombre. Nous verrons dans la suite comment le législateur pourrait régler sans difficulté ce problème... s'il le souhaitait vraiment.

Pour en revenir à l'eau, on voit que je n'exagère en rien lorsque je présente l'eau comme un médicament de par ses propriétés "curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines" car en effet l'eau prévient et traite une pathologie particulièrement grave dénommée la déshydratation qui peut mettre en jeu en très peu de jours, voir parfois en quelques heures, le pronostic vital. Elle tient aussi son statut de médicament de par sa capacité pour les hommes ou les animaux à "corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique". Ici la modification physiologique est de façon évidente d'ordre métabolique via le phénomène bien connu de l'hydratation (Selon Wikipedia, Le métabolisme est l'ensemble des transformations moléculaires et énergétiques qui se déroulent de manière ininterrompue dans la cellule ou l'organisme). Ainsi la modification même la plus anodine du métabolisme par un nutriment rentre dans le cadre de la définition du médicament !

Nous avons donc démontré que l'eau est un médicament par fonction.

Nous allons maintenant montrer que dans bien des cas l'eau est également un médicament par présentation, en particulier lorsqu'elle est vendue en bouteille, bien que d'avoir montré qu'elle l'était par fonction est déjà suffisant, selon la loi, pour en faire un médicament et réserver la vente de l'eau du robinet au pharmacien.

Dans son texte déjà évoqué commentant les derniers jugements s'appuyant sur les recommandations interprétatives de la Cour de Cassation, l'ordre des pharmaciens rappelait qu'en ce qui concerne les médicaments par présentation,

"les cours d’appel ont procédé à une interprétation extensive de cette définition, tenant compte du caractère explicite (mention d’états pathologiques même sous forme déguisée) et implicite (faisceau d’indices concordants qui permet de retenir que la présentation conforte les consommateurs dans l’idée qu’ils acquièrent un médicament: forme galénique, mode d’emploi assimilable à une posologie, utilisation d’une terminologie scientifique…) de la présentation des produits;"

Or tout ceci concerne clairement les distributeurs d'eau lorsqu'ils mettent leur eau dans des bouteilles (forme galénique de présentation), évoquant ainsi un dosage et une posologie, procèdent à un étiquetage précisant de façon extrèmement détaillée les corps chimiques en solution dans l'eau et utilisent de façon générale une terminologie scientifique pour préciser les modalités de filtration des eaux dans les sols en amont de la source et les propriétés pharmacologiques favorables à la santé qui en découlent et que par ailleurs les communications publicitaires associées sur leurs différents supports de communication évoquent explicitement les propriétés médicinales de l'eau à savoir sa capacité à étancher la soif ! Dans ses conditions toutes les formes d'eau qu'elles soient au robinet ou en bouteilles rentrent clairement dans la catégorie du médicament par fonction et dans de nombreux cas et par présentation pour ce qui concerne l'eau mise en bouteille.

On comprend mieux j'espère, après cet exposé, pourquoi - jusqu'à cette superbe nouvelle doctrine de la Cour de Cassation dont la rigueur et la cohérence force l'admiration - les différents tribunaux de première instance et d'appel, souvent conscients des implications liberticides de la définition du médicament, produisaient une jurisprudence souvent contradictoire en tentant d'équilibrer la définition du médicament par rapport à l'innocuité, à l'usage traditionnel et à divers autres critères interprétatifs des substances attaquées pour exercice illégal de la pharmacie, de façon à limiter l'extension potentiellement démesurée de la notion de médicament.

Les illusions de la Directive européenne de 2002 et de sa transposition en France

La Directive européenne 2002/46/CE et sa transposition tardive en 2006 en droit français par un simple décret semblait à certains ouvrir un espace de liberté en créant un statut spécifique pour les compléments alimentaires qui n'existait pas auparavant (précisons que Gestion Santé et ses amis n'ont jamais partagé ni diffusé cette illusion sur les prétendues avancées de la directive - nous avions au contraire fait part en de multiples occasions et de longue date à nos lecteurs des dangers qu'elle renfermait). Par ailleurs un arrêté précisait les ingrédients autorisés et, dans l'attente de la fixation des limites supérieures de sécurité par les autorités européennes, l'arrêté fixait également des maximums d'apport journalier (Annexe 3) dont beaucoup étaient d'un niveau dérisoire, comme celui fixé pour la vitamine C (180mg autorisés alors que la plupart des fabricants européens dosent leurs comprimés entre 250mg et 1g et qu'il faut deux à trois prises journalières pour que la vitamine C soit vraiment efficace) et pour les différentes vitamines B (par ex. vitamine B1 : 4,2 mg, vitamine B2 : 4,8 mg, vitamine B6 : 2 mg, là où les dosages courants des multivitamines B aux USA sont de 50mg pour la B1 B2 et B6).

