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Analyse du rapport du Sénat sur les conditions de mise sur le marché et de suivi des médicaments (séance du 8 juin 2006)

 

Le 28 juin 2006 et le 7 juillet 2006 nous avons mis en ligne deux billets dans notre Journal de bord à l'occasion de la publication d'un rapport du Sénat sur la politique du médicament. Le rapport est très long et nous n'en avons analysé qu'une partie. La suite est pour l'instant en suspens faute de temps. Nous avons décidé de reprendre les billets correspondant dans une page unique, avec une mise en forme aménagée, que nous espérons compléter dans le futur.

A quoi sert cet exercice d'analyse du travail du Sénat ? Il ne s'agit ni de recopier le rapport ni de dire à l'opposé que les sénateurs auraient pu faire autrement et mieux, ce ne serait pas une oeuvre d'une grande utilité. D'ailleurs le travail des sénateurs présente un caractère systématique et assez fouillé qui le rend de toute façon d'une lecture intéressante pour le profane.

Dans cette affaire, il s'agit pour nous de saisir l'occasion d'une lecture critique du rapport du Sénat pour présenter de façon systématique et de pouvoir reformuler et actualiser en fonction des évolutions légales, institutionnelles et réglementaires intervenues (et de l'évolution de nos propres connaissances sur le sujet) nos travaux précédents sur la politique du médicament, souvent épars et disons le même quelque peu noyés dans diverses pages de notre site écrites depuis 2001. Nous espérons mettre ainsi à la disposition du lecteur cultivé un document de synthèse proposant une critique très complète des problèmes liés à la politique du médicament en France et au niveau international.

Je rappelle que Gestion Santé défend par ailleurs une réforme beaucoup plus complète et profonde de la politique de santé. Nous défendons plus spécifiquement sur notre site le rôle préventif et curatif de la nutrition et la supplémentation nutritionnelle. Mais ce n'est qu'un des aspects du problème. Comme je l'écrivais dans une interview récente "Pour moi, la médecine s'entend au sens large : l'hygiène, le sport, le logement, les conditions économiques, etc. participent de façon décisive à la santé." Comme l'indique le "etc.", cette énumération n'a bien sûr rien d'exhaustif.

Aussi, bien que nous nous centrions ici sur des propositions de réforme de la politique du médicament les plus fonctionnelles et les plus réalistes possibles, tenant compte de l'existant, celles-ci restent de par l'objet de notre étude, prisonnières d'une représentation très étroite de la santé. Nous visons par ailleurs à rouvrir la représentation de l'anthropologie médicale dominante qui nous semble extraordinairement sclérosée dans nos sociétés à la suite d'une évolution complexe intervenue surtout depuis la deuxième guerre mondiale mais qui remonte au-delà à la révolution pasteurienne. En fait cette anthropologie médicale que nous défendons existe déjà de longue date du fait des recherches nombreuses menées notamment dans le domaine des sciences humaines (lire notre approche du modèle médical étendu), le problème c'est que la société dédie la quasi totalité de ses moyens financiers et humains à une approche incroyablement réductrice de la santé. Bien que nous ne traitions pas spécifiquement de cette question ici, il nous semble important de signaler au lecteur cette problématique fondamentale d'une réforme à mener de l'anthropologie médicale dans nos sociétés, et de ne pas lui donner à croire que les réformes, certes fondamentales, que nous évoquons ici constituerait l'alpha et l'omega d'une réforme de la politique de santé. Ceci nous distingue fondamentalement d'autres auteurs comme Christian Lehman, Philippe Pignarre ou Jean-Claude Salomon. Nous nous en sommes d'ailleurs expliqué à l'occasion de la lecture commentée d'ouvrages de ces auteurs.

 

Décryptage : Rapport d'information du Sénat sur la politique du médicament

Cher lecteur : Par souci de lisibilité nous avons intertitré notre texte avec des sections annoncées par un titre en gras. Ces séparations reflètent les points important qu'il nous a semblé utile de distinguer au fil de notre lecture du rapport du Sénat. Fruit de notre propre réflexion ils ne sont donc en rien le reflet de la structure du rapport du Sénat voulue par ses rédacteurs, même si nous en faisons en lecture suivie et relativement complète d'où certaines correspondances. Merci d'en tenir compte lors de votre lecture et de vous référer en cas de besoin au rapport in extenso sur le site du Sénat dont nous ne faisons ici que des citations partielles lorsqu'elles nous paraissent pouvoir illustrer notre propos.

Le Sénat a rendu un rapport le 8 juin 2006 sur "Les conditions de mise sur le marché et de suivi des médicaments - Médicament : restaurer la confiance" sur lequel nous allons nous pencher. Nous l'avons découpé par intertitre et le lecteur peut éventuellement faire une lecture linéaire ou aller à une section qui l'intéresse plus particulièrement.

Un rapport qui fait suite à l'affaire du Vioxx
Quelques spécificités françaises en matière de surconsommation de médicaments
Un rapport qui oublie les problèmes de santé publique posés par la surconsommation de médicaments
Les agences et la politique de guichet ouvert en matière d'AMM
La nouvelle Haute Autorité de santé et son rôle en matière d'évaluation
La réévaluation des médicaments et le Service Médical Rendu
Les discontinuités entre AMM, SMR/ AMSR et remboursement
Le rôle de l'EMEA par rapport aux agences nationales
La (non) transposition de la directive européenne de 2004
L'EMEA sa structure et sa situation institutionnelle à clarifier vis à vis de la Commission Européenne
Comparaison du système français avec le système belge et britannique
Un système à améliorer compte tenu des carences constatées dans le passé
Des relations problématiques entre Afssaps et HAS
Le problème de la crédibilité de l'évaluation des médicaments
Les obstacles à une évaluation comparative des médicaments avant AMM
Les entraves à une pharmacovigilance indépendante, fiable et protectrice de la santé publique
Indépendance financière des agences et indépendance de décision
La transparence à l'Afssaps : les Rappe
La transparence du côté des entreprises
La transparence des processus de décisions au sein des agences
Un contrôle multiforme de l'information médicale
La formation médicale initiale des médecins (FMI)
La formation continue individuelle des médecins (FMC)
La visite médicale : bras armé des laboratoires
Une drôle de charte (de la visite médicale)
Une presse médicale sous influence
Les bases d'information professionnelles sur le médicament
L'échec du FOPIM
Le rôle de la HAS en matière d'information
La publicité en direction des consommateurs et des prescripteurs
Répondre au défi de l'information du public

Un rapport qui fait suite à l'affaire du Vioxx

Le rapport est largement un contre-feu à une proposition de commission d'enquête de François Autain et des membres du groupe communiste républicain et citoyen. L'avant-propos du rapport reconnaît d'ailleurs le rôle initiateur du sénateur. Cette proposition de commission d'enquête initiale faisait suite au scandale du Vioxx un anti-inflammatoire retiré en catastrophe du marché après y avoir été introduit dans des circonstances particulièrement discutables.

Le Sénat a finalement produit un rapport d'information selon une procédure qui lui donne nettement moins de pouvoirs d'investigations et qui est plus descriptive qu'une commission d'enquête. Néanmoins les sénateurs semblent avoir mené de nombreuses auditions d'acteurs du secteur public, privé et de la société civile.

Le rapport commence par quelques généralités bien creuses notamment sur l'affaire du Vioxx. On peut comparer le vague et l'imprécision de ces informations à celle pointues données par la revue Prescrire sur le même sujet "Comment éviter les prochaines affaires Vioxx". Le Sénat élude en particulier dans cet avant-propos la très mauvaise évaluation du rapport bénéfice risque de ce médicament faite par les agences de santé et son coût exorbitant par rapport à des alternatives thérapeutiques d'efficacité équivalentes (sur ce problème examiné de façon plus générale lire nos analyses des ouvrages de Jean-Claude Salomon ou de Philippe Pignarre).

Quelques spécificités françaises en matière de surconsommation de médicaments

Le Sénat indique ensuite "que les dépenses de médicaments augmentent inexorablement dans le monde occidental, au rythme de 8 % par an, notamment en raison du vieillissement de la population." Or c'est un quasi mensonge car si le vieillissement pèse sur les dépenses du médicament, cela n'explique qu'une fraction de l'augmentation. Les dépenses augmentent à ce rythme du fait de la substitution de médicaments anciens par des nouveautés souvent peu efficaces vendues à des prix incroyablement élevés.

Le Sénat apporte ensuite des données chiffrées plus pertinentes sur l'incroyable surprescription des médicaments en France par rapport à des pays économiquement comparables. Après des données quantitatives générales le Sénat donne des chiffres par classes thérapeutiques pour les antibiotiques, les tranquillisants, les hypnotiques et les psychotropes en général.

On est cependant frappé par l'ancienneté des chiffres et l'absence complète de données sur l'évolution de la consommation au cours des dernières années, problème qui ne semble pas inquiéter les sénateurs, alors qu'une campagne de longue haleine est par exemple menée par la Cnam pour faire baisser la consommation des antibiotiques ! Il faut dire que même ces mesures, pourtant poursuivies sur plusieurs années avec une certaine cohérence donnent des résultats qui restent médiocres. Depuis notre article sur le sujet en 2003 "Angine et surprescription générale des antibiotiques en France" nous avons vu passer peu de travaux de synthèse sur la question. En début d'année Le Parisien du 4/06/06 titrait pourtant "La résistance aux antibiotiques n'a jamais été aussi forte" et Marc Payet citait Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 3/01/06 de l'Institut de veille sanitaire et dressait un tableau accablant de la situation sur le développement des résistances aux antibiotiques en France et ses graves conséquences, en particulier à l'hôpital. On peut apprendre à cette occasion que depuis 2002 la baisse de la consommation n'est que de 13% ce qui est ridiculement faible compte tenu de l'énorme surprescription en France comparée à la plupart des aux autres pays européen (avec des prescriptions quadruple d'antibiotiques par rapport aux Pays-Bas on comprend qu'on est très très loin du compte !).

Un rapport qui oublie les problèmes de santé publique posés par la surconsommation de médicaments

Nous sommes ici sur des enjeux de santé publique majeurs qui concernent de très nombreuses classes thérapeutiques lesquelles sont à l'origine de très nombreuses hospitalisations et maladies nosocomiales dont le coût humain et économique est considérable. Par rapport à ces enjeux de santé publique fondamentaux, les rédacteurs du rapport n'ont pourtant pour conclure leur avant-propos et lancer le sujet que cette phrase vide et sans portée, à peine compréhensible : "Le problème de la surconsommation médicale doit être abordé sous l'angle de santé publique sur le bénéfice éventuel apporté, mais aussi sous l'angle économique et sur l'utilité sanitaire de la prise en charge du petit risque pour la solidarité nationale." C'est franchement pitoyable !

L'objectif visé par la mission est ensuite annoncé : "La mission d'information s'est attachée, dans un souci d'objectivité et de transparence, à étudier et approfondir le rôle des agences dans la politique du médicament, l'indépendance de l'information et de l'expertise, ainsi que l'efficacité des outils de sécurité sanitaire." L'étroitesse de l'objectif est inquiétante. L'absence de prise en compte des enjeux de santé publique qui devrait être un préalable pour éclairer l'analyse du fonctionnement des agences manque en particulier cruellement. On a plus l'impression d'un sujet de devoir bien sage pour des étudiants de sciences po, que d'un rapport parlementaire menant une réflexion politique au sens noble du terme !

Les agences et la politique de guichet ouvert en matière d'AMM

Le rapport commence par examiner le rôle des agences de santé dans la mise sur le marché des médicaments. La complexité de l'organisation des agences est notée et le fait que "Cette organisation n'est toutefois pas exempte de déficiences, tant en matière de transparence qu'en termes de coordination entre les différents acteurs de la politique du médicament."

Le rapport rappelle que l'AMM (autorisation de mise sur le marché) est du ressort de l'Afssaps et cerne rapidement les enjeux (sauf remarque contraire, tous les grassés des citations sont dans le texte d'origine - Les notes de bas de page du rapport ont été insérées entre crochet dans le texte) : "L'avis de la commission d'AMM est fondé sur l'évaluation du rapport bénéfice/risque du produit, c'est-à-dire de l'équilibre entre son efficacité, son innocuité et sa qualité. L'AMM n'est donc pas le résultat d'une évaluation comparative des médicaments d'une même classe thérapeutique ; elle constitue seulement une absence d'interdiction de commercialisation. Chaque année 5 % à 10 % des demandes d'AMM se soldent par un refus."

Autrement dit les sénateurs voient bien qu'on est confronté à une politique de "guichet ouvert" à l'entrée pour les nouveautés, avec très peu de refus de mise sur le marché, alors que nous le verrons par la suite, la réévaluation se fait selon des critères beaucoup plus sévères qui aboutissent souvent à une baisse du SMR voire au déremboursement des médicaments les plus anciens et les moins coûteux.

Le rapport donne ensuite un tableau brut des autorisations des médicaments de 1993 à 2004 qui faute d'explication et d'analyse quantitative et qualitative est pratiquement inexploitable.

La nouvelle Haute Autorité de santé et son rôle en matière d'évaluation

Suit un passage important sur l'organisation de l'évaluation du médicament que je donne donc intégralement compte tenu des modifications importantes intervenues récemment dans ce secteur :

"Le circuit complexe du remboursement

Pour qu'un médicament autorisé soit ensuite pris en charge par le système de protection sociale, il doit être inscrit sur une liste fixée par un arrêté du ministre chargé de la santé (article L. 5123-2 du code de la santé publique). Avant d'obtenir ce sésame, le médicament passe par une série d'étapes faisant intervenir différentes instances : la Haute Autorité de santé (HAS), le comité économique des produits de santé (CEPS) et l'union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam).

