Gestion Santé

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Journal de bord d'Octobre 2010

 

Faute de temps pour écrire des pages longues, structurées et relativement exhaustives sur tel ou tel sujet, je laissais souvent passer sans les commenter ou les citer une multitude d'excellents articles sur Internet ou dans des revues, ou sans parler de livres que j'ai lu et sur lesquels je souhaiterais attirer l'attention ou faire quelques commentaires utiles pour le lecteur de ce site. D'où cette nouvelle rubrique "Journal de bord" que j'ai lancé à la fin novembre 2005. La santé sera comme d'habitude le principal sujet traité ici, mais pas le seul, mes intérêts dépassant souvent ce domaine. Comme pour les autres dossiers traités ailleurs sur le site j'espère pouvoir apporter des informations intéressantes et souvent difficilement accessibles au non spécialiste et tout cela sur un ton plaisant si possible ! Bonne lecture...

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Octobre 2010 (et le Journal des 30 derniers jours) : -  09/10/10  - La revue Prescrire porte plainte contre l'Agence européenne du médicament (EMA)... auprès du médiateur européen (ouf, on a failli avoir peur)...

09/10/10 : La revue Prescrire porte plainte contre l'Agence européenne du médicament (EMA)... auprès du médiateur européen (ouf, on a failli avoir peur)...

Dans le style des marionnettes des guignols de l'info parodiant les fausses grosses colères du politicien centriste François Bayrou retombant comme des soufflets, la revue Prescrire se fâche toute rouge contre l'Agence européenne du médicament (EMA) - qui ne veut pas lui communiquer divers documents d'évaluation des médicaments - en allant porter plainte... auprès du médiateur européen ! Voilà qui va sûrement terroriser ceux qui verrouillent l'information dans les coulisses pour protéger les intérêts des multinationales du médicament. Moi qui pensait à une plainte pour mise en danger de la vie d'autrui, ou un motif du même style, j'ai vite déchanté en lisant mieux, mais j'ai bien retrouvé le style de Prescrire évitant soigneusement de sortir du cadre d'un système qui épuise pourtant toutes les bonnes volontés.

Au delà de l'anecdote et de ce magistral coup de point sur la table pour rire, j'ai pensé que les fausses révoltes de Prescrire et de ses acolytes méritait une analyse de fond car cela fait maintenant de nombreuses années que Prescrire se bat pour défendre d'excellentes idées sans obtenir autre chose que des aménagements cosmétiques en matière de politique du médicament en France et en Europe. Il y a de profondes raisons à cela et il est bon de s'y intéresser en situant les possibilités de réforme de la politique du médicament dans le cadre du capitalisme en crise.

Prescrire une réflexion de qualité… sans débouchés ni perspectives

Prescrire est une revue médicale indépendante (que nous avons présentée ici) dont l'association éditrice souhaite défendre une médecine de qualité. Sa mission est : "Œuvrer, en toute indépendance, pour des soins de qualité, dans l'intérêt premier des patients. À cet effet, l'Association pourra prendre toute initiative et entreprendre toute action à des fins de formation des professionnels de santé, de sensibilisation, d'information, et d'amélioration des pratiques."

L'Association Mieux Prescrire (AMP) qui édite Prescrire  est constituée d'un cénacle de médecins, et je me tiens au courant de leurs actions depuis près d'une dizaine d'années. Ils œuvrent tout particulièrement pour proposer des réformes de la mise sur le marché et de l’évaluation des médicaments dans le cadre d’un « collectif », sur lequel nous reviendrons, dénommé le Collectif Europe et médicament dont Prescrire constitue le centre théorique principal. Au début, j'ai trouvé leur travail remarquable, notamment pour tout ce qui concerne le décorticage et la clarification des enjeux des directives européenne et de leur transposition en France, ainsi que pour leurs contre-propositions.