D'autre part, dans le domaine des plantes et indépendamment de la directive sur les compléments alimentaires (qui ne concerne que les vitamines, minéraux et oligo-éléments), le Décret n° 2008-841 du 22 août 2008 excluait du monopole pharmaceutiques une liste de plantes supplémentaires portant leur nombre à 147 (en plus des 34 déjà "libérées" en 1979). Comme l'explique cette page de S.I.M.P.L.E.S., l'avancée restait toutefois très modeste, pour diverses raisons, liées à l'interdiction de communiquer sur les indications et au fait qu'il existe 1500 espèces médicinales rien que dans notre flore ! Notons que les plantes ne figurant pas dans la directive de 2002, la timide libéralisation de 2008 allait au-delà des obligations fixées dans la Directive de 2002.

A la suite de la loi on avait néanmoins constaté une attititude un peu plus libérale de la part de la DGCCRF , la "répression des fraudes" (cf. notre article de 2002 sur le rôle de cette institution dans la traque des compléments alimentaires) qui avait mise en place un système de déclaration simplifié pour les compléments.

Les avancées restaient néanmoins très limitées en France compte tenu du très faible nombre de formes chimiques de vitamines, minéraux et oligo-éléments autorisés (par exemple une seule forme de vitamine E naturelle l'alpha-tocophérol autorisée sur les 8 isomères naturels existants) et de leur dosage autorisé, souvent dérisoire. Ce caractère scandaleusement restrictif des dosages interdit en pratique de bénéficier des propriétés les plus intéressantes des nutriments pour des motifs de sécurité d'utilisation totalement fantaisistes. Cela ne diminue pas leur prix, bien au contraire, car c'est le conditionnement, la distribution et la publicité qui constituent l'essentiel du prix de revient de fabrication. Il faut savoir que des millions d'américain prennent des compléments beaucoup plus dosés et pour un prix beaucoup moins élevé et que les accidents sont rarissimes.

Français : Un demi-pas en avant, deux pas en arrière

Mais même les "avancées" très limitées que nous venons d'évoquer n'ont pas fait long feu depuis la récente prise de position de la Cour de Cassation que nous avons évoquée au début de cet article. Je conseille en particulier au lecteur de lire attentivement la section "Reprise des principes de la Cour de cassation" et celui concernant "Les limites des autorisations de la DGCCRF" dans l'article de l'ordre des pharmaciens déjà commenté . On en revient aux définitions traditionnelles du médicament par présentation et par fonction en leur donnant un contenu tellement général que n'importe quel complément alimentaire est susceptible d'y correspondre. Et de plus la définition du médicament l'emporte sur celle du complément alimentaire qu'elle annule, vidant totalement de son contenu la directive.

Face à cette interprétation extrémiste et liberticide du droit par la Cour de Cassation il ne reste guère d'espoir si ce n'est, peut-être que la jurisprudence de la Cour de Justice Européenne que la Cour de Cassation évoque nous semble assez ancienne et antérieure à l'entrée en vigueur de la directive sur les compléments alimentaires. Mais comme nous le verrons en examinant les directives européennes sur les compléments et les médicaments, les directives sont de ce côté là aussi fort limitées.

Nous allons voir que là git en effet l'essentiel du problème et nous avions d'ailleurs informé en temps utile les lecteurs de Gestion Santé de l'existence de ce grave problème lors de la directive européenne sur le médicament de 2004 et lors de sa transposition française en 2006-2207.

La directive européenne de 2004 sur le médicament et son impact sur la Directive sur les compléments et sur les lois de transposition dans les Etats membres

En 2003 et 2004 le Parlement Européen a débattu d'une directive actualisant la législation européenne sur le médicament qui avait besoin d'être mise à jour et dont les premières versions favorisaient de façon indécente les intérêts des multinationales de l'industrie pharmaceutique. Une campagne avait été menée à l'époque par différents acteurs pour tenter de contrer les aspects les plus dangereux pour la santé public de la directive. On trouve un récapitulatif très détaillé des actions menées par le Collectif Europe et Médicament sur la question sur le site de la revue Prescrire. J'avais à l'époque commencé à m'initier de façon plus approfondie aux questions européennes en lisant ces différents documents. Le Collectif Europe et Médicament avait obtenu quelques améliorations mais n'avait en rien pu entamer le socle législatif sur lequel s'appuie le pouvoir des multinationales. Il est vrai que le Collectif Europe et Médicament cultive un élistisme médical peu soluble dans la culture démocratique et populaire et qu'il a soigneusement évité d'organiser tout ce qui pouvait ressembler à la formation d'un mouvement d'opposition populaire à la Directive (et aux autres problèmes concernant la santé et le médicament), se laissant (délibérément ?) enfermer dans la technicité de dossiers dont la compréhension est inaccessible, sans un gros travail de formation personnel, au non spécialiste.