Créée par la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie et installée formellement le 1er janvier 2005, la HAS est une instance consultative et indépendante d'expertise scientifique. En matière de médicament, son rôle est d'éclairer les pouvoirs publics en matière de décision de remboursement en fonction du critère du service médical rendu au patient.

La HAS a repris notamment les missions de l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes) et de la commission d'évaluation des produits et prestations (CEPP). Elle a également accueilli en son sein la commission de la transparence, rattachée auparavant à l'Afssaps." (...)

Au sein de la HAS "La commission d'évaluation des médicaments, qui intéresse le présent rapport, (...) est chargée d'évaluer les produits qui ont obtenu une AMM, lorsque le laboratoire qui les commercialise souhaite obtenir leur inscription sur la liste des médicaments remboursables.

Dans ce cadre, elle a plus spécifiquement pour missions de :

- donner un avis sur la prise en charge du médicament par la sécurité sociale et/ou son utilisation à l'hôpital ;

- contribuer au bon usage du produit en publiant une information scientifique indépendante sur sa place dans la stratégie thérapeutique et les résultats de l'évaluation de leur service médical rendu (SMR), ainsi que de l'amélioration qu'ils sont susceptibles d'apporter par rapport aux traitements déjà disponibles (amélioration du service médical rendu - ASMR). A cet égard, il convient de préciser que, désormais, l'évaluation du service rendu des produits est pratiquée par comparaison avec toute autre pratique médicale, et non plus seulement avec les autres médicaments.(...)

En outre, la HAS procède régulièrement à la réévaluation des produits déjà commercialisés afin de maintenir en cohérence la prise en charge des médicaments par la sécurité sociale et le progrès thérapeutique."

Il s'agit d'une réorganisation très importante car la création de l'HAS crée dans une certaine mesure un pôle d'expertise unifiée. Dans notre article "L'expertise santé à la française : L'AFSSAPS déclare que 840 médicaments ont un service médical rendu insuffisant", nous avions attaqué avec virulence l'indigence de la réévaluation des anciens médicaments faite par la Commission de la transparence (autrefois située à l'Afssaps et donc absorbée par la nouvelle HAS). Certaines de ces réévaluations avaient abouties en Conseil d'Etat qui avait confirmé la médiocrité des avis d'évaluation rendus (cf. notre article "Revirement de jurisprudence au Conseil d'Etat"). Ce scandale majeur de santé publique avait malheureusement été presque complètement étouffé par les médias dominants (toujours trop heureux de pouvoir rendre service aux gouvernements en place), néanmoins tout cela commençait à faire sérieusement tâche et le gouvernement a profité de la fin de mandat de la Commission de la transparence pour créer le HAS et lui faire refaire les avis des SMR les plus litigieux.

Malheureusement, le mal était largement fait et la réévaluation a surtout consisté à donner un habillage scientifique enfin présentable à certains SMR suivant un raisonnement qui, dans certains cas, ne nous convaint pas vraiment, par ex. pour ce qui est des produits pour l'insuffisance veineuse. Ces déremboursements sont très pénalisants pour des produits relativement efficaces, inoffensifs et pour lesquels il n'existe pas vraiment d'alternatives (cf. mon billet du 2/02/06). Par ailleurs l'HAS est également restée prisonnière des avis de SMR qui à l'inverse ont été surestimés par la Commission de la transparence pour beaucoup de produits. En effet l'HAS s'est contentée (si j'ai bien suivi et compris toutes les péripéties intervenues !) de réévaluer les classes de médicaments dont l'évaluation avait été contestée parce qu'ils donnaient lieu à déremboursement (les SMR dits insuffisants). Nous avions donné comme exemple de médicaments que nous considérions à l'opposé comme ayant des SMR surévalués des produits anticholestérols comme les statines et les fibrates (lire "Les statines en prévention primaire ?"). Mais c'est également le cas des anti-inflammatoires de dernière génération dont le Vioxx faisait partie. Le Celebrex de la même famille des coxibs est toujours sur le marché.

La réévaluation des médicaments et le Service Médical Rendu

Le rapport sénatorial propose un encart sur le sujet de la réévaluation des médicaments lancée en 1999 où, on s'en serait douté, aucun des problèmes que nous venons de rappeler ci-dessus ne figure.

Le rapport rappelle ensuite les différents niveau de SMR et la façon dont le SMR est lié au taux de remboursement. On peu lire que "Le SMR, comme l'ASMR, se mesure selon une échelle qui comporte cinq niveaux permettant de déterminer le taux de remboursement : I et II en cas de pathologie grave (65 % de prise en charge), III et IV (35 % de prise en charge) et V (pas de remboursement). Ainsi, si le SMR est insuffisant, le médicament ne doit pas être inscrit au titre des médicaments remboursables. Les critères d'évaluation sont de trois ordres : l'intérêt clinique, la commodité d'emploi et l'intérêt au regard de la santé publique."

La définition exacte du SMR est la suivante : Le SMR évalue le produit sur les critères suivants : efficacité, sécurité, caractère préventif, symptomatique ou curatif, gravité de l’affection et intérêt en terme de santé publique (Lire : S.M.R. & A.S.M.R. Informations sur le médicament - Attention les infos dans cette page sur les instances faisant les évaluations sont périmées). La gravité n'est donc en réalité qu'un critère parmi d'autres.

On voit déjà la confusion qui s'installe dans les esprits puisque la formulation du rapport "en cas de pathologie grave" pourrait donner à penser que tout médicament ayant une efficacité majeure ou mineure, bénéficiera d'un SMR I ou II et d'un remboursement à 65% s'il vise une pathologie réputée "grave" alors qu'un médicament très efficace pour une pathologie de moindre gravité ne pourra bénéficier au mieux que d'un taux de 35% (nous souhaitons au passage bon courage à ceux qui sont charger de dresser les listes distinguant les pathologies "graves" des "moins graves", auxquelles nous suggérons d'ajouter les "presque pas grave"). Je pense qu'il ne s'agit pas ici seulement d'une formulation flou et pas très heureuse du rédacteur mais que celle-ci résulte bien du fait que nous sommes au coeur du problème de l'évaluation des médicaments avec des confusions permanentes entre gravité de la pathologie et efficacité du médicament dont l'industrie pharmaceutique joue à plein pour faire prendre en charge des produits médiocres dans des pathologies très médiatisées et d'une confusion qu'elle contribue par ailleurs massivement à entretenir en créant ou au moins en déformant profondément la représentation des pathologies qu'elle prétend soulager (cholestérol élevé, définition de la dépression et de différents troubles de la personnalité par ex. parmi une multitude d'exemples possibles).

Quoi qu'il en soit l'évaluation du SMR et de l'ASMR est désormais entièrement entre les mains de l'HAS. Evidemment le problème se pose de savoir comment l'AMM peut être accordée de façon pertinente par l'Afssaps, sans avoir fait l'analyse préalable du SMR et de l'ASMR ! Deux tâches dévolues à l'Afssaps ne me semblent pas pouvoir être réalisées correctement sans ce préalable : 1) l'évaluation du rapport bénéfice/risque et 2) la rédaction des caractéristiques du produit (RCP) correspondant à l'usage recommandé pour les praticiens. Ce deuxième point serait à nuancer et on pourrait accepter qu'il soit de la compétence de l'Afssaps s'il est fait sur la base d'une évaluation approfondie préalable du produit par l'HAS en terme de SMR et d'ASMR.

Les discontinuités entre AMM, SMR/ AMSR et remboursement

C'est le premier hiatus, celui de la connexion entre le rôle de l'Afssaps et de l'HAS, qui n'échappe semble-t-il pas complètement aux sénateurs même s'il n'est pas formellement explicité.

Le deuxième hiatus mieux repéré résulte de la connexion entre l'HAS et le CEPS (Comité économique des produits de santé). En effet, "Une fois cette évaluation effectuée, l'avis de la HAS est transmis au CEPS pour la fixation du prix du médicament et à l'Uncam pour celle du taux de remboursement. Pour l'essentiel, ce dernier respecte le niveau de SMR défini par la commission d'évaluation des médicaments.

Concernant, en revanche, la fixation du prix par le CEPS qui doit, en principe découler du niveau d'ASMR , la Cour des comptes notait, dans son rapport au Parlement sur la sécurité sociale de septembre 2004, que « dans la pratique, les conséquences tirées du niveau d'ASMR dans la négociation du prix sont variables, voire incertaines. »

En effet, la fixation du prix par le CEPS dépend du résultat de la négociation entre cette instance et le laboratoire pharmaceutique. Toutefois, depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 et l'accord Etat-industrie du 13 juin 2003, un système encadré s'applique pour les médicaments innovants (ASMR I et II) : le prix choisi par l'industrie s'applique immédiatement, sauf avis contraire du CEPS."

L'accord-cadre 2003-2006 entre le CEPS et les industriels du médicament, dont on a dit à l'époque qu'il était très favorable aux industriels, est consultable ici. Nous verrons dans la suite si les sénateurs ont des remarques à faire sur le respect des engagements pris par les industriels et s'ils ont des recommandations à faire pour le prochain accord. On pourrait par exemple confronter utilement la "Section III : Bon usage du médicament" de l'accord avec les remarques de la revue Prescrire sur les graves dérives de la communication publicitaire des industriels (p. 8/11) "L'année 2005 du médicament : La dérégulation s'accentue".

Suit un récapitulatif intéressant du circuit d'autorisation et de remboursement qui situe les différents intervenants. C'est l'occasion de présenter l'échelon européen avec l'EMEA (European Medicines Agency) et de faire un bref point sur l'harmonisation communautaire dans le domaine du médicament. Les rapporteurs pensent que le renforcement de la législation européenne en matière de médicaments a apporté des améliorations appréciables. Mais celles-ci sont selon nous relativement mineures et très formelles par rapport aux problèmes qui se posent dans la pratique pour la conduite de la politique de santé publique.

Le rôle de l'EMEA par rapport aux agences nationales

Le rapport explique ensuite la différence entre les procédures d'autorisation des médicaments (procédure centralisée via l'EMEA, par reconnaissance mutuelle ou la procédure nationale). Lire aussi la fiche de Prescrire sur le même sujet. Nous avons aussi évoqué la question de la procédure de reconnaissance mutuelle dans notre billet du 15/06 sur l'autorisation du Prozac (fluoxétine) pour les jeunes enfants. On regrettera que ne soit pas explicité le rôle que conserve l'Afssaps par rapport à celui de l'EMEA quand celle-ci a la responsabilité de l'évaluation d'un médicament dans le cadre de la procédure centralisée. S'agit-il d'un simple habillage de la décision de l'EMEA dans le système de procédure français ou d'un rôle un peu plus consistant ?

Une disposition très importante est rappelée par les rapporteurs (mon grassé) "la liste des motifs autorisant un Etat à retirer un médicament du marché a été complétée. La directive de 2001 prévoyait déjà trois cas : la non-conformité de la composition aux substances autorisées par la législation européenne, la nocivité dans les conditions normales d'emploi et le défaut d'effet thérapeutique. La directive de 2004 prévoit un quatrième motif : un rapport bénéfice-risque défavorable dans les conditions d'emploi autorisées."

Cela aurait par ex. autorisé (si les autorités de santé faisait leur travail) à refuser l'extension du Prozac pour les jeunes enfants. Notre billet précité propose d'ailleurs pour le Prozac un exemple d'argumentaire qui justifierait un retrait du marché pour rapport bénéfice-risque défavorable. La France n'a pas choisie cette voie de la rigueur.

D'autres pays peuvent cependant se montrer plus ferme, Prescrire (article précité p. 6/11) donne l'exemple de la suspension par la Finlande et l'Espagne du nimésulide malgré un avis positif de l'EMEA, cet anti-inflammatoire pouvant avoir des effets indésirables hépathiques graves. L'Afssaps a par contre suivie l'EMEA sur le même sujet (cf. communiqué). Il est vrai que dans le cas d'espèce il suffisait d'invoquer "la nocivité dans les conditions normales d'emploi" sans avoir besoin d'invoquer le rapport bénéfice - risque.

Par contre la notion de rapport bénéfice - risque ouvre probablement la voie pour les pays qui le souhaiteraient à une ambitieuse politique d'AMM fondée sur une vraie politique des autorisations fondée sur le SMR comparés des médicaments entre eux par rapport à leurs différentes cibles thérapeutiques ! Avec à la clé une réduction drastique des médicaments autorisés et de nombreux avantages en terme de santé publique. Bref tout ce que redoute les industriels de la pharmacie.

La (non) transposition de la directive européenne de 2004

Par ailleurs le rapport note "Cette réalisation ne doit pas masquer le fait que les Etats membres n'ont pas tous, loin s'en faut, achevé la transposition de ces nouvelles dispositions dans leur droit interne, et la France en premier lieu.

En effet, si les normes juridiques exposées dans le règlement 726/2004 précité sont d'application directe, certaines de ses dispositions ne pourront toutefois s'appliquer qu'après la transposition en droit interne de la directive 2004/27.

A ce jour, seule la nouvelle définition de l'AMM a été transposée par voie réglementaire, ainsi que la définition du médicament générique par la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie. On est loin de la transposition intégrale qui aurait due être achevée avant le 30 octobre 2005.