Puis je me suis progressivement rendu compte que cet ensemble d’organisations souhaitaient protéger une certaine forme de monopole du savoir médical, alors que leur perspective dans le domaine de l'anthropologie médicale me semble par bien des aspects très limitée et que leurs propositions de réformes - souvent intéressantes d'ailleurs - ne s'appuient sur aucun mouvement social ayant une quelconque consistance ou levier d'influence dans la société. D'ailleurs au vu de la diffusion des propositions défendues par Prescrire force est de constater, avec le recul du temps, que celles-ci conservent un caractère désespérément confidentiel et ne s'adressent qu'aux "décideurs". "L'élite" médicale à la Prescrire et ses diverses ramifications dans le milieu médical semble finalement très conservatrice et espère semble-t-il une improbable rencontre avec une autre "élite", politique et réformatrice, dont les contours ne se dessinent pourtant nulle part dans les milieux dirigeants de droite et de gauche auxquels s'adresse la revue.

Nous avons en fait déjà connu toutes les variantes possibles envisageables des "réformes" en matière de santé proposées par des gouvernements de droite ou de gauche au cours des dernières décennies. Les partis de gouvernement qu'ils soient du PS (allié au PC et au verts) ou de la droite plus au moins dure, ont tous été à la botte des laboratoires pharmaceutiques. Attendre de ces partis de gouvernement autre chose que ce qu'ils ont déjà réalisé au pouvoir semble une perspective complètement chimérique et s’adresser comme le fait le Collectif Europe et médicament plus directement aux politiciens du parlement européen, en sus des politiciens nationaux, pour mieux coller aux circuits de décisions, n’a apporté aucune amélioration tangible de la situation. Le parlement européen est sous le contrôle de groupes parlementaires proches des milieux d’affaire et le parlement affronte des exécutifs bloquant de toute façon toute les initiative parlementaires utiles. La Commission Européenne en particulier est la courroie de transmission quasi directe des intérêts de la finance et de la grande entreprise.

Nous allons faire un bref tableau de la situation du médicament dans la société capitaliste actuelle et de sa place dans le traitement des maladies avant de revenir sur le rôle du Collectif Europe et médicament.

La puissance des multinationales pharmaceutiques dans un capitalisme en crise

Les connexions politiques et économiques des multinationales pharmaceutiques avec les élites dirigeantes se redouble d’une emprise multiforme des laboratoires qui s'exerce via de nombreux réseaux d’influence. Les labos financent les congrès, la formation médicale des médecins, leur pub permet de publier la plupart des revues médicales et ils confient aussi leur publicité à d'autres revues scientifiques. De nombreux journalistes plus ou moins célèbres des médias réalisent des "ménages" pour les grands labos (comme des animation de conférences et d'ateliers rémunérés souvent à prix d'or), sans parler des voyages et frais payés à divers journalistes pour la couverture d'évènements santé jugés importants par les labos. Les labos financent aussi généreusement les associations de malades - si elles ne s'opposent pas à leurs intérêts bien compris, offrent des ponts d'or aux médecins leaders d'opinion pour les essais thérapeutiques de leurs produits, des postes prestigieux et très bien rémunérés aux hauts fonctionnaires qui passent dans le privé et ils soutiendront toujours la traversée du désert des politiciens battus aux élections lorsque ceux-ci ont su manifester de la loyauté à leurs intérêts. Que faire et qu'espérer devant de tels réseaux d'influence et un tel déploiement de puissance et d'argent ?

Nous vivons une époque où la crise économique et financière menace les fondements même du capitalisme mondial et secoue très fortement les anciennes grandes puissances européennes et US. Dans ce contexte, il est prioritaire pour les milieux dirigeants de sauver les dernières grosses vaches à lait industrielles et commerciales de l'Occident, comme les multinationales pharmaceutiques. En temps de crise et de déclin du capitalisme, les classes dirigeantes se montrent plus brutales et avides et leurs projets sont encore à plus à courte vue qu'aux époques de prospérité relative et l'idée d'espérer rencontrer une élite réformatrice est d'autant plus irréaliste.