Je me suis retrouvé impliqué dans le dossier sur un aspect auquel ne s'intéressait pas particulièrement le Collectif Europe et Médicament. Le sujet concernait la frontière entre les compléments alimentaires (Directive Européenne de 2002) et les médicaments (la directive en cours d'examen à l'époque et votée en 2004 ). L'Alliance for Natural Health (ANH), avec laquelle j'étais en contact via une association française de défense des suppléments qui n'existe plus aujourd'hui, avait repéré un point très important dans la directive médicament qui était lourd de menace pour le futur (nous avions mis en ligne un texte sur cette question sur Gestion Santé en 2004).

En effet la Directive comportait divers Considérants introductifs, qui sont les principes qui inspirent et justifient la directive et qui se déclinent ensuite en articles définissant concrètement le nouveau cadre légal du médicament, lesquels articles sont les seuls qui ont une portée légale effective.

Le Considérant 7 déclarait notamment (extraits - mon souligné - lire la Directive 2004/27/CE du 31 mars 2004 dans son intégralité) :

" (...) Afin de prendre en compte, d'une part, l'émergence de nouvelles thérapies et, d'autre part, le nombre croissant de produits dits «frontière» entre le secteur des médicaments et les autres secteurs, il convient de modifier la définition du médicament pour éviter, lorsqu'un produit répond pleinement à la définition du médicament, mais pourrait aussi répondre à la définition d'autres produits réglementés, que subsiste un doute sur la législation applicable. (...) Dans le même esprit de clarification, il est nécessaire, lorsqu'un produit donné répond à la définition du médicament, mais pourrait aussi répondre à celle d'autres produits réglementés, de préciser les dispositions applicables en cas de doute et afin de garantir la sécurité juridique. Lorsqu'un produit répond de façon évidente à la définition d'autres catégories de produits, notamment les denrées alimentaires, les compléments alimentaires, les dispositifs médicaux, les biocides ou les produits cosmétiques, la présente directive n'est pas applicable."

Tout semblait donc clair et rassurant... sauf que les articles de la directive ayant valeur légale ne reprenaient en rien le considérant et que au contraire était reprise la définition traditionnelle et démesurément élargie du médicament en lui donnant la préséance sur les autres catégories. En effet , l'article 2.2 disait explicitement le contraire du considérant 7 ! "En cas de doute, lorsqu'un produit, eu égard à l'ensemble de ses caractéristiques, est susceptible de répondre à la fois à la définition d'un “médicament” et à la définition d'un produit régi par une autre législation communautaire, les dispositions de la présente directive s'appliquent."

Il faut je pense voir dans cette incroyable contradiction juridique entre le Considérant 7 et l'article 2.2 la main de la Commission Européenne sous la coupe des lobbies pharmaceutiques, le Considérant 7 étant le magnifique Cheval de Troie (permettant de rassurer les Parlementaires) dans lequel était caché le funeste article 2.2 qui permettait lui d'ouvrir un brèche juridique la plus large possible dans le périmètre de la directive sur les compléments alimentaires et créant une insécurité juridique majeure entravant leur développement.

Cela avait amené l'ANH à proposer un argumentaire et un amendement frappé au coin du bon sens visant à harmoniser le Considérant 7 avec une définition qui aurait été clarifiée du médicament (mon souligné) :

La nouvelle solution de compromis proposée par l'ANH
Afin d'éviter l'émasculation de la Directive sur les Compléments Alimentaires et d'autres régimes réglementaires spécialisés, il est nécessaire d'inclure des déclarations similaires a celles qui sont actuellement proposées par le Considérant 7 dans les dispositions substantives de la Directive proposée.
ANH défend donc le projet consistant en :
1. (a)un amendement qui inclut les phrases acceptées du considérant 7 du Compromis dans la définition d'un "produit médical" qui deviendrait :
"(b) Toute substance ou combinaison de substances qui pourrait être utilisée ou administrée aux êtres humains en vue de restaurer, corriger ou modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, ou à faire une diagnostic médical excepté que là où un produit tombe clairement sous la définition d'autres catégories de produits, en particulier les aliments, les compléments alimentaires, des appareils médicaux, les biocides ou les cosmétiques, il ne sera pas considéré comme un produit médical."
(...)
ANH croit que cet amendement à la définition du médicament est tout à fait cohérents avec la Position Commune et sera donc soutenu en principe par la Commission tout comme par le Conseil. Ces phrases assurent que les compléments alimentaires seront réglementés en tant que tels par la Directive sur les Compléments Alimentaires plutôt que comme des produits médicaux, ce qu'ils ne sont pas. La même chose s'applique à d'autres catégories de produits, qui sont plus adéquatement réglementés sous leurs propres régimes législatifs spécialisés.