La mission d'information regrette ce retard, qui place une fois de plus la France dans les derniers rangs de l'Union européenne en matière de transposition des textes communautaires. Elle souhaite à cet égard l'adoption rapide, par le Parlement, du projet de loi d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament [Adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament, Assemblée nationale, n° 3062, mai 2006.] déposé à l'Assemblée nationale le 3 mai 2006."

Malgré cette autocritique pertinente le rapport oublie d'expliquer que les modalités de cette transposition outre son retard pose de sérieux problèmes que nous évoquions dans notre billet du 9/05/06 (la qualité juridique de la transposition proposée est particulièrement médiocre et pose problème)

L'EMEA sa structure et sa situation institutionnelle à clarifier vis à vis de la Commission Européenne

Le rapport évoque ensuite le problème récurent du rattachement, pour des raisons historiques, au niveau des services de la Commission Européenne de l'EMEA à la direction générale entreprises et industrie alors qu'il existe une DG santé et protection des consommateurs (lire la fiche de Prescrire). Le rapport apporte pour une fois des précisions utiles et que j'ignorais et des recommandations de bon sens en indiquant que la DG santé "est chargée des relations avec les laboratoires pharmaceutiques, au travers notamment de la fédération européenne des industries pharmaceutiques (EFPIA), et avec les associations de patients. Elle examine les sujets « santé publique » de la politique européenne du médicament ; c'est le cas, actuellement, du critère de la valeur thérapeutique ajoutée dans la décision d'AMM et du contrôle de la publicité.

Ce partage des responsabilités au sein de la Commission n'est pas toujours des plus efficace. Aussi, il conviendrait de réfléchir au rattachement de l'EMEA à la DG santé et protection des consommateurs. Ce choix, outre la simplification du système européen qu'il entraînerait, aurait l'avantage d'ancrer le fonctionnement de l'agence dans des problématiques de santé, plus que dans celles de l'industrie pharmaceutique."

Suit une description institutionnelle détaillée de l'EMEA.

Comparaison du système français avec le système belge et britannique

Le rapport s'intéresse ensuite au système d'organisation belge et britannique dans une visée comparative avec la France. Pour le système Belge le rapport indique que "Au final, si la Belgique a choisi une organisation monocéphale dans le domaine du médicament, ce qui la préserve du manque de coordination qui existe entre les différentes instances françaises, elle est confrontée aux mêmes difficultés pour ce qui concerne son indépendance vis-à-vis de l'industrie."

En ce qui concerne le cas britannique, le rapport évoque certaines opacités. Ainsi "Le PPRS contrôle les profits produits par les ventes réalisées au sein du NHS et fixe un seuil de gains (21 % actuellement) qui, en cas de dépassement de plus de 40 %, donne lieu à un retour de l'excédent dans les caisses du NHS ou à des baisses de prix pour l'année suivante. De même, un seuil inférieur de rentabilité assure à l'entreprise un minimum de retour sur ses dépenses. Les négociations individuelles avec les laboratoires sont confidentielles, ce qui a provoqué de nombreuses critiques sur le manque de transparence, notamment celles de la Chambre des Communes dans un récent rapport [The influence of the pharmaceutical industry. House of Commons, Health committee. Session 2004-2005]." A noter qu'en France des engagements similaires passés dans les accord-cadres avec les industriels n'ont fréquemment pas donné lieu à des rectifications de prix ou aux remboursements attendus. Lire par ex. le rapport de la Cours des comptes de 2001 (p. 51/67). Des engagements de prix et de volume de vente continuent à figurer dans les accord cadres français avec les entreprises (article 4 , engagements sur les prix et les volumes). Nous verrons dans la suite si le rapport a formulé des remarques sur le sujet.

Le rapport évoque ensuite le rôle du NICE (National Institute of Clinical Excellence) qui correspond à peu près à ce que pourrait devenir le HAS français : "Le NICE est un institut indépendant d'évaluation médico-économique créé en 1999, afin de produire des recommandations nationales pour améliorer la qualité des soins avec trois missions : fournir des évaluations médico-économiques sur les médicaments et traitements nouveaux ou existants ; produire des recommandations cliniques pour des maladies spécifiques et fournir des recommandations sur les procédures d'intervention utilisées dans le diagnostic ou le traitement. En avril 2005, le NICE et la health development agency, chargée de la promotion de la santé et de la prévention, ont fusionné, devenant ainsi une structure dont les compétences sont proches de celles de la HAS française."

En ce qui concerne le bilan du NICE le rapport indique qu' "Il convient néanmoins de noter que l'efficacité des recommandations du NICE pour changer les pratiques médicales est un sujet controversé. Une étude récente examinant leur impact sur les médecins suggère que leur suivi a été très varié. Il semble que les recommandations les mieux suivies soient celles soutenues par le corps médical, fondées sur des preuves scientifiques convaincantes et celles qui n'entraînent pas de dépenses supplémentaires, à moins que celles-ci ne soient couvertes par des budgets spécifiques." Ce bilan un peu aigre devrait pourtant surtout nous encourager a associer en France le corps médical aux mesures de changement dans les habitudes de prescription. Or cela sera beaucoup plus difficile en France qu'en Grande Bretagne ou les médecins sont fonctionnarisés et beaucoup moins sous la coupe multiforme des industriels, ce qui facilite évidemment énormément la mesure et l'indépendance dans la prescription. Suivent des critiques sur le système hospitalier dont on sait qu'il est sévèrement rationné en Grande Bretagne et où le rapport s'autorise notamment un diagnostic tout en nuance "les médicaments les moins chers étant systématiquement choisis au détriment de l'efficacité et de la qualité des soins". A lire avec circonspection quant on sait comment tant de nouveautés hors de prix sont poussées en France, bien trop souvent depuis l'hôpital et bien trop souvent au détriment de l'efficacité et de la sécurité des malades...

Un système à améliorer compte tenu des carences constatées dans le passé

Nnous allons maintenant étudier cette section du rapport. Celle-ci constate que malgré sa complexité le système français de mise sur le marché des médicaments qui a beaucoup évolué depuis 15 ans correspond à une logique fonctionnelle et doit être préservé, "Il semble toutefois que des marges existent pour améliorer la lisibilité et la transparence du système". Point de vue que nous partageons...

Suit la description (vraiment très sélective et allusive) de diverses carences repérées par divers intervenants officiels en 2002 et 2003 (note 9 et note 10) et dont il est difficile de dire dans quelle mesure elles sont toujours d'actualité suite aux corrections éventuelles apportées et à la création récente de la HAS.

Pour être plus concret sur cette question on peut consulter le livre "Santé, mensonges et propagande" (Seuil, 2004), où Thierry Souccar et Isabelle Robard (lire p. 286), se sont entre autre intéressés à la situation de l'Afssaps à peu près à la même période. Les auteurs ont par exemple tenté en vain d'obtenir le réglement intérieur des différentes commissions de l'agence, réglements censés être en application pour la plupart d'entre eux depuis 2001 selon le rapport d'activité diffusé par l'Afssaps. L'agence existe depuis 1998 et a repris l'essentiel des activités de l'agence du médicament créée en 1993 ce qui donne une idée du retard ou plutôt des extraordinaires résistances à l'égard de toute transparence (le rapport du Sénat évoque d'ailleurs à un endroit une "profonde habitude du secret"). Après de nombreuses démarches infructueuses les auteurs ont appris que trois commissions (sur 14 commissions) avaient approuvé un réglement intérieur, mais que ceux-ci étaient en cours de modification, sans que l'on sache trop s'ils étaient effectivement en application ou pas. En tout cas ils n'étaient pas communicables... D'ailleurs la cellule de veille déontologique qui semblait assurer le suivi de ces questions devait être supprimée sous peu ...

Ces règlements sont très importants car ils formalisent le cadre juridico-administratif garantissant la pérénité des modes de fonctionnement de l'agence, l'équité, la légalité et la transparence des procédures d'instruction de ses décisions vis à vis des différents acteurs concernés par le fonctionnement de l'agence. Leur mise en place est donc fondamentale. Une autre section de l'ouvrage des mêmes auteurs traite d'ailleurs (p. 168 à 182), de la façon indigne dont l'Afssaps par toute sorte d'arguties s'efforce de bloquer depuis plusieurs années l'intégration dans la pharmacopée française des plantes des territoires d'outre-mer (discrimination qui est largement une conséquence de la période esclavagiste puis coloniale). L'absence de procédures écrites connues par les parties sur les modalités de travail de l'Afssaps semble être utilisée à plein par l'Afssaps pour écarter les géneurs (pardon, les demandeurs) confrontés à toute sorte de demandes incohérentes et variables dans le temps de la part de l'agence sans que leurs demandes soient véritablement instruites ni traitées de façon suivie par rapport à une procédure écrite dont les demandeurs auraient pu exiger le suivi par l'agence. D'ailleurs la politique de l'agence semble être d'utiliser tous les prétextes possibles pour réduire le nombre de plantes inscrites à la pharmacopée (la mise à jour 2005 a ainsi vu disparaître une centaine de plantes !) et quasi aucune introduction. L'exemple de la phythothérapie illustre comment l'absence de règlement intérieur et de transparence en général et la technicité de dossiers très peu médiatisés permet à l'agence de mener une politique "maison" dont les implications pour le consommateur et la santé publique sont considérables, sans que puisse se manifester aucun contre-pouvoir. Bien entendu cette politique reçoit un soutien au moins implicite du ministère de la santé sans lequel elle ne pourraît être mise en oeuvre.

Dider Tabuteau, créateur et premier directeur général de l'Agence du médicament a répondu aux auteurs (p. 315) sur la question des réglements intérieurs et pense que plus que d'une carence d'organisation des commissions, l'absence de ces règlements trahit une carence d'une nature différente : "La façon dont on convoque les gens, comment on organise les débats, ces règles là doivent être fixées dans les textes (...) mais pas dans les règlements intérieurs. Il faut que les textes réglementaires soient éventuellement plus précis sur, notamment, la procédure contradictoire et la façon dont on peut obtenir les informations qui résultent des commissions, cela relève des décrets, c'est très clair." On a donc des carences organisationnelles importantes et celles-ci résultent probablement au moins pour partie des carences réglementaires sur les obligations de l'agence en matière de transparence et de procédures d'instruction. Nous verrons si le rapport sénatorial pourra nous éclairer sur ces points (Lire ci-après la section "La transparence des processus de décisions au sein des agences").

Des relations problématiques entre Afssaps et HAS

En ce qui concerne les relations entre la HAS et l'Afssaps (sauf remarque contraire, tous les grassés des citations sont dans le texte d'origine - Les notes de bas de page ont été insérées entre crochet dans le texte) "L'architecture désormais en place nécessite la mise en oeuvre d'une coordination étroite entre la HAS et l'Afssaps, puisque les travaux de la commission de la transparence s'appuient, en partie, sur les données contenues dans les dossiers déposés par les laboratoires pharmaceutiques au moment de la demande d'AMM.

Cette coordination est assurée par des réunions régulières entre les secrétariats de ces instances. Ces échanges à caractère opérationnel ont été mis en place depuis le deuxième trimestre 2005 ; ils sont l'occasion de passer en revue les dossiers inscrits à l'ordre du jour de la prochaine réunion de la commission de transparence.

Des clarifications et des synergies doivent encore être recherchées dans le domaine des recommandations de bonnes pratiques que peuvent émettre ces deux institutions.

La mission s'est interrogée sur la pertinence de cette organisation et surtout sur les résultats obtenus en bout de chaîne, c'est-à-dire la mise à disposition des patients de produits de santé sûrs et dotés d'un intérêt au regard des exigences de la santé publique."

Nous verrons dans la suite si une réponse a été donnée à ces interrogations des sénateurs sur l'efficacité des mesures prises en matière de coordination entre l'HAS et L'Afssaps. Quid au passage de l'EMEA, l'agence européenne devant étudier de plus en plus de nouveaux médicaments à la place de l'Afssaps ? En tout cas la faiblesse chronique, et généralement reconnue par la plupart des spécialistes, des contrôles effectués par l'Afssaps sur les dossiers fournis par les industriels risque d'être problématique. L'Afssaps et l'EMEA risquent de constituer, en tant que point d'entrée et interlocuteurs uniques des industriels pour les dossiers de mise sur le marché initiaux des médicaments, de par les lacunes de leurs investigations, analyses et contrôles de tous ordres réalisées sur les dossiers, un écran redoutable pour le travail et les évaluations de l'HAS qui, pour sa part, doit évaluer des SMR et des ASMR et a donc des besoins très différents en matière d'information pour forger son opinion. Pour se convaincre de ces lacunes on pourra lire dans quelles conditions de légèreté s'est fait l'arbitrage de l'EMEA pour l'extension de l'AMM du Prozac pour les enfants, alors que l'EMEA est réputée plus rigoureuse dans ses avis que l'AFSSAPS et que le sujet était sensible compte tenu de la procédure qui était en cause (lire notre billet du 15 juin).

Les relations entre Afssaps et EMEA mériteraient donc d'être clarifiées par des textes réglementaires ad hoc. Par ailleurs il faut aussi noter que le flux constant de nouveaux médicaments d'un intérêt thérapeutique discutable nuit considérablement au travail d'approfondissement des agences sur les médicaments les plus importants.