Les grands laboratoires pharmaceutiques affichent une rentabilité record en rançonnant les systèmes d'assurance santé qui remboursent (de moins en moins bien il est vrai) les malades auxquels on prescrit des médicaments sans cesse plus coûteux et à l'efficacité de plus en plus douteuse. Les multinationales justifient les prix croissants des médicaments par des frais de recherche de plus en plus élevés. Ces énormes dépenses sont en réalité constituées pour une large part de frais commerciaux et marketing - dont certain plus ou moins dissimulés - qui contribuent à compenser la médiocrité des médicaments arrivant sur le marché.

L’effondrement de l’innovation dans le domaine pharmaceutique

La raison de la baisse d'efficacité des nouveaux médicaments et liée à un ensemble très complexe de phénomènes en interaction dont le description détaillée sortirait du cadre de cet article. Ce sont des questions que nous avons régulièrement traitées sur Gestion Santé. Les meilleurs spécialistes, chercheurs indépendants, revues non dépendantes des labos, sont d'accord quant à la baisse sur les dernières décennies de l'intérêt et de l'efficacité des nouveaux médicaments (les vrais innovations se raréfiant dramatiquement), mais les raisons exactes de ce phénomène restent discutées. Il suffit pour s'en convaincre, et s'assurer qu'il ne s'agit pas d'une exagération, de consulter par exemple le palmarès qu'attribue annuellement Prescrire aux nouveaux médicament. Les revues médicales indépendantes étrangères comme la revue allemande Arznei-Telegramm partagent le même avis. Cet effondrement de l’innovation est tout de même extraordinairement paradoxal quand on pense au développement phénoménal des connaissances qui s'est opéré dans le même temps dans le domaine des sciences de la vie et des sciences médicales. La façon dont les uns et les autres rendent compte de ce paradoxe (quand on s'interroge vraiment sur lui, ce qui n'est pas toujours le cas), s'inscrit dans les conceptions en matière de santé et de maladie que véhiculent plus ou moins consciemment les différents chercheurs, c'est-à-dire leurs conceptions en matière d'anthropologie médicale, lesquelles s'articulent également très étroitement avec leurs perspectives sociopolitiques (libéralisme, marxisme...). En tout cas, on peu constater que si le système capitaliste dans le domaine du médicament maintient sa profitabilité, il est devenu incapable, de se connecter efficacement au développement du système scientifique pour apporter de nouvelles molécules utiles à la santé publique. Cet effondrement de la capacité d’innovation du capitalisme est un événement majeur dont il faut souligner l’importance.

D'une certaine façon l'objectif de Gestion Santé est d'aller à la racine de ce paradoxe et de proposer des solutions pour en sortir, certaines étant à la portée de la main comme la complémentation alimentaire, ce qui explique que nous traitions abondamment de la question, d’autres nécessitant des réformes de fond du système de santé incompatible avec le système de domination capitaliste actuel.

On peut proposer, je crois, deux raisons fondamentales à cet effondrement de l’innovation, qui conditionnent la plupart des autres : 1) la recherche du profit mise avant tout autre critère, tel que l'intégrité de la recherche scientifique ou l'intérêt des malades et de la santé publique, avec comme pilier principal du système du profit la législation sur les brevets et 2) une phénoménale concentration capitalistique qui n'est que très partiellement liée à des besoins réels en terme d'investissement pour la recherche développement, mais qui tient essentiellement à la nécessité de protéger l'accaparement de super profits par quelques intervenants majeurs qui verrouillent entièrement à leur avantage le système de mise sur le marché des nouveaux produits et empêchent à de plus petits concurrents, souvent plus innovants, d'y pénétrer.