Malheureusement l'intervention assez tardive de l'ANH a Strasbourg (L'ANH n'avait été fondée qu'en 2002) lors du dernier passage de la directive au Parlement Européen n'avait pas permis de modifier la directive dont le pernicieux article 2.2 menace désormais de mort le marché des compléments alimentaires.

L'intervention de l'ANH a en tout cas le mérite de montrer qu'une formulation légale simplissime peut être proposée pour sécuriser le libre commerce des aliments et des compléments alimentaires tout en maintenant une haute sécurité pour les consommateurs dans le domaine de la distribution pharmaceutique des médicaments. La situation ubuesque qui prévaut actuellement n'est donc en rien une sorte de fatalité mais résulte de manoeuvres délibérées des milieux dirigeants européens et de la substitution des intérêts économiques et financiers de multinationales toutes puissantes à celui de l'intérêt général de toute la population européenne en matière de santé publique.

La déclinaison de la Directive sur le médicament en droit français en 2007

Compte tenu de ce qu'en France tant la puissance administrative que les "élites médicales" qu'elles soient de droite ou qu'elles se disent de gauche tiennent dans la même détestation et le même mépris tout ce qui concerne les compléments alimentaires, il allait de soi que la transposition de la directive sur le médicament allait reprendre avec tous ses défauts la Directive pour ce qui concerne la délimitation du médicament par rapport aux autres produits. Je ne sais même pas si la France - si elle avait été farouchement favorable aux compléments alimentaires - aurait pu ne pas transposer l'article 2.2 sans se mettre dans l'illégalité.

Cela avait amené en tout cas Gestion Santé à faire le 9 mai 2006 un billet très complet sur la question, exposant à la fois les problèmes qu'avaient soulevé le Collectif Europe et Médicament à propos de la transposition en France de la directive et à proposer une section 4) qui était spécialement dédiée à la question des frontières entre médicaments et autre produits.

Evidemment toute la capacité de nuisance de la Directive a été reprise en droit français puisque si l'on reprend la définition du médicament donnée plus haut dans ce billet, on voit que l’article L. 5111-1 du code de la santé publique, modifié par la loi n° 2007-248 du 26 février 2007 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament indique dans son dernier alinéa que :

Lorsque, eu égard à l'ensemble de ses caractéristiques, un produit est susceptible de répondre à la fois à la définition du médicament prévue au premier alinéa et à celle d'autres catégories de produits régies par le droit communautaire ou national, il est, en cas de doute, considéré comme un médicament.

Ce sont ces quelques lignes - couplée à la définition sans limite du médicament par fonction et par présentation précédemment évoquée - qui sont en train de dévaster notre droit d'accès aux compléments alimentaires.

De bien sinistres perspectives... sauf brutal changement politique en Europe

Dans ces conditions nous allons probablement aller de catastrophe en catastrophe en France mais aussi en Europe pour ce qui concerne la liberté d'accès aux compléments alimentaires. J'espère que l'on comprend mieux après avoir lu tout ce qui précède d'où procéde, d'un point de vue juridique, l'effarante position de la Cour de Cassation.

Il est probable qu'au vu des derniers jugements rendus, la DGCCRF est en train de fourbir une campagne de répression sans précédent dont le lancement est probablement déjà à l'arbitrage dans la haute administration et les ministères, loin des yeux et des oreilles du bon peuple.

Dans un premier temps on frappera de plus en plus durement les compléments alimentaires vendus par les non pharmaciens avant de frapper dans un deuxième temps les pharmaciens eux-même, bien qu'ils soient à l'origine de la vague de répression actuelle, car dans le passé la DGCCRF ne s'est pas génée pour faire retirer une multitude de compléments alimentaires des pharmacies avec l'argument en béton que les pharmaciens n'avaient pas plus le droit de vendre des compléments alimentaires que les non pharmaciens puisque ceux-ci constituaient des médicaments sans autorisation de mise sur le marché (la fameuse AMM). En France la situation sera probablement dans peu d'années encore pire qu'elle ne l'était auparavant.