Le problème de la crédibilité de l'évaluation des médicaments

Le rapport note à ce propos et dans un des meilleurs passages que nous ayons pu lire jusqu'à présent qu' "En effet, les critères de jugement utilisés par les commissions d'AMM et de la transparence reposent sur la notion d'absence d'infériorité. Le recours à de telles grilles d'évaluation, s'il ne remet pas en cause les éléments fondamentaux de la sécurité sanitaire, conduit néanmoins à s'interroger sur le rôle de filtre des différentes instances, sachant que notre pays se singularise par une prise en charge collective très importante.

La question posée est double. Elle porte, d'une part, sur la pertinence des critères employés pour juger de la sécurité et de l'efficacité d'un médicament, d'autre part, sur les situations qui peuvent conduire à la non prise en charge d'un médicament auquel une AMM a été délivrée.

En effet, sans remettre en question la qualité des travaux menés par chacune des instances concernées, il faut reconnaître [Cf. auditions de Gilles Bouvenot p. 222 et de Jean Marimbert, p. 252.] que les critères retenus pour l'évaluation d'un médicament relèvent plutôt d'une appréciation par défaut plutôt que d'une évaluation de son apport novateur. Le recours à ce critère de non infériorité facilite le parcours du médicament tant au niveau de la commission d'AMM, qui juge de sa sécurité thérapeutique par rapport à une balance bénéfice-risque, qu'au niveau de la commission de la transparence, qui évalue le service médical et l'amélioration du service médical rendu par les produits de santé. Ce parcours donne l'impression que le doute profite au médicament plutôt qu'aux patients. Les obstacles sont ainsi franchis les uns après les autres, ce qui se traduit par une situation de quasi-automaticité entre l'AMM et la prise en charge collective du produit de santé.

Dans son rapport 2004 [ La sécurité sociale, Cour des comptes, septembre 2004.] , la Cour des comptes abondait dans ce sens en soulignant que «  ni la commission de la transparence recentrée sur sa mission d'expertise médicale, ni le CEPS dont la mission est de réguler les prix, n'assument actuellement la mission transversale d'analyse médico-économique de ce secteur qui consiste à évaluer le ratio coût/efficacité des médicaments candidats au remboursement  ». "

On voit que si la HAS veut redresser la situation elle aura fort à faire. Lorsque la Commission de la transparence exerçait son activité au sein de l'Afssaps, il semble qu'il existait une tendance à la surestimation de certains SMR et des ASMR pour les "nouveautés thérapeutiques" très soutenues par les multinationales. Cette évaluation liait ensuite largement le CEPS pour les négociations de prix et le privait en pratique de toute marge de manoeuvre. Ces mauvaises habitudes seront très difficiles à réformer en l'absence d'une volonté politique clairement exprimée de soutenir l'expertise scientifique de l'HAS si elle rend des évaluations qui ne conviennent pas aux industriels, volonté politique qui, il faut le dire, fait absolument défaut pour l'instant.

Les sénateurs commencent donc à se poser les bonnes questions sur l'évaluation des médicaments et ils se demandent si "La vraie question n'est-elle pas de savoir s'ils sont les plus efficaces et les mieux adaptés à la pathologie à traiter, au profit du patient et à leur interférence avec les autres prescriptions. S'il n'est pas question de restreindre l'accès aux médicaments et si l'hypothèse suivant laquelle des produits d'une même classe thérapeutique ne produisent pas les mêmes effets en fonction des patients doit être pris en compte, l'accroissement régulier des cas de iatrogénie médicamenteuse doit inciter les pouvoirs publics à développer une réflexion sur l'utilité des produits de santé au regard de la santé publique."

On trouve enfin la mise en perspective en terme de santé publique qui manquait tant à l'avant-propos du rapport (cf. notre billet du 28/06).

Les obstacles à une évaluation comparative des médicaments avant AMM

Mais quels outils utiliser pour se faire une idée fondée scientifiquement de l'utilité du nouveau médicament ? Cela pourrait passer par "une meilleure exploitation d'essais comparatifs contre médicaments réalisés soit par le laboratoire pharmaceutique dans le cadre des essais cliniques précédant la demande d'AMM, soit sous l'autorité des agences sanitaires après la délivrance des AMM.

Ces essais consistent à comparer l'efficacité thérapeutique d'un nouveau médicament en cours de mise au point à un produit similaire déjà disponible pour les patients. Ils se distinguent de ceux effectués par rapport à un produit placebo. Bien entendu, le recours à de tels essais n'est pas possible dans la totalité des cas, notamment lors du développement d'une nouvelle molécule ou d'un traitement destiné à la prise en charge d'une maladie orpheline."

Les rapporteurs ajoutent "Toutefois, plus qu'une utilisation quasi systématique des essais comparatifs dont la réglementation est régie au niveau européen (...)". Prenons le temps de décoder ces propos allusifs se rapportant aux contraintes de la législation européenne. Les rapporteurs indiquent en effet que l'évaluation comparative en amont des médicaments entre eux serait difficile du fait de la législation européenne. Il faut, pour comprendre ce passage, savoir qu'il y a eu deux grandes batailles perdues aux USA en 2003 d'abord puis au Parlement Européen en 2004 ensuite qui visaient à mettre en place ce dispositif d'évaluation comparative préalable à l'AMM. En ce qui concerne l'UE comme l'explique le CEM (Collectif Europe et Médicament), "les grandes firmes pharmaceutiques, soutenues par la Direction générale Entreprises de la Commission européenne, ont empêché la prise en compte de la "valeur thérapeutique ajoutée" lors de l'autorisation des nouveaux médicaments". Ajoutons qu'une des deux rapportrices du rapport du Sénat que nous commentons est l'UMP Marie-Thérèse HERMANGE, qui est justement députée européenne et n'est pas particulièrement connue pour l'énergie avec laquelle elle défend la santé publique, c'est le moins qu'on puisse dire ! Lire "Votre député européen agit-il pour la santé et l’environnement ?". L'autre rapportrice Anne-Marie PAYET, sénatrice de la Réunion, a un profil nettement moins conventionnel mais n'a probablement pas encore une connaissance approfondie du secteur de la santé et en particulier du médicament qui nous intéresse ici.

Dans les débats sur la législation internationale des médicaments que nous évoquons, il s'agissait de la possibilité dans l'UE comme aux USA d'introduire des essais comparatifs systématiques chaque fois que c'était possible pour évaluer un nouveau médicament. En pratique les entreprises auraient perdu le contrôle de la définition des essais. Elles auraient du probablement les faire évaluer préalablement par une agence spécialisée qui en fonction de l'objectif thérapeutique visé aurait validé les essais en ce qui concerne les populations cibles et le meilleur traitement de référence pour faire une évaluation comparative de qualité. Au contraire actuellement les entreprises passent devant les CCPPRB qui effectuent un contrôle minimaliste des essais (lire cette section d'un de nos articles). Bien entendu la création des CCPPRB a été présentée par les hommes politiques et les médias comme une immense avancée dans le domaine de l'éthique de la santé, ce qui est une aimable plaisanterie.

Ajoutons que ces projets de construction d'essais comparatifs des médicaments n'on rien d'une utopie fumeuse et ne tombent pas du ciel, ils définissent des principes soigneusement réfléchis conciliant aussi harmonieusement que possible, au vu des connaissances scientifiques disponibles, le progrès raisonné des sciences médicales avec le respect de la personne humaine. Ces normes sont d'ailleurs déjà formalisées dans la déclaration d'Helsinki de l'association médicale mondiale, dans sa charte des "Principes éthiques applicables aux recherches médicales sur des sujets humains" (article 29). Cette charte définit des droits humains, qui n'ont rien d'utopique, et que s'honorerait de respecter une société civilisée pour lequel le développement des droits humains serait un objectif politique clairement défini qui doit s'imposer aux acteurs économiques et à la techno-science. Est-il besoin de préciser que nous sommes très loin du compte ?

En tout cas, un gigantesque lobbying des entreprises a permis d'empêcher ce projet de contrôle pré-AMM d'aboutir tant aux USA qu'en Europe. Dans le même temps comme souvent dans ce genre d'affaire une omerta quasi complète des médias dominants a empêché que le public soit informé des enjeux de santé publique majeurs de ces dossiers. Illustration magistrale d'une pseudo démocratie où les citoyens ne sont même plus en mesure d'appréhender les enjeux des sujets de société qui vont avoir une influence considérable sur leur vie quotidienne.

Les obstacles à une évaluation comparative des médicaments après AMM

A défaut de pouvoir mettre en place la solution d'une évaluation comparative préalable à l'AMM le rapport suggère que "le recours à des études sur les stratégies thérapeutiques disponibles pour une même pathologie pourrait être favorisé par la commission de la transparence et, donc sans nuire à l'AMM du médicament, peser sur son prix et les conditions de sa prise en charge collective."

Il s'agirait donc ici d'études probablement sur fonds publics et fort coûteuses menées après la délivrance des AMM. Il faudrait là aussi une volonté forte pour les promouvoir. Ce type d'étude sont très peu populaires, en France notamment, car elles ont une facheuse tendance à mettre en évidence les graves erreurs de santé publique faites en amont et qui viennent précisément de ce qu'on a renoncé à faire une étude comparative pré-AMM des médicaments pour ne pas déplaire aux multinationales concernées. En France c'est de toute façon toujours sur ce genre de projets d'étude que l'on aime faire des économies. Par ailleurs il faut une vraie indépendance, une liberté de recherche importante et un soutien politique sans faille pour concevoir et faire aboutir les projets de recherche les plus intéressants en terme de résultats potentiels pour la santé publique. Cela fait mauvais ménage avec le mandarinat à la française, l'entrisme croissant de l'industrie dans l'univers de la recherche publique et la couardise des politiques.

On a vu par exemple récemment le désarroi des responsables de la santé publique lorsque sont arrivés en France les résultats des études américaines sur les risques associés au traitement de la ménopause. On n'a d'ailleurs eu de cesse que de montrer qu'elles n'étaient pas vraiment transposables à la réalité française. Cela n'est d'ailleurs pas totalement inexact mais on est frappé dans l'affaire de la tendance quasi irrésistible à verrouiller la "communication" institutionnelle et médiatique autour de ces sujets au risque de mutiler sans vergogne la réalité des choix, des options et des solutions envisageables et cela dans le but de rassurer à bon compte la population, et de clôre aussi vite que possible un sujet dérangeant. Dans l'affaire en question on a vu fluctuer les conseils et resserrer significativement les indications dans les consignes données aux prescripteurs, mais aucun médicament n'a été retiré du marché alors que les études ont mis en évidence de façon très claire des profils de sécurité très variables sur certaines classes de médicaments. Ainsi on a pu montrer que les formes de progestérone copies exactes de la progestérone produite par les femmes étaient beaucoup plus sures que les autres formes de progestérone disponibles sur le marché du médicament sans qu'on en tire aucune conséquence. Et cela sous le prétexte vraiment falacieux que les formes à risque ne seraient pas les plus utilisées en France !

Ces études pour l'instant surtout menées aux USA sont fort utiles, mais sont longues, complexes à mettre en oeuvre et souvent très coûteuses et les résultats sont souvent disponibles relativement tardivement dans la vie du produit à un moment ou les habitudes de prescrition des médecins sont déjà solidement enracinées. Les résultats n'influent donc que de façon modeste sur les habitudes de prescriptions. Cela n'empêche en rien non plus les pressions de tous ordres exercées par les industriels pour la promotion de leurs coûteuses nouveautés visant à maximiser les ventes dans le plus court délai possible après la mise sur le marché, alors que l'efficacité comparée du médicament est encore mal connue de même que les effets secondaires.

On voit mal dans ces conditions comment le voeu des sénateurs de "sans nuire à l'AMM du médicament, peser sur son prix et les conditions de sa prise en charge collective" pourra avoir une chance de succès compte tenu du temps long de réalisation et des résultats relativement tardifs de ce type d'études comparatives dans la vie des médicaments. Rien en tout cas qui permettrait d'éclairer la HAS pour une négociation sur la fixation des prix initiaux. Seulement des informations éventuellement disponibles pour une renégociation tardive des prix et des indication après 5 ou 10 ans de mise sur le marché (lors de la réévaluation quinquénale du SMR), beaucoup trop tardivement donc pour favoriser de bonnes pratiques en matière de prescription.

Un autre moyen envisagé par les sénateurs pour contourner l'impossibilité d'évaluer le produit avant son AMM "passe par le développement des études post-AMM dont la promotion nécessite l'amélioration des relations entre les différentes instances de la filière du médicament afin d'assurer une meilleure coordination entre elles. Ces études pharmaco-épidémiologiques, qui s'insèrent dans les nouveaux plans de gestion de risques élaborés dans le cadre de la réforme de la pharmacovigilance, constituent un enjeu primordial pour les années à venir. La coordination de ces études et le transfert d'informations entre les différents commanditaires potentiels s'avèrent indispensables, notamment pour les études sur les risques commandées au niveau européen pour lesquelles l'Afssaps doit jouer un rôle de passeur dans le cadre national."

Ces essais correspondent à ce que l'on appelle les essais de phase IV que nous avons décrit dans une des sections d'un autre article. Obéissant actuellement à des préoccupations essentiellement marketing, le projet de les intégrer dans un système plus ou moins formalisé associant mesure comparée de l'efficacité des médicaments, suivi des règles de prescription et pharmacovigilance est un vieux serpent de mer qui n'a jamais abouti car en pratique il s'avère impossible de confier le projet aux entreprises du médicament qui ne veulent pas en entendre parler et qui n'ont de toute façon pas les moyens de mettre en oeuvre ces études. Confier ces études au secteur public serait la meilleure solution mais supposerait des changements majeurs de la politique de santé publique dans le domaine du médicament.