Par rapport à la question du profit avant toute autre priorité, le système des brevets sur les molécules des médicaments est devenu progressivement quasi universel, suite à une pression incessante en provenance des USA et qui s'est surtout exercée après la deuxième guerre mondiale. La brevetabilité généralisée à été obtenue après des décennies de luttes acharnées des multinationales soutenues par le pouvoir politique des pays ayant adopté le système du brevet et possédant de grandes entreprises pharmaceutiques. Le système du brevet (lire "Propriété intellectuelle et médicament" accompagné d'un plaidoyer maison du syndicat français des industriels du médicament, le LEEM) assure l'exclusivité de la distribution d'une molécule pendant une durée déterminée - et garantit la profitabilité dans le système actuel - et c'est une des causes principales du tarissement de la recherche pharmaceutique. Nous ne serons pas ici exhaustif quand aux très nombreux effets pervers du brevet. Le problème n'est pas seulement lié aux prix très élevés que permet le brevet, il tient surtout à ce que le système du brevet empêche de mener des études sur les molécules tombées dans le domaine public afin de préciser et d'étendre leurs indications. Il pousse au contraire à leur remplacement par des nouveautés dont le bénéfice - risque est mal évalué et dont la mise sur le marché engloutit de façon totalement inutile des ressources colossales en recherche développement et évaluation. Cela d'autant plus que les différents concurrents et en même temps partenaires de fait des oligopoles en place se copient entre eux leurs médicaments innovants multipliant d'autant les recherches inutiles.

La concentration capitalistique, étroitement liée à l'existence des brevets est une fuite en avant d'un système aujourd'hui à bout de souffle, qui s'étale pour l'industrie pharmaceutique sur des décennies. Elle a créé des monstres transnationaux tous puissants qui dictent aux Etats les conditions d’évaluation et de mise sur le marché des médicaments et imposent leurs prix. Elle rend extraordinairement improbable toute réforme de fond de l'industrie du médicament dans le cadre de la société bourgeoise en crise dont les solutions sont de plus en plus à courte vue.

Si l'on étudie l'une des recommandations les plus importantes que propose Prescrire, l'évaluation comparative des médicaments et l'obligation de comparer tout nouveau traitement au traitement de référence quand il existe, afin de n'autoriser que les médicaments améliorant le Service Médical Rendu, on propose déjà en pratique de faire la révolution. Cela n'est pourtant que l'application de l'article 32 de la déclaration d'Helsinki de l'Association Médicale Mondiale - lequel est foulé au pied tous les jours par la recherche biomédicale.

L’exemple récent et illustratif des médicaments pour le diabète de type 2

Un bon exemple, tout récent, de ces phénomènes est la rosiglitazone (médicament Avandia et associée à la metformine dans Avandamet) qui vient d'être retirée du marché 8 ans après son autorisation parce qu'elle augmente fortement le risque cardiovasculaire alors que celui-ci est déjà une des complications habituelle du diabète. La rosiglitazone fait partie d'une classe thérapeutique, les glitazones, où l'on trouve une molécule récente d’une autre multinationale, la pioglizatone du médicament Actos, toujours sur le marché. Pourtant, comme le rappelait  Prescrire en 2008 à propos de ces produits, "Depuis leur autorisation injustifiée en 2002, on n’a toujours pas de preuve d’une efficacité tangible en termes de prévention des complications du diabète, mais la liste des dégâts s’allonge, et les insuffisances cardiaques sont amplement confirmées." Ces médicaments mis sur le marché au forceps par l'industrie pharmaceutique détournent les patients des médicaments et traitements de référence comme les mesures hygiéno-diététiques indispensables, qui devraient être au centre du traitement, les principales étant le régime alimentaire et l'activité physique ainsi que s'il y a lieu, la limitation des toxiques comme le tabac et l'alcool, et les médicaments à base de metformine seule, laquelle selon l'étude UKPDS diminue significativement le risque d'infarctus du myocarde, contrairement aux glitazones qui augmentent le risque cardio-vasculaire.