En Europe, la situation devrait aussi évoluer dans un sens très défavorable compte tenu de ce que la Directive de 2002 contient de nombreuses dispositions très restrictives par rapport à la libre distribution de produits variés sûrs et correctement dosés en constituants efficaces. Les nutriments autorisés au départ (liste positive) sont en nombre dérisoire et toutes sortes d'obstacles administratifs et financiers sont mis à l'introduction de nouveaux nutriments. Les dérogations dans le temps qui avaient permis de maintenir la distribution pendant quelques années des nutriments déjà sur le marché mais ne figurant pas sur la liste positive arrivent à échéance. Les autorités européennes cherchent aussi à imposer des critères de dosage extraordinairement restrictifs sur la base de pseudo évaluations de sécurité afin de transformer des compléments alimentaires efficaces et bien dosés en poudre de perlimpinpin vendus à prix d'or.

La situation concrète est déjà à la disparition de nombreux produits intéressants des pays ayant eu dans le passé les pratiques les plus favorables aux compléments alimentaires. De plus l'impact de la préséance de la directive sur le médicament sur celle sur les compléments va aussi exercer ses ravages au fil du temps via la montée en puissance de la jurisprudence européenne à moins - miracle bien improbable - que la Cour de Justice Européenne ne mette des limites très stricte à l'extension délirante de la définition européenne du médicament.

Par aillleurs les multinationales de la pharmacie et de l'alimentaire travaillent toujours en sous main le Codex Alimentarius (Lire nos articles sur le Codex) pour nous gaver d'OGM de produits frelatés et bloquer autant que possible l'accès aux compléments nutritionnels au niveau mondial, dans le cadre de l'harmonisation de la circulation des divers produits alimentaires au niveau mondial.

Tout cela traduit la putréfaction du système politique et économique dominant et qui se désintègre progessivement sous nos yeux. Souvent on entend des personnes mal informées de ces questions se demander pourquoi on ne favorise pas les médecines complémentaires, les compléments alimentaires, l'agriculture biologique et une multitude d'autres secteurs plein de promesses, sachant que cela créerait un très grand nombre d'emplois dans d'innombrables secteurs tout en favorisant la santé, l'équilibre écologique et démographique entre les campagnes et les villes et la création d'innombrables petites entreprises dynamiques et performantes, etc. Cette question a été traitée il y a déjà longtemps par Marx et d'autres théoriciens marxistes et tient à la structure du système capitaliste et à la contradiction existant dans la classe capitaliste entre les grandes entreprises adossées aux géants de la finance, qui contrôlent l'allocation du capital au niveau national et international et les petits entrepreneurs dont le rayon d'action est étroitement délimité par les intérêts des multinationales qui en particulier définissent une réglementation sur mesure conforme à leurs intérêts, grace à une classe politique stipendiée, indépendamment évidemment de toute référence à l'intérêt général.

Je me sens parfois presque gêné de me faire l'avocat de la complémentation nutritionnelle compte tenu de la multitude de problèmes qui peuvent sembler tellement plus graves et qui accablent la population de nos pays développés - sans même évoquer la situation épouvantable qui prévaut dans de si nombreux pays du Tiers Monde. De plus l'accès aux compléments alimentaires semble réservé à une élite particulièrement bien informée et relativement aisée dont les problèmes devraient être relativisés si l'on considère la pénurie des soins qui devient un problème si préoccupant pour la population générale, d'autant que la restriction et le démantèlement de l'accès à des soins médicaux de qualité est délibérément organisée partout en Europe par la classe dirigeante. Je ne le ferai pas si je ne pensais pas que la médecine nutritionnelle et la complémentation ne constituaient une catégorie absolument fondamentale de l'anthropologie médicale et de la hiérarchie des soins, une perspective dont le développement devrait être un apport majeur pour la santé des populations - une perspective violemment étouffée depuis l'époque où l'apport génial de Linus Pauling et d'autres précurseurs a été écrasée par le systéme médico-industriel dominant.

C'est pourquoi, malgré les perspectives désolantes qui s'annoncent à court terme pour la complémentation dans le cadre de la de la structure corrompue de la domination politique actuelle, je pense qu'il est important de poser ces repères dans le domaine légal et réglementaire en plus des articles que nous proposons habituellement sur l'utilité thérapeutique de la complémentation, sachant que dans le cadre de la crise politique et économique actuelle, des transformations inattendues et brutales sont possibles à tout moment et qu'il pourrait être possible de remettre en avant plus rapidement qu'on ne pourrait le croire nos propositions en faveur des compléments et en matière de santé.

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Créé le 23/05/10. Dernière modification le 27/05/10.