Dans un système rationnel qui n'est quasiment jamais formulé clairement parce que trop d'intérêts s'y opposent et que l'exposer briserait un énorme tabou, on aurait deux points majeurs de contrôle du système, le premier serait un contrôle pré-AMM, que nous venons de présenter en détail, avec une véritable mesure de l'efficacité du médicament comparée aux meilleurs traitements de référence s'ils existent. Mais même effectué le plus rationnellement possible ce système pré-AMM porte sur des populations qui resteront toujours de taille modeste. De plus nous venons de voir que l'industrie pharmaceutique à réussi à bloquer son intégration dans la législation aux USA et en Europe.

L'idée serait de coupler ce premier système avec un second système de contrôle post-AMM éventuellement modulable en plusieurs niveaux et en plusieurs phases. Il s'agirait de faire des suivis de pharmacovigilance et des suivis de traitement comparés sur de larges fractions de la population, voir la totalité de celle-ci pour certains indicateurs, en collaboration avec les médecins et l'assurance maladie. De vastes banques de données de consommation des produits seraient constituées dès le lancement du produit permettant une exploitation différée dans la durée en fonction des résultats obtenus dans les études intermédiaires successives. Cette mise en forme préalable des données réduirait ensuite considérablement le coût des études. Actuellement ce type de données sont pour l'essentiel détenues par les firmes et exploitées dans un but purement commercial et marketing et transmises de façon très lacunaires et difficilement exploitables aux agences de santé. Avec ces indicateurs adaptés au besoin de la santé publique et exploitées dans une optique de santé publique, on pourrait mesurer beaucoup plus rapidement de façon rigoureuse et scientifique l'efficacité comparée des traitements, les dérapages éventuels de la prescription (pour recadrage rapide de la prescription et/ ou pénalisation financière des firmes), le repérage des effets secondaires, les problèmes liés aux interactions médicamenteuses ou les problèmes liés à des populations spécifiques (personnes âgées, groupes à risque, etc.). Tout cela nécessiterait évidemment des adaptations législatives majeurs et une confrontation ouverte avec les firmes. Il faut noter que les pouvoirs publics vont actuellement dans un sens contraire et que l'ordonnance de transposition de la directive 2004/27/CE actuellement à l'étude prévoit d'aller dans le sens de la privatisation des données de santé publique (lire notre billet du 9/05/06 - point 5 : "La transposition via l'ordonnance"). Il y a bien sûr d'autres enjeux de santé du même ordre autour de la création du dossier personnel de santé.

Un tel système remettrait les recherches menées par les firmes pharmaceutiques sous le contrôle étroit des pouvoirs publics, rationaliserait la recherche en amont et en aval, permettrait une accumulation raisonnée du savoir au service de la santé publique, amènerait naturellement les firmes privées à cesser de définir de pseudo pathologies sur des bases purement marketing, permettrait de disposer en quelques années de résultats majeurs et solides sur l'efficacité réelle des traitements, éviterait la surprescription, limiterait la mise sur le marché de médicaments inutiles et serait à l'origine d'économies considérables sans nuire, bien au contraire, à la qualité de la prose en charge des patients et au remboursement des soins.

Les entraves à une pharmacovigilance indépendante, fiable et protectrice de la santé publique

Malheureusement, de même que les firmes ont empêché les évaluations comparatives pré-AMM, elles se sont efforcées de torpiller le volet post AMM. Les améliorations du réglement n° 726/2004 et de la directive 2004/27/CE portent uniquement sur la pharmacovigilance (et non sur une évaluation complète et raisonnée du médicament après sa mise sur le marché comme nous l'évoquions ci-dessus) et les quelques avancées en matière de pharmacovigilance sont insuffisantes et relativement imprécises, en particulier en terme de compétences (entre les firmes, l'Europe et les Etats), et pour ce qui est de l'organisation concrète et du contenu du dispositif. Le règlement, normalement d'application immédiate, tarde d'ailleurs à mettre en place des dispositifs concrets de modernisation de la pharmacovigilance européenne.

C'est donc dans ce cadre législatif et réglementaire très flou que la Commission Européenne a lancé le 15 mars 2006 une consultation publique sur le fonctionnement actuel de la pharmacovigilance dans l'Union Européenne en vu d'une modernisation du dispositif. Le CEM suit ce dossier de près et a déposé des déclarations de principe "Europe et pharmacovigilance - Appliquer la nouvelle réglementation et aller au-delà" qui traduisent bien les lacunes et le flou institutionnel et politique majeur dans lequel se construit actuellement le dispositif européen de pharmacovigilance. Le CEM propose notamment de développer la transparence et la facilité d'accès tant aux données qu'aux motivations des décisions, de clarifier le rôle respectif des firmes et des institutions publiques avec prédominance et indépendance de ces dernières, d'assurer le financement public de la pharmacovigilance et la maîtrise de la diffusion des informations de pharmacovigilance par les pouvoirs publics, de permettre aux patients de notifier directement les effets indésirables aux autorités concernées, de créer une autorité autonome de pharmacovigilance responsable des avis de pharmacovigilance. Par ailleurs le CEM souhaite encourager "La mobilisation des citoyens européens concernés par les effets indésirables des médicaments". Le dernier n° de la revue Prescrire propose aussi un excellet éditorial très fouillé sur le sujet dont je conseille la lecture d'autant que nous ne pouvons en résumer tous les aspects qui débordent le sujet traité ici. On y apprend en tout cas qu'au-delà des lacunes de la législation existante et des évolutions projetées par la Commission Européenne, l'EMEA est, en l'état, très loin de remplir ses obligations légales en terme d'exploitation des données, de transparence, et que la qualité de la motivation des décisions prise dans le cadre de la pharmacovigilance sont très insuffisantes et par ailleurs présentées d'une façon difficilement exploitable par les praticiens. La description de l'influence institutionnelle de l'ICH, un pôle d'expertise largement influencé par l'industrie pharmaceutique qui, selon Prescrire, parasite les processus de consensus sur les bonnes pratiques scientifiques en matière de pharmacovigilance jusqu'au sein des agences de santé, est particulièrement inquiétante.

Indépendance financière des agences et indépendance de décision

Le rapport passe ensuite au financement des agences et au problème que cela pose en terme d'indépendance et de transparence, "La question du financement de l'Afssaps est évoquée de façon récurrente par les rapporteurs de la commission des affaires sociales du Sénat qui estiment que le mode de financement retenu n'est pas de nature à assurer l'indépendance de l'agence. Cette opinion est partagée par d'autres institutions ; la Cour des comptes, dans son rapport de septembre 2004 sur la sécurité sociale, faisait ainsi également part de ses interrogations sur les effets que le mode de financement de l'agence pouvait entraîner sur son fonctionnement." Les rapporteurs précisent qu'en 2006 la participation de l'Etat ne couvrira que 20% du fonctionnement de l'agence et décline régulièrement depuis plusieurs années et que le reste provient des entreprises. Pour les rapporteurs "la question du financement de la politique de sécurité sanitaire par d'autres acteurs que l'Etat [...] pose surtout le problème de l'indépendance de l'agence à l'égard de l'industrie pharmaceutique.

Certes, il n'est pas choquant que les laboratoires pharmaceutiques versent une redevance ou acquittent une taxe au moment du dépôt d'une demande d'AMM. Cette procédure n'est pas spécifiquement française puisqu'elle est aussi pratiquée par plusieurs pays européens ainsi que pour le financement de l'EMEA.

Toutefois, elle place les agences sanitaires dans la situation paradoxale qui fait que leurs revenus augmentent en fonction du nombre de dossiers qu'elles traitent. Il est donc logique de s'interroger sur la licéité de telles relations et sur les effets produits sur la transparence, la qualité et la rigueur scientifique des travaux.

Les travaux de la mission d'information confirment l'analyse de la position de la commission des affaires sociales : ce mode de financement ne permet pas à l'agence d'être totalement indépendante de l'industrie pharmaceutique, comme l'exigeraient ses missions d'évaluation et d'expertise.

Selon nous une mesure très simple s'impose. Il faut que les taxes éventuelles soit sur les dossiers d'AMM soit sur tout autre produit de l'activité des entreprises du médicament soient versées sur le budget de l'Etat et que tant l'Affsaps que l'HAS soient intégralement financées par le budget de l'Etat. On ne peut à mon avis se contenter comme le suggère les rapporteurs de souhaiter que "le financement public doit constituer une part plus importante du budget de l'agence."

Les rapporteurs évoque un inquiétant problème en ce qui concerne le rôle actuel et futur de l'HAS : une sous dotation budgétaire probable par rapport à ses importantes missions de service public. Ces moyens insuffisants hypothèquent probablement dès à présent "le développement des plans de gestion des risques et le recours aux études post-AMM, la nécessité de promouvoir la formation des experts et des recherches théoriques spécifiques dans le domaine de la sécurité sanitaire."

Les rapporteurs s'interrogent ensuite sur la transparence et la crédibilité des avis émis par les agences : "Dans l'exercice de ses missions, l'Afssaps prend un nombre élevé de décisions, plus de 80.000 par an, concernant une gamme étendue de produits de santé. Ces décisions s'appuient sur une expertise scientifique et médicale diversifiée et multidisciplinaire indispensable pour évaluer les risques et les mettre en regard des bénéfices attendus pour la santé des patients concernés.

Par nature, les appréciations de fond sont sujettes à discussion parce que l'établissement d'une telle balance bénéfice-risque ne recueille pas nécessairement un avis convergent des professionnels de santé, des patients et de leurs associations.

La crédibilité d'un organisme tel que l'Afssaps ou la Haute Autorité de santé, pour lequel la question de l'obligation de transparence des travaux se pose dans des termes un peu différents, ne peut reposer uniquement sur l'affirmation de la compétence de l'institution et des personnes qui la servent. Elle dépend aussi de la fiabilité des processus d'expertise qu'elle met en oeuvre. Ces processus doivent offrir des garanties de collégialité et d'indépendance et être suffisamment lisibles, pour les destinataires des décisions prises par l'agence comme pour l'opinion publique."

Ces remarques confirment les inquiétudes que nous faisons régulièrement ici, d'une agence qui a tendance à s'isoler dans une bulle d'expertise et qui ne dialogue pas vraiment avec la société civile où alors selon des procédures très sélectives pour entériner des décisions déjà prise par ailleurs.

La transparence à l'Afssaps : les Rappe

Le rapport note que suite aux nouvelles réglementations européennes datant de 2004 mais finalisée dans leurs applications pratiques fin 2005, les agences doivent rendre public certains documents : "La première obligation posée par la nouvelle réglementation européenne concerne l'élaboration d'un rapport d'évaluation portant sur les résultats des essais menés sur un médicament et leur actualisation, en tant que de besoin, à partir d'informations obtenues postérieurement au dépôt de demande d'AMM et présentant une importance pour la qualité, l'efficacité et la sécurité du médicament concerné. Les agences doivent rendre ce rapport accessible au public sans retard, après avoir supprimé toute mention d'informations présentant une nature confidentielle sur le plan industriel et commercial. (...) Les termes de la directive impliquent désormais que chaque agence concernée élabore et publie un Rappe pour chaque spécialité donnant lieu à la délivrance d'une nouvelle AMM."[Rappe : Rapport public d'évaluation]

Ces documents commencent à être publiés par l'Afssaps mais de façon encore très partielle et avec une montée en charge prévue assez lente. Bien que le rapport ne commente pas ce point, ces documents consolidés apparaissent comme des documents de travail indispensables au fonctionnement correct de l'agence et devraient déjà exister et ne nécessiter qu'un léger toilettage pour être mis à disposition du public. Cela ne semble pas être le cas. Pourquoi ? Il aurait été intéressant d'en savoir plus sur ce point pour mieux comprendre les méthodes de travail de l'Afsspas.

La transparence du côté des entreprises

Selon les rapporteurs "Les laboratoires pharmaceutiques ont pris une initiative importante en publiant sur un site Internet ad hoc les informations relatives aux essais cliniques en cours. Ces informations sont rendues publiques vingt et un jours après l'inclusion d'un premier malade dans un protocole de recherche. Par ailleurs, les résultats définitifs de ces travaux sont intégralement mis en ligne un an après la conclusion des essais, si le produit testé s'est vu délivré une autorisation de mise sur le marché."

On sait que les entreprises du médicament ont beaucoup communiqué sur cette toute nouvelle "transparence" en réalité très partielle puisqu'elle ne concerne que les produits ayant reçu une AMM. Ces procédures unilatérales des entreprises souligne surtout les carences des CCPPRB qui devraient, dans un système de santé publique cohérent assurer ce suivi pour l'ensemble des essais. J'avais écrit à ce sujet (dans cette section d'un de mes articles écrit en 2002) "Surtout par rapport à la problématique qui nous intéresse ici, aucune publication par un organisme centralisé des essais demandés, refusés et réalisés avec un bilan des effets indésirables (graves ou non) constatés n'est effectué. Seuls les effets indésirables graves doivent être signalés au CCPRB. Mais il semble que même pour ceux-ci le retour d'information soit calamiteux. Selon Ca m'intéresse, "Les comités n'ont aucune information pour répondre à des questions vitales. Que devient un essai après avis favorable ? S'est-il bien déroulé ? A-t-il été interrompu ? A-t-il provoqué un accident grave ? Les résultats seront-ils publiés ? Supposés nous protéger, ces comités sont aveugles, sourds et muets." Certes c'est grave en ce qui concerne la sécurité des personnes participants aux essais, mais que dire aussi de la pertinence des AMM des produits si l'agence du médicament ne peut obtenir d'une source fiable, indépendante des industriels une synthèse des résultat réalisés mettant en particulier en évidence les effets indésirables des médicaments testés ?" On voit que quasiment aucun progrès n'a été réalisé sur ce point. Comment aussi mettre en place une pharmacovigilance de qualité en France en coordination avec l'agence européenne dans le cadre du fonctionnement actuel des CCPPRB ? Malheureusement les sénateurs dont l'analyse se borne à constater le supposé désir de transparence des industriels ne nous apportent aucun élément d'information sur ces questions fondamentales ! Bien au contraire, cette section se termine sur un satisfecit particulièrement mièvre : "L'ensemble de ces démarches, menées simultanément par chaque acteur de la filière médicament, est une étape importante pour l'information du public. Elles constituent une réponse aux interrogations soulevées par la crise du Vioxx et à la perte de confiance exprimée par le grand public à l'égard de l'industrie pharmaceutique et des autorités de tutelle en favorisant un débat autour de la notion de bénéfice-risque."