Selon François Pesty, qui a effectué une bonne synthèse de la question du traitement médicamenteux du diabète de type 2, les glizatones seules ou associées à la metformine (comme dans l'Avandamet) représentaient déjà 25% des remboursements en 2008 des antidiabétiques, insulines exclues. Il précise que "la metformine, seul médicament a avoir établi un bénéfice clinique chez le patient diabétique de type 2, est par exemple 9 fois moins onéreuse qu'AVANDIA® et 12 fois moins qu'AVANDAMET® ! (...) Avec un coût de traitement annuel compris entre 75 0000 € et 80 000 €, BYETTA® dont l'ASMR est mineure [avis de la commission de la transparence - 28/02/2007], est entré dans les annales ! Il est plus de 1000 fois plus onéreux que la metformine sans pour autant avoir démontré un bénéfice clinique... "

Le diabète est un cas d’école de ce qui se passe sur le marché du médicament. On constate une tendance quasi irrésistible à la substitution à des produits anciens, au profil efficacité - risque bien connu de médicaments beaucoup plus chers au rapport efficacité - risque mal connu faisant l’objet d’une intense promotion commerciale et institutionnelle.

Pour faire malgré tout quelques économies, les pouvoirs publics poussent dans le même temps au déremboursement de médicaments plus anciens au prétexte, souvent très discutable, qu’il s’agit de « médicaments de confort ». Dans le même temps, on laisse le guichet ouvert aux nouveautés, même les plus douteuses, les refus de remboursement étant rares. On peut dire que la méthode employée, soit disant pour faire des économies sur le médicament, et réutilisée par tous les gouvernements de gauche comme de droite, est la pire qu'on puisse imaginer. Après des économie s à court terme sur certains produits ou certains segments du marché, elle consolide en fait la tendance de fond à la hausse des dépenses de médicaments par effet de substitution de molécules récentes beaucoup plus chères aux molécules anciennes, sans amélioration du service médical rendu, bien au contraire. En témoigne les nombreux retraits en catastrophe de molécules à forte prescription de ces dernières années. Tout cela pour le plus grand bénéfice, évidemment des géants de la pharmacie !

Pas d’accumulation raisonnée du savoir dans le domaine du médicament

Le résultat de décennies de domination des oligopoles pharmaceutiques est que le corps médical ne dispose pas d'un outil intégré fiable permettant de hiérarchiser les médicaments entre eux ni par rapport à d'autres interventions nutritionnelles et à la prophylaxie générale des maladies, laquelle inclut des activités non strictement médicale (alimentation, hygiène, sport, cadre de vie). La construction de ce cadre d’intervention ne peut s'effectuer que sur la longue durée dans un effort désintéressé mené par l'ensemble du corps médical avec le soutien de l'Etat.

Outre les médicaments proprement dits, d'innombrables nutriments - ayant une position intermédiaire entre la nutrition et le médicament - souvent d'une très grande sécurité d'emploi comme des extraits de plantes, les vitamines, les minéraux, les acides aminés, les corps gras, etc. qui ne sont pas, pour la plupart brevetables, et qui peuvent être pris sans risque en association dans des comprimés "tout en un" optimisant leurs effets (contrairement aux molécules xénobiotiques, beaucoup plus toxiques, qui constituent l'essentiel de l'arsenal pharmaceutique actuel), ne sont pas évalués systématiquement et lorsqu’une utilisation scientifique de leur utilisation est validée, les produits correspondants ne sont quasiment jamais intégrés dans la pratique médicale courante, leur utilisation restant empirique et marginale, alors que ces produits, qui permettent de réguler et d’optimiser le métabolisme cellulaire de base, devraient constituer une des bases essentielles de l'arsenal thérapeutique de première intention du médecin avec les mesures hygiéno-diététiques. Dans le cas du diabète de type 2 qui nous sert d’exemple, les nutriments utiles voire indispensables sont nombreux et quasiment pas utilisés en médecine conventionnelle.