La transparence des processus de décisions au sein des agences

D'autres mesures de transparence sont prévues pour les agences "Indiquant la direction à suivre sur ces questions, la directive 2004/27/ CE propose des mesures radicales, au regard de la situation antérieure, pour assurer la transparence de ces travaux et indique que les différentes agences contribuant à la sécurité sanitaire devront désormais rendre accessibles au public leur règlement interne et celui de leurs comités, l'ordre du jour des réunions, les comptes rendus des réunions assortis des décisions prises, des détails des votes et des explications de vote, y compris les opinions minoritaires.

Cette mesure constitue une véritable révolution dans un secteur encore marqué par une profonde habitude du secret."

On ne saurait mieux dire ! Cette transparence amène à revoir les déclaration et de gestion des conflits d'intérêts par les experts de l'agence. Dans un effort héroïque particulièrement louable et "Dès l'été 2005, l'Afssaps a entrepris de préparer la mise en oeuvre de ce nouveau régime, sans attendre la transposition en droit interne de la directive qui n'interviendra au mieux qu'au dernier trimestre de l'année 2006:

En premier lieu, une version actualisée des règlements intérieurs des commissions d'AMM et de pharmacovigilance se référant au nouveau régime sera adoptée puis rendue publique. Le nouveau règlement de la commission doit prendre en compte à la fois les procédures rénovées de déclaration et de gestion des conflits d'intérêts et les nouvelles règles de transparence. Il est en ligne depuis le mois de février 2006.

En deuxième lieu, les ordres du jour de ces commissions, ainsi que des groupes de travail spécialisés qui préparent les délibérations de la commission d'AMM, doivent être mis en ligne avant la fin du premier semestre de l'année 2006.

En troisième lieu, les comptes rendus des commissions seront établis et également mis en ligne après leur approbation par la commission concernée lors de la séance suivante. Les comptes rendus de la commission d'AMM devront faire état des travaux préparatoires menés par les groupes spécialisés dont les conclusions auront servi de base à ces délibérations. Ils devront faire apparaître, en tant que de besoin, l'existence d'opinions minoritaires avec l'indication de leur audience au sein de l'instance et de leur motivation scientifique. Les comptes rendus de la commission nationale de pharmacovigilance retraceront, quant à eux, les débats ayant préalablement eu lieu au sein du comité technique de pharmacovigilance."

Les rapporteurs évoquent le fait que l'Afssaps anticipe sur la transposition de la directive 2004/27/ CE. Il n'aurait pas été inutile que les sénateurs alertent de surcroit leurs collègues sénateurs sur les lacunes, signalées par le CEM du projet de loi préparé par le gouvernement en ce qui concerne les règles de transparence très en retrait par rapport aux dispositions normalement obligatoires de la directive (lire : "France : Transposition de la Directive européenne 2004/27/CE sur le médicament : danger !").

Comme exemple de merveille de transparence et de concrétisation des efforts inouïs de l'Afsspas les rapporteurs nous apprennent qu' "Un premier compte rendu de la commission d'AMM (séance du 2 mars 2006) a pu être mis à disposition sur Internet le 27 mars dernier." Suit un insert d'une compte rendu de réunion de l'Afssps sur les "conditions de prescription et de délivrance du médicament Macugen (pegaptanib), indiqué dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) et administré par injection intravitréenne." le texte complet se trouve ici sur le site de l'Afssaps. Il est à noter que la recherche via la rubrique "recherche" sur la porte d'entrée du site internet de l'Afssaps ne remonte pas le document correspondant et qu'il faut passer par Google pour réussir à le dénicher (j'ai cherché Macugen + Afssaps) ! Sans commentaire...

La lecture du texte m'a laissé avec une forte impression de malaise. Il est difficile de sa faire une idée précise des 10 experts réunis pour l'occasion en l'absence du nom, des CV et des compétences qui les ont fait sélectionner (la transparence est encore toute relative et appremment rien de mieux n'est prévu dans les textes européens !). Le pire n'est pas que 3 d'entre eux, près du 1/3 de l'effectif, aient des conflits d'intérêt avec le fabricant. C'est surtout l'impression que les jeux sont faits d'avance qui pose problème. Les experts semblent des praticiens chevronnés ayant probablement une pratique hospitalière en sus de leur pratique privée. Sont-ils représentatifs de ophtalmologistes libéraux sachant que l'enjeu de la décision est de permettre l'utilisation d'une technique de l'ordre de la chirurgie en médecine de ville ? On a l'impression fort désagréable et que j'espère erronnée que tous ces experts défendent des produits concurrents pour différents fabricants visant la même pathologie et que l'on cherche surtout à justifier la libéralisation d'un marché très lucratif qu'on estime verrouillé. A aucun moment n'est évalué sérieusement la balance bénéfice - risque du produit et c'est de là que vient je pense mon malaise. En consultant le portail de la revue Prescrire je trouve "pegaptanib (Macugen) (Mai 2006) Dans la dégénérescence maculaire : trop de risques pour trop peu de bénéfices". Certes la revue Prescrire, même si elle est indépendante des labos, est faillible, et il m'arrive d'ailleurs d'être en désaccord avec elle, mais au moins elle répond à la bonne question, celle de l'évaluation du rapport bénéfice - risque.
Bref on comprendra que nous ne partageons pas l'enthousiasme des rapporteurs sur la toute nouvelle culture de la transparence de l'Afssaps, et que cette autorisation donnée en exemple illustre magistralement (mais bien involontairement) la question des rapports entre la HAS et l'Afssaps et des conflits de compétence potentiels qui risquent de survenir (du fait de la non prise en compte du rapport - bénéfice risque dans les décisions de l'Afssaps). Elle donne aussi tout son sens à une remarque précédemment citée des rapporteurs sur la crédibilité des agences : "Elle dépend aussi de la fiabilité des processus d'expertise qu'elle met en oeuvre. Ces processus doivent offrir des garanties de collégialité et d'indépendance et être suffisamment lisibles, pour les destinataires des décisions prises par l'agence comme pour l'opinion publique."

On voit sur cet exemple concret que nous sommes encore très loin du compte.

Un contrôle multiforme de l'information médicale

Le rapport du Sénat (nous étudions maintenant cette section du rapport), aborde ensuite une partie titrée "L'indépendance de l'information et de l'expertise, gages de la qualité des produits et des prescriptions".

En effet, "le système de mise sur le marché et de suivi des médicaments souffre de sa trop grande dépendance à l'égard de l'industrie pharmaceutique. Cette dernière s'est, en effet, imposée comme le premier vecteur d'information des professionnels de santé, mais aussi au sein même des agences par les liens étroits qu'elle entretient avec les experts."

Le rapport aborde successivement différents vecteurs de diffusion de l'information avec d'abord la formation et l'information des médecins puisque ceux-ci "constituent les moyens d'action les plus efficaces contre les deux problèmes posés, notamment en France, par les prescriptions inadaptées : la surconsommation de médicaments et le risque d'accident, notamment du fait de trop fréquentes associations polymédicamenteuses."

La formation médicale initiale des médecins (FMI)

En ce qui concerne la formation médicale initiale (FMI) le rapport apporte des précisions intéressantes sur un point bien connu, à savoir que la FMI "ne laisse pas suffisamment de place aux questions thérapeutiques, qui apparaissent comme le parent pauvre de l'enseignement en faculté de médecine."

Le rapport précise ensuite que "L'enseignement de la pharmacologie a subi, en effet une diminution continue du nombre d'heures qui y sont consacrées dans la scolarité des étudiants en médecine : plus de cent cinquante dans les années 1940, moins de cent trente heures vingt ans plus tard, environ quatre-vingts heures aujourd'hui, soit le temps d'apprentissage le plus court d'Europe.
En outre, cet enseignement est dispensé trop tôt dans le cursus universitaire, à un moment où les étudiants n'ont pas encore été en contact avec des patients, ce qui le rend très théorique.
Par ailleurs, il passe sous silence des catégories entières de médicaments comme les sérums, les vaccins, les désinfectants, les antidotes et les antiparasitaires et seules trois heures de formation sont consacrées aux antibiotiques."

Suit un couplet sur l'inefficacité des certains produits très prescrits énumérés dans une liste particulièrement hétéroclite : "les vasodilatateurs, les immunostimulants, les fluidifiants bronchiques, les levures intestinales, les veinotoniques ou encore les anti-arthrosiques". Les sénateurs se réfèrent ici implicitement aux résultats de la réévaluation du Service médical rendu (SMR) des médicament (lire notre long article sur la question) qui s'est faite dans des conditions particulièrement opaques et scientifiquement douteuses avec notamment des surévaluations et des sous évaluations manifestes de certains produits. Malheureusement cet aspect de la question échappe totalement à l'analyse des sénateurs qui ignorent la question des médicaments surévalués et mettent sur le même plan des médicaments relativemet efficaces et sans danger pour des pathologies de gravité moyenne (les veinotoniques) et les anti-arthrosiques qui posent des problèmes majeurs de santé publique (affaire du Vioxx). Nous avons déjà traité ces points dans notre analyse de parties antérieures du rapport du Sénat. On pourra lire à ce sujet à partir de la section "La nouvelle Haute Autorité de santé et son rôle en matière d'évaluation" et les sections suivantes où nous soulignons la faiblesse de l'analyse sénatoriale sur les SMR que nous complétons avec des informations et éclairages utiles à la compréhension de ces problèmes.

Les sénateurs croient ensuite pouvoir souligner le point positif que "Des progrès ont toutefois été faits en matière de FMI des médecins généralistes avec l'intégration de médecins généralistes, enseignants à l'université. Leur expérience du terrain constitue un atout majeur pour former les étudiants à l'art de la prescription et à la relation médecin-malade. En revanche, la situation n'a pas évolué pour ce qui concerne la formation des médecins spécialistes."

La réalité de cet apport aurait mérité d'être explicité qualitativement et quantitativement et sa place dans le processus de formation précisée puisque ce point apparaît en contradiction avec l'effondrement de l'apprentissage de la pharmacologie précédemment évoqué par les sénateurs !

Le rapport note que "En outre, les étudiants sont soumis très tôt à l'influence des laboratoires tant dans le cadre de l'hôpital, via les fiches posologiques largement diffusées ou la présélection de médicaments par la pharmacie de l'établissement qui connaît souvent des pressions commerciales fortes, que par le rôle des professeurs d'université leaders d'opinion, qui influencent de facto les futurs choix thérapeutiques de leurs élèves."

Faisant probablement allusion au caractère doctrinal et dogmatique de l'enseignement médical et au déplorable formatage des esprits qu'il institue, le rapport note également que "Par ailleurs, la FMI ne s'attache pas suffisamment à donner aux étudiants une culture d'évaluation de leur propre formation, pourtant indispensable pour les sensibiliser aux enjeux de la FMC, et à leur apprendre à gérer la relation avec les patients." [La FMC est la Formation Médicale Continue].

Sur ce vaste sujet de l'aliénation que constituent les études médicales, on pourra lire par ex. le réquisitoire de Martin Winkler paru dans Le Monde Diplomatique "Médecins sous influences". Les sénateurs souhaiteraient que "à tout le moins, qu'une évaluation systématique des connaissances des étudiants en matière de médicament soit organisée à la fin de leur cursus."

Certes ! Mais encore faudrait-il commencer par former les étudiants avant de pouvoir les évaluer. Par ailleurs on en apprend finalement très peu sur les réformes à instituer en matière de FMI, ne serait-ce que dans le cadre étroit envisagé par les sénateurs, pour garantir tant aux étudiants qu'à leurs enseignants une information non biaisée en matière d'utilisation des médicaments disponibles.

Enfin notons que tout ce qui concerne la formation à la prévention, l'hygiène de vie, la nutrition et le développement du bien être moral et matériel des populations, les conditions environnementales, la sécurité et le bien être au travail, vecteurs décisifs du maintien d'un niveau élevé de santé dans la durée pour la population générale, est une problématique totalement ignorée par la FMI et que seules les conditions pathologiques déclarées font l'objet de l'enseignement médical, sans que cela inquiète le moins du monde les sénateurs.

La formation continue individuelle des médecins (FMC)

En ce qui concerne ensuite la formation continue individuelle (FMC) les sénateurs rappellent l'enjeu puisque "Les médecins doivent gérer un nombre considérable d'informations, puisque près de 3.000 médicaments différents sont aujourd'hui disponibles en pharmacie et que chaque médecin est amené à prescrire environ cinq cents produits à sa patientèle. Il est donc essentiel qu'ils soient régulièrement informés des évolutions thérapeutiques dans leur domaine d'activité."

Malgré de nouvelles obligations légales datant de 1996, "l'Igas évalue à un médecin libéral sur cinq seulement le taux de participation à des actions organisées par des organismes de formation, pour un total de 84.000 journées de formation en 2004." De plus, "Les données disponibles sur les pratiques des médecins en matière de formation sont, au demeurant, très lacunaires. Il serait pourtant utile de disposer d'informations plus précises pour mieux évaluer les besoins."

Les sénateurs dressent ensuite un tableau apocalyptique de la sujétion de la FMC aux intérêts privés puisque "L'absence quasi totale d'indépendance de la FMC est notamment visible en matière de financement, qui provient actuellement à 98 % de l'industrie pharmaceutique. De fait, le manque de moyens financiers des pouvoirs publics constitue un obstacle majeur à l'émergence d'une FMC indépendante et transparente.
La seule exception concerne les formations financées par l'assurance maladie, qui ne profitent qu'à 15.000 praticiens chaque année, soit une part mineure des 180.000 prescripteurs recensés."

Par ailleurs en ce qui concerne ces financements du privé, "Le détail de ces financements demeure opaque : ils se situeraient, selon le rapport précité de l'Igas, dans une fourchette de 300 à 600 millions d'euros." L'énormité de la fourchette fournie après investigation spécifique par un service spécialisé de l'Etat à la compétence reconnue tel que l'IGAS (Inspection générale des affaires sociales) en dit long sur la méconnaissance du secteur que les pouvoirs publics ont évidemment laissé s'installer de façon délibérée dans la durée. On ne s'étonnera donc pas d'apprendre que "Les actions de formation financées par les laboratoires sont toutefois mal connues, car il n'existe pas de contrôle systématique des organismes qui oeuvrent dans ce domaine (...)".

Par ailleurs l'affirmation du rapport selon laquelle 98% du financement de la FMC provient de l'industrie pharmaceutique est asséné sans le plus petit début d'explication ou de description du dispositif. Comment s'opère le lien entre l'industrie et les sociétés de formation qui forment les médecins ? Quel type de contrôle l'industrie exerce-t-elle sur le contenu de la formation ? C'st un mystère total ! Sans doute la lecture du rapport de mission de l'IGAS "Mission relative à l'organisation juridique, administrative et financière de la formation continue des professions médicales et paramédicales" que les sénateurs ont si parcimonieusement utilisé nous en apprendrait-t-il un peu plus. Je n'ai pour ma part pas encore eu encore le courage de me plonger dans les 116 pages correspondantes !

En tout cas on constate que les pouvoirs publics ont-ils rendus la FMC (semi) obligatoire il y a 10 ans sans se soucier un seul instant de l'indépendance de celle-ci !

Suit de la part des rapporteurs une pieuse référence au Collectif Formindep qui s'efforce de "promouvoir une formation médicale continue transparente et indépendante des intérêts économiques des laboratoires pharmaceutiques. Il rassemble des médecins - généralistes et spécialistes - et des patients."

Gageons que le Collectif malgré l'intérêt de son action ne croule pas sous les subventions publiques. Je conseille de consulter leur site qui évoque le rapport du Sénat examiné ici et les réactions des différents protagonistes concernés.

Le rapport décrit ensuite les dispositions légales et réglementaires qui, avec une lenteur extrême tentent d'encadrer le secteur de la FMC. Ainsi suite à une loi de 2002 "la création de trois conseil nationaux de la FMC (CNFMC) - pour les médecins libéraux, les salariés et les hospitaliers (...) Les conseils régionaux (CRFMC) compléteront ce dispositif avant la fin de l'année 2006.
Les conseils nationaux sont chargés de fixer les orientations et les thèmes prioritaires de formation, mais aussi d'agréer et de contrôler les organismes de formation en fonction d'un cahier des charges précis. L'objectif est d'améliorer la qualité et la transparence du système. Dès la publication du décret prévu, à la fin de l'année 2006 au plus tard, seuls les organismes agréés pourront ainsi proposer des actions de FMC donnant droit à des crédits de formation pour les médecins.
Les organismes agréés dans le cadre du nouveau système devront imposer à leurs intervenants de remplir une déclaration de liens d'intérêts, dont la forme sera prochainement publiée par arrêté. Le respect de cette obligation constituera un élément du cahier des charges auquel ces organismes seront soumis. (...) Il s'agit donc, non pas d'interdire à certains intervenants de participer à des actions de formation, mais de rendre le système plus transparent pour les médecins, qui seront plus facilement à même de juger de la qualité de l'enseignement."

Les sénateurs semblent espèrer que "Désormais, le financement de la FMC se rapproche davantage du mécénat institutionnel que de la promotion." On sent aussi transparaître en filigrane du rapport une certaine inquiétude sur le changement de stratégie marketing des firmes dans leurs stratégies de communication. Pour parler net nous poserons quant à nous franchement la question : ne va-t-on pas à terme vers un désengagement rapide de nos gentils mécènes s'ils perdent de façon trop évidente le contrôle de la FMC ?

Rassurons nous car nous n'en sommes pas encore là. En effet, on assiste à une course de lenteur du côté du gouvernement puisque seul le Décret n° 2003-1077 du 14 novembre 2003 est paru et que d'autres décrets clés relatifs à la réforme de la FMC ne sont toujours pas parus.

De plus pour les rapporteurs "La nouvelle organisation de la FMC, lorsqu'elle sera effective, ne règlera pas pour autant les difficultés posées par le système actuel. En effet, des conflits d'intérêts vont rapidement apparaître entre les instances d'agrément et les organismes de formation en raison de la représentation, dans les premières, des principaux organismes et des organisations syndicales qui ont investi le marché de la formation."

Pis, le ver semble déjà dans le fruit puisque "le barème proposé par les CNFMC pour respecter l'obligation de formation comporte des éléments qui constituent des supports directs de promotion de l'industrie pharmaceutique, notamment la participation à des études de phase IV et l'abonnement à des revues médicales dont l'indépendance n'est pas prouvée."

Autrement dit les CNFMC ont commencé à prendre des décisions outrageusement favorables à l'industrie pharmaceutique. Nous avons présenté ailleurs la nature des essais de phase IV. Ces études souvent accusées d'avoir une visée purement marketing et qui, de plus, donnent lieu à rémunération des médecins concernés semblent avoir un rapport assez lointain avec la formation, d'autant que le médecin agit dans ce cadre comme prestataire de service pour le fabricant du produit et ne fournit pas dans ce cadre de contribution scientifique ou intellectuelle notable correspondant à une formation effective. Pour la question de l'indépendance des revues dont les abonnements peuvent être pris en compte, on pourra lire cet article du Formindep.

Le rapport conclue sur cet aspect du problème en constatant que "la dépendance financière de la FMC aux laboratoires demeure quasi totale. Les prestations des organismes agréés risquent donc de prendre en compte, par un biais détourné, les intérêts de l'industrie.
Pour tenter de remédier à ces lacunes, l'Igas émet dans son rapport susmentionné sur la FMC, plusieurs propositions que la mission d'information approuve largement : imposer le recours à des rapporteurs indépendants dans la procédure d'agrément et renforcer la rigueur des critères du barème en sélectionnant strictement les publications médicales prises en compte et en excluant la participation aux études de phase IV.
Au total, la mission d'information souhaite la mise en oeuvre rapide d'un système de FMC plus transparent. Compte tenu de son coût et de la difficulté à trouver des enseignants absolument indépendants, elle estime en effet que l'exigence de transparence est le moyen le plus efficace pour garantir la qualité des formations. Elle rappelle enfin que l'indépendance est également permise par la multiplicité des acteurs, et ne souhaite pas que l'Etat, l'assurance maladie ou l'industrie soient seuls maîtres de la FMC."

La visite médicale : bras armé des laboratoires

Les rapporteurs (nous reprenons pour cette section le titre du rapport) font un état critique plutôt réaliste de la visite médicale. "La visite médicale constitue le premier moyen de promotion des médicaments pour l'industrie pharmaceutique, qui y consacre en moyenne 80 % de ses dépenses de marketing, soit l'équivalent de 8.500 euros par médecin. L'objectif de cette démarche est de « diffuser une information sur les produits pour inciter les médecins à les prescrire » [Audition de Bernard Lemoine, vice-président délégué du Leem, p. 238.]."

La France est dans la moyenne européenne "On compte environ 24.000 délégués médicaux, ce qui place la France dans la moyenne européenne pour le rapport entre le nombre de visiteurs médicaux et le nombre de praticiens."

En France la visite a une grande efficacité en matière de prescription et "On évalue ainsi à 30 % l'augmentation du chiffre d'affaires sur un produit dont la promotion ciblée a été assurée auprès des médecins, soit un volume de produit élevé quand on rappelle que, selon une récente étude de la Cnam, 90 % des consultations donnent lieu à prescription de médicaments en France, contre seulement 40 % aux Pays-Bas."

Suit la description de divers abus de la visitel médicale qui font que, seule bonne nouvelle de ce passage, "près d'un tiers des médecins refusent de recevoir les délégués médicaux."

La revue Prescrire est évoquée à propos des dérapages de la visite médicale, la revue faisant très régulièrement le point sur cette question. Pour compléter son information sur le sujet, le lecteur pourra consulter : "15 ans d'observation et un constat : rien à attendre de la visite médicale pour mieux soigner". Cet article comporte un intéressant historique des réformes dans le domaine de la visite médicale qui n'incite pas à l'optimisme quant aux résultats à attendre de la dernière en date, la charte de la visite médicale que nous allons maintenant évoquer.

Une drôle de charte (de la visite médicale)

Les sénateurs rappellent la nouvelle charte mise en place fin 2004 qui est sensée mieux encadrer la visite médicale (la charte est disponible en annexe du rapport).

La revue Prescrire a, dans l'article précité (p. 5/7), décrit d'une façon, qui nous semble beaucoup plus pertinente et incisive que le commentaire trop lénifiant qu'on peut lire dans le rapport du Sénat, cette curieuse charte :

"Il ne s'agit donc pas d'un code industriel de bonne conduite, mais d'un texte officiel dont l'application relève à la fois de la Haute autorité de santé et d'un comité de suivi associant le CEPS, le LEEM et des syndicats de médecins, avec comme principal outil une "certification des firmes" sur la base d'un "référentiel".
Ainsi les pouvoirs publics français ont considéré qu'en associant, dans un même montage, des autorités chargées de la santé publique et de la protection sociale, des autorités chargées de la négociation des prix, des firmes qui vendent des médicaments et des praticiens qui les prescrivent, ils allaient pouvoir "renforcer le rôle de la visite médicale dans le bon usage du médicament et de la qualité de l'information" [G.S. : Prescrire référence en note le communiqué ministériel accompagnant la signature de la Charte]. Mieux encore, la Haute autorité de santé a annoncé qu'elle envisage de faire diffuser ses recommandations sanitaires par les visiteurs médicaux, un mélange des genres inouï qui a soulevé diverses réactions, de praticiens et de responsables politiques". [G.S. : Prescrire référence en note pour ces "réactions" le Formindep mai 2005 et juin 2005, Prescrire et le sénateur Guy Fischer]

Il est a noté que cette confusion des rôles du public et du privé, conséquence de l'entrisme croissant de l'industrie pharmaceutique dans la sphère politique, menace dans d'autres domaines liés de la politique du médicament. On pourra lire dans notre billet du 9/05/06 - le point 5) dudit billet avec nos remarques sur le projet de transposition par ordonnance en droit français de la Directive européenne 2004/27/CE sur le médicament qui prévoit par exemple des programmes d'observance de la prescription... largement confiés à l'industrie pharmaceutique !

La conclusion des sénateurs sur cette question de la visite médicale est néanmoins intéressante "La mission d'information regrette toutefois que la charte ne vise pas la visite à l'hôpital (12 % des visites), alors qu'il s'agit d'un élément majeur dans l'acquisition d'habitudes de consommation d'un produit et que les prescriptions qui y sont faites ne sont pas exemptes d'abus. Elle constate, par ailleurs, que, parallèlement à la « moralisation » de la visite médicale, les laboratoires développent de nombreux autres outils de promotion, qui utilisent notamment le relais des associations de patients et ne font pas l'objet d'un contrôle strict des autorités sanitaires.
Il serait donc souhaitable de développer, aux côtés des visites médicales commerciales, un réseau de correspondants indépendants financé par l'assurance maladie, dont l'information se limiterait aux innovations thérapeutiques. En effet, la visite à domicile, si elle est de qualité, reste le principal moyen d'information direct et régulier du corps médical."

Une presse médicale sous influence

Le rapport sénatorial rappelle que l'essentiel de la publicité des journaux médicaux provient des laboratoires pharmaceutiques et que "Par ailleurs, les articles sont le plus souvent écrits par des spécialistes qui ont des liens d'intérêts avec les laboratoires. Ils ont alors tendance à fonder leur jugement sur des études exclusivement favorables au produit dont ils estiment légitime de promouvoir la prescription."