Ainsi, dans le contexte mercantile de la recherche médicale, les conditions de base permettant cette accumulation du savoir sont systématiquement détruites. Le clinicien en est réduit à naviguer à vue dans un environnement disloqué et plein de chausse-trapes résultant des biais affectant la quasi totalité des essais thérapeutiques menés par les labos. On en est donc réduit à construire des îlots de rationalité scientifique reposant sur des bases beaucoup plus précaires qu'on ne veut le plus souvent le reconnaître dans le discours médical dominant. Dans ce contexte, parler, comme on le fait souvent, de médecine fondée sur les preuves, tient de l'escroquerie intellectuelle si l'on masque les lacunes énormes et les distorsions du savoir résultant de la mercantilisation de la santé.

Ce qu’est vraiment le Collectif Europe et médicament : le cas éclairant de La Mutualité française

On voit que ce n'est pas le réformisme souffreteux de la revue Prescrire qui pourra amener des réformes autres que cosmétiques dans le domaine de la législation sur le médicament, même si leur programme, bien que très technique, lorsqu'on le lit en détail propose des réformes majeures. Mais qui est au courant de ces propositions de réformes ? Un poignée de spécialistes, dont la majeure partie les jugent utopiques, à commencer probablement par les dirigeants de Prescrire eux-mêmes ! Le Collectif Europe et médicament qui porte les projets de réforme de Prescrire au niveau européen est par ailleurs un "collectif" pour le moins hétéroclite. Il est instructif de s'intéresser à l'un de ses membres les plus importants, un véritable poids lourd même, La Mutualité française, qui fédère le secteur français de la mutualité. La Mutualité française devrait être le relais naturel pour une diffusion massive des idées "révolutionnaires" de Prescrire dans la population laborieuse, pour obtenir sa sensibilisation progressive à ces nouvelles idées, afin de créer un véritable levier d'action politique. Mais que constate-t-on en pratique ? La Mutualité française a en fait une attitude extraordinairement ambiguë par rapport aux positions officiellement défendue par le Collectif Europe et médicament depuis sa création. Ces revendications sont tellement diluées dans sa communication officielle que, comme dans les produits homéopathiques, on ne trouve plus à cette forte dilution aucune molécule du produit mentionné officiellement sur l'étiquette et par ailleurs aucun des effets dynamisant revendiqués par l'homéopathie !

Quand Prescrire met en garde contre Actos ou Avandia, La Mutualité française, qui se sent visiblement peu concernée par le problème du diabète, évite de reprendre le sujet et une recherche sur leur site via google avec "Actos" ou "Avandia" en mot clé remonte péniblement deux courtes sections d'articles qui ne sont pas spécifiquement consacrées au traitement du diabète et où le sujet est abordé de façon anecdotique dans le cadre de reprises de dépêches d'agences de presse, dont l'une avec un titrage où figure une superbe coquille très révélatrice du soin et de l'intérêt qu'accorde La Mutualité à ces questions : "L'antibiotique [sic] Avandia® sur la sellette".

La Mutualité française assiste - inerte et passive - aux conditions dans lesquelles s’effectue la réévaluation des médicaments ainsi que leur déremboursement… ou le maintien de leur remboursement…

Les médicaments sont notés, au niveau français, via le Service Médical Rendu qui va du meilleur, noté I jusqu’au moins bon noté V et la Haute Autorité de Santé nous précise que "Une ASMR de niveau V (équivalent de «pas d'ASMR») signifie « absence de progrès thérapeutique »." Mais du point de vue économique, cela n'a aucun impact direct sur le remboursement. en effet, la prise de décision du remboursement ou du déremboursement d'un médicament reste toujours fixée au niveau ministériel pour pouvoir déconnecter l'évaluation scientifique de ses conséquences économiques et commerciales. On constate, en pratique, que les médicaments brevetés sont en général surnotés et bénéficient d'une assurance tout risque contre le déremboursement.

Lorsque de vieux médicaments de phytothérapie, les veinotoniques comme le Daflon, ont été réévalués en ASMR V puis ont vu leur remboursement baisser à 15%, il y a quelques années avant d'être, tout récemment, entièrement déremboursés, la Mutualité française n'y a rien vu à redire - sauf qu'elle aurait préféré que le déremboursement soit effectué plus rapidement pour que les mutuelles n'aient plus à faire le complément de remboursement...

Gestion Santé en 2005 trouvait ce passage en ASMR V très discutable et regrettable. Ces produits nous semblant avoir leur place dans la prise en charge du trouble veineux. On dérembourse à tour de bras les veinotoniques, le magnésium, les mucolytiques, etc. et les classement en ASMR restent discutables, même si la situation, longtemps franchement exécrable, s'est sensiblement améliorée depuis que l'évaluation a été récemment reprise par la Haute Autorité de Santé. Néanmoins l'évaluation reste faite par des spécialistes ayant souvent des liens avec les labos, les usagers ne sont pas associés aux avis, l'évaluation n'a pas de caractère vraiment contradictoire, la classification du niveau I à V reste largement boiteuse, etc.

D'innombrables autres produits utiles ont ainsi été déremboursés au fil des années et même si certains déremboursement étaient justifiés, La Mutualité française a purement et simplement abandonné les malades en rase campagne en s’abritant « courageusement » derrière les avis de la Haute Autorité de Santé, sans s'autoriser à la moindre critique des avis émis, supposés être la vérité révélée, accompagnant ainsi de facto une véritable privatisation de la santé et contraignant les malades à de coûteuses dépenses sur les médicaments utiles déremboursés.

Par contre quand, pour l'Avandia, lors de sa réévaluation en 2008, le Service Médical Rendu est passé à V, et sachant que le profil de risque de ces produits était mauvais et qu’ils se substituaient dans les prescriptions à des molécules mieux validées, La Mutualité française a gardé un silence de mort sur la question de savoir pourquoi ils étaient toujours remboursés. La même discrétion de la part de La Mutualité française, se retrouve pour d’autres médicaments brevetés, dont par ailleurs son « partenaire » Prescrire ne cesse de claironner l’inefficacité et les dangers potentiels.

Ainsi on dépense sans compter pour des médicaments mal évalués et qui sont dangereux pour ceux qui les prennent, la dépense correspondante n'ayant aucun autre objet que de remplir les coffres des multinationales, alors que les soins essentiels à la santé de la médecine publique sont rationnés partout et pas seulement évidemment dans le domaine du médicament. Ainsi du côté de la médecine publique l'étau de l'austérité se resserre sans cesse autour du patient et du côté des médicaments promus par les multinationales les plus puissantes, la gabegie est la règle avec le soutien appuyé des plus hautes autorités de l'Etat.

Mais tout cela vous ne l'apprendrez jamais en lisant le site et les brochures de La Mutualité française ni même d'ailleurs en lisant le Collectif Europe et Médicament qui évite de poser les enjeux aussi clairement.

L'évolution politique récente de La Mutualité française

Le secteur mutualiste français était traditionnellement proche de la gauche de gouvernement. Mais le glissement marqué à droite des classes dirigeantes bourgeoises françaises qu'elles soient étiquetées à droite ou à gauche a aussi un impact marqué sur le secteur mutualiste.