Par ailleurs les rapporteurs citent la "Petite encyclopédie critique du médicament" du Professeur Claude Béraud, 2002 qui écrit sévèrement que :

« Le Syndicat national de la presse médicale et des professions de santé regroupait en 1999 soixante-seize éditeurs et 176 revues et journaux. Trois types de publications sont à la disposition des professionnels :

« 1. La presse médicale quotidienne, diffusée en grande partie gratuitement, est d'une insigne médiocrité sur le plan scientifique. Elle est pourtant la plus lue par les professionnels, en raison de sa gratuité et parce qu'elle défend tous les corporatismes médicaux. Les articles qui ont un objectif thérapeutique sont le plus souvent sans intérêt médical, car il s'agit tantôt de publicités rédactionnelles, tantôt de simples opinions d'auteurs trop sensibles aux arguments de l'industrie pharmaceutique et parfois même rémunérés pour rédiger ces articles. Ces écrits ne sont pas soumis à la critique d'un comité de lecture ;

« 2. Les revues de médecine générale, vendues principalement sur abonnement, n'échappent pas à l'influence des firmes. Leur indépendance n'est pas assurée, car leur équilibre financier dépend du volume de la publicité que leur confient les laboratoires. Leur niveau est variable, mais il tend à s'améliorer. Le contrôle des articles, signés parfois par des universitaires renommés, reste insuffisant ;

« 3. Les revues spécialisées, qui concernent les disciplines classiques (cardiologie, gastroentérologie, etc.), sont habituellement d'un assez bon niveau. Elles sont lues par les spécialistes hospitaliers et une partie des médecins libéraux. Elles apportent une information contrôlée par des comités de lecture parfois sévères23(*). »

Le rapport évoque ensuite le cas d'exception de la revue française Prescrire qui est une revue sans publicité. La situation de la presse médicale française est ensuite mise de façon bizarre et plutôt artificielle en parallèle avec la situation de la presse internationale spécialisée de langue anglaise dont le rôle est la publication des nouveaux résultats de recherche. Ce passage est trop court, peu clair et la spécificité de ces revues n'est pas distinguées des autres types de revues médicales. Rien n'est dit non plus de la lutte difficile que mènent ces revues depuis plusieurs années pour mettre en évidence et limiter autant que possible les conflits d'intérêts éventuels des rédacteurs des articles.

Les rapporteurs souhaitent aussi "la publication rapide du décret d'application de l'article 26 de la loi du 4 mars 2002 précitée, qui dispose que « les membres des professions médicales qui ont des liens avec des entreprises et établissements produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits sont tenus de les faire connaître au public lorsqu'ils s'expriment lors d'une manifestation publique ou dans la presse écrite ou audiovisuelle sur de tels produits ». De cette façon, les lecteurs seront informés des liens d'intérêts de l'auteur et capables de juger de son objectivité ;"

Il s'agirait d'une mesure utile mais qui est encore nettement insuffisante car elle ne règle pas le cas des journalistes non médecins (et les médecins n'exerçant pas ne seront probablement pas concernés non plus par un éventuel décret). Comme nous l'écrivions en parlant de la presse à l'occasion de notre présentation du livre de Jean-Claude Salomon, "Le complexe médico-industriel", ATTAC, Mille et une nuits, 2003. "Il serait autrement plus simple comme nous l'avons proposé sur Gestion Santé de réglementer strictement les relations d'influence du CMI [Complexe médico-industriel], en particulier celles entre les industriels et les journalistes, en interdisant purement et simplement les innombrables voyages de luxe pseudo informatifs qui les visent et en interdisant ou en réglementant strictement les "ménages" (prestations plus ou moins réelles où un journaliste est payé fort cher et en fonction de sa notoriété pour des prestations de type publi-reportage). Des régles d'éthiques pourraient être instaurées dans les médias de service public et dans l'audio-visuel sous l'autorité du CSA, et les titres les plus prestigieux de la presse écrite pourraient souscrire une charte déontologique allant dans le même sens. L'assainissement du monde de la presse est une priorité, celle-ci constituant le principal contre-pouvoir dans notre société."

Les bases d'information professionnelles sur le médicament

Le rapport rappelle qu' "Il existe actuellement quatre bases d'information qui transposent les recommandations officielles sur les médicaments : la base Vidal, la base Claude Bernard, la base thérapie et celle de l'Afssaps en cours de constitution. Elles sont notamment utilisées pour l'élaboration des logiciels de prescription."

Pour les liens Internet il faut savoir que la base Vidal est payante liée aux industriels et est donc sans intérêt, que la base Claude Bernard, qui est une base gratuite réservée aux professionnels de santé, la "base thérapie" qui fait probablement référence à Thériaque, Système d'information sur les produits de santé, base gratuite également réservée aux professionnels de santé. Il est possible pour "l'amateur éclairé" de s'abonner à ces deux bases. Quand à la base de l'Afssaps, cette institution n'est même pas capable de donner des informations élémentaires sur ses activités conforme aux règles de transparence applicables aux agences européennes (lire La transparence à l'Afssaps : les Rappe). On espère donc qu'elle réservera son énergie à régler ces graves lacunes plutôt qu'a doublonner des bases de qualité déjà existantes !

Par ailleurs le rapport regrette que "La source d'information la plus complète et la plus utilisée par les médecins demeure toutefois le Vidal, qui ne traite pourtant que 50 % des produits et se contente de reproduire les RCP produits pas la commission d'AMM. En outre, l'inscription au Vidal dépend de la bonne volonté des laboratoires, qui en financent le coût." Là encore difficile de suivre le raisonnement des rédacteurs qui parle de "source d'information la plus complète" alors que deux des bases Internet précitées sont beaucoup plus complètes que celle du Vidal et qu'elles alimentent des logiciels de prescription ! Peut-être faut-il comprendre que parmi les sources de données biaisées et partielles qu'utilisent les médecins, le Vidal, malgré ses lacunes, et via notamment sa version écrite qui est distribué gratuitement aux médecins (ce qu'oublie de rappeler le rapport) est la source d'information la plus utilisée par les médecins ?

L'échec du FOPIM

Le rapport évoque ensuite le FOPIM. Le sabordement du FOPIM doit beaucoup au ministre de la santé de l'époque Jean-François Mattei et à son cabinet. Le FOPIM était chargé de donner une information qualitative sur le médicament et avait déjà indisposé les fabricants par son indépendance. Par ailleurs son financement au % de l'activité du secteur créait un dangereux précédent en le rendant indépendant du système de redevances qui lie les mains des autres agences (lire "Indépendance financière des agences et indépendance de décision").

En sus du rapport, on pourra lire par ex. cet article du Monde repris par esculape.com ou cet article "Etrange malédiction sur la base médicamenteuse FOPIM..."

Le rôle de la HAS en matière d'information

Le rapport rappelle que "Le législateur, par la loi du 13 août 2004 portant réforme de l'assurance maladie, a confié à la HAS une compétence de premier ordre en matière d'information médicale. Sa commission « qualité et diffusion de l'information médicale » est ainsi chargée de la diffusion de recommandations sur l'usage des médicaments, de la certification des logiciels d'aide à la prescription et des sites « Internet santé », ainsi que de la transformation de la charte de la visite médicale en une procédure de certification."

Il s'agit notamment d'une information qualitative visant à améliorer la prescription pour laquelle "la HAS dispose de trois outils : les fiches de transparence édictées pour chaque produit, les fiches définissant des stratégies thérapeutiques et les fiches produits. Cette dernière catégorie répond à des demandes fortes exprimées par la DGS et les professionnels de santé et est éditée lorsqu'il existe un risque important de mésusage du produit. L'objectif est d'anticiper les risques et de diffuser l'information avant que les mauvaises pratiques ne soient ancrées dans les habitudes."

Dans les différents domaines de ses attributions le retard de la HAS semble sensible et rien de concret n'a pu être évalué par les rapporteurs, les premiers résultats de la HAS par exemple pour la certification des bases de données n'étant pas attendus avant 2007... En ce qui concerne la visite médicale et son "contrôle" par la HAS que semble défendre le rapport, nous avons vu tout le mal qu'il fallait en penser (La visite médicale : bras armé des laboratoires).

De toute façon les rapporteurs semblent très pessimistes puisque "Toutefois, les moyens dont la HAS dispose pour la diffusion de ses recommandations - 14 millions d'euros sur un budget total de 103 millions d'euros en 2006 - sont sans commune mesure avec ceux que les laboratoires consacrent à la promotion - 15 % de leur chiffre d'affaires en moyenne - rendant impossible une concurrence sur un pied d'égalité et l'obligeant à cibler ses interventions en amont des habitudes de prescription et à utiliser une multiplicité de vecteurs (acteurs institutionnels, patients, EPP)."

D'autant plus que selon les rapporteurs "Il est encore trop tôt pour juger de l'efficacité de cette double source d'information - HAS et Afssaps - sur la qualité et l'accessibilité des renseignements destinés aux prescripteurs. Les deux instances concernées devront toutefois surmonter les clivages administratifs pour poursuivre une stratégie d'information complémentaire." On pourra à ce sujet lire nos sections précédentes présentant de façon plus générale l'origine de ces conflits potentiels entre HAS et Afsspas (La réévaluation des médicaments et le Service Médical Rendu et Les discontinuités entre AMM, SMR/ AMSR et remboursement).

La publicité en direction des consommateurs et des prescripteurs

Les rapporteurs rappellent que la publicité des produits de prescription est interdite en France est en Europe et seulement autorisée sur les médicaments non remboursés sans ordonnance (lire par ex. notre billet du 11 mai 2006 : Une proposition de législation pour interdire la publicité sur les médicaments aux USA).

Suit une description du contrôle de la publicité avec ce passage savoureux : "Il convient de noter, à cet égard, qu'aucun pays européen ne soumet les campagnes publicitaires des médicaments requérant une prescription médicale à un contrôle a priori . Il a en effet été considéré, au moment de la transposition de la directive, que les professionnels de santé ont suffisamment d'esprit critique pour qu'un contrôle de ce type soit superflu." [sans commentaire]

Par ailleurs dans le cadre du contrôle de ces campagnes vers les professionnels "L'Afssaps examine chaque année environ 9.000 dossiers de cette seconde catégorie, dont 15 % sont suivis d'une mise en demeure ou plus rarement d'une décision d'interdiction. Les mesures d'interdiction sont transmises au comité économique des produits de santé (CEPS), qui peut prononcer une sanction financière d'un montant égal, au plus, à 10 % du chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise grâce à la molécule faisant l'objet de la campagne. Le CEPS ne transmet pas, ce qui est regrettable, ces données à l'Afssaps, mais il semble, au travers des contacts avec les firmes, que les sanctions sont assez systématiques."

La transparence a ses limites puisqu'il semble impossible de disposer d'un rapport synthétisant les actions de l'Afsspas et de la HAS et listant les campagnes interdites, les motifs et le montant des pénalités. D'ailleurs, si je comprend bien ce passage du rapport "...mais il semble, au travers des contacts avec les firmes..." il semble que ce soit des firmes et non du CEPS que les rapporteurs tirent leur information sur la sévérité supposée du CEPS. On croit rêver !

Répondre au défi de l'information du public

Cette section du rapport propose des informations relativemennt disparates et aucune proposition vraiment systématisée. Quelques passages soulèvent des idées intéressantes qui mériteraient probablement d'être mise en oeuvre.

Le rapport note à juste titre que l'information du patient complète celle du médecin sur l'usage raisonnée et prudent du médicament afin d'éviter tant la surconsommation que le mésusage, "En effet, autant que le prescripteur, le patient est responsable de ces deux écueils, notamment lorsqu'il est prêt à guérir par tous les moyens et suit un traitement de quinze et parfois vingt-cinq médicaments actifs. Le patient joue donc un rôle incitatif non négligeable dans la prescription, dont le médecin doit avoir conscience."

Les rapporteurs notent l'efficacité des certaines campagnes médiatiques, "il est apparu que la consommation d'antibiotiques diminuait après les périodes de passage intensif des spots publicitaires (automne-hiver 2002-2003 puis automne-hiver 2003-2004) mais repartait à la hausse lorsque le message n'était plus diffusé pendant quelque temps."

A propos de l'obsession française pour l'ordonnance bourrée de médicaments, les rapporteurs évoquent l'expérience Néo-zélandaise "il serait utile de réfléchir à la promotion des « ordonnances vertes », comme il en existe en Nouvelle-Zélande, qui privilégient un régime alimentaire ou la pratique d'un sport." Encore faudrait-il que les médecins soient correctement formés pour donner des conseils vraiment pertinents notamment en matière de nutrition, ce qui ne s'improvise pas.

Autre sujet intéressant, les actions d'éducation à la santé dès l'école. Est évoqué par exemple le cas de la Suède "qui connaissait il y a quelques années, un véritable problème d'hygiène dentaire chez les enfants et les jeunes adultes : l'apprentissage du brossage de dents à l'école primaire a été rendu obligatoire, ce qui a permis une diminution de 90 % des cas de caries au bout de huit ans [Audition du Professeur Jean-Paul Giroud, membre de l'Académie nationale de médecine, p. 300]." Je crois que certaines villes françaises comme Paris mènent des actions relativement conséquentes dans le domaine dentaire (dépistage et éducation) mais ces initiatives intéressantes sont curieusement bien peu médiatisées et totalement facultatives par rapport aux obligations en matière de santé publiques. Comme toujours en France la prévention est le parent pauvre. L'efficacité de la campagne Suédoise est en tout cas impressionante (ce pays a également interdit de facto les amalgames dentaires au mercure une mesure de sécurité sanitaire que l'Afsaaps estime dépourvue de tout fondement scientifique...).

Le texte du rapport du Sénat très dense, nous examinerons la suite du rapport dans un proche avenir (à suivre...)

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Créé le 8/07/06. Dernière modification le 3/08/06.