La lecture du site de La Mutualité française est au moins instructive à cet égard, surtout si l'on souhaite cerner le profil politique de son président Jean-Pierre Davant. Celui-ci s'est rendu en 2009, en voyage d'étude aux USA, "pour promouvoir le modèle mutualiste" [sic]. L'entête de publireportage relatant ses palpitantes aventures fait un panégyrique du projet de réforme de la santé d'Obama : "Optimiser les dépenses de santé, organiser une véritable régulation et une organisation du système de soins, offrir une couverture santé universelle : ce sont les enjeux de la réforme de santé actuellement en débat aux Etats-Unis. Une situation qui présente des similitudes avec celle de la France [sic – c'est effectivement une bonne description - certes involontaire - de la situation française !!!], constate le président de la Mutualité Française, Jean-Pierre Davant, de retour d’une mission d’information Outre-atlantique." Difficile d'être d'avantage à côté de la plaque et dans la flagornerie, quand on parle du système de santé le plus inégalitaire des pays développés et qu’on sait que la réforme a été façonnée dans les coulisses avec les géants de l'assurance privée qui se sont taillés la part du lion d'un système qui ne fait quasiment aucune place aux assurances publiques ou coopératives. Le projet consiste à contraindre les américains - encore nombreux à être non assurés - à souscrire à leur frais des assurances santé hors de prix, assurant une couverture minimale, sous peine d'amendes, les dépenses supplémentaires pour l'Etat américain générées par le nouveau système - quelques dégrèvement d'impôts accordés aux souscripteurs - étant gagés par des coupes sombres dans les systèmes pour les plus démunis, Medicare et Medicaid, au moment même où les différents Etats constitutifs des USA, nombreux à être au bord de la faillite, font également des coupes sombres dans tous leurs budgets sociaux. On ne s'étonnera donc pas que la réforme soit largement rejetée par les américains eux-mêmes et qu'elle ait plombée la popularité d'Obama !

Cet article et cet éloge hypocrite du système de santé inégalitaire américain est bien sur à lire comme une provocation droitière, à usage surtout interne à La Mutualité française et dans sa communication avec les pouvoirs publics, à comprendre en terme de virage marqué à droite de la direction du secteur mutualiste français. Le secteur de la mutualité française est en effet engagé dans des négociations très délicates avec le gouvernement de Sarkozy sur de nombreux dossiers. Le message pragmatique adressé à la droite gouvernementale est bien sur on ne peut plus clair : "tout est négociable, si je peux protéger et agrandir mes fromages..."

On imagine bien, si l'on se rappelle que La Mutualité française appartient au Collectif Europe et médicament, qu'un tel allié, aussi prudent et rusé que conservateur, gestionnaires de rentes de situation, au mieux avec les milieux dirigeants au pouvoir ou dans l'opposition et, d'une façon générale, avec les milieux économiques influents, ne relaiera jamais sincèrement les propositions du Collectif Europe et médicament si même celui-ci avait des velléités de diffuser largement ses idées, ce qui reste à démontrer.

Les pièges du réformismes et les préconditions politiques d'une véritable politique de santé

Ainsi, s'il est utile de se tenir informé des analyses de la revue Prescrire et du Collectif Europe et médicament et qu'on peut reprendre à son compte tout ce qui peut se révéler pertinent dans celles-ci, il faut se méfier comme de la peste de ces organisations pseudo réformistes, directement branchées sur les réseaux économiques et politiques de la bourgeoisie au pouvoir. Nous sommes dans une période de crise grave du capitalisme et les milieux dirigeants de la bourgeoisie entendent faire payer l'addition à ceux qui produisent les richesses par leur travail, c’est-à-dire la classe ouvrière au sens marxiste du terme, pour préserver le pouvoir et la richesse de ceux qui possèdent les moyens de production. Les organisations comme le Collectif Europe et médicament et d'autres organisations comme ATTAC, laquelle s'est largement désintégrée après avoir servi en temps utile à canaliser le mécontentement contre la mondialisation, la guerre en Irak et les soi-disant "abus" du système capitaliste (qui lui sont en fait consubstantiels), sont à considérer avec la plus grande suspicion pour tout ce qui concerne leurs buts réels et leurs moyens d'action.

Le système de santé doit être réorganisé par ceux qui travaillent et produisent, dans un cadre socialiste authentique, en substituant la hiérarchie des besoins humains à celle du profit et en mettant le développement scientifique au service d'une accumulation cohérente, raisonnée et systématique du savoir et des pratiques médicales.

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Créé le 09/10/10. Dernière modification le 09/10/